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Chapitre  7   :  Approche  diachronique  d’une  situation  de  création  aux  normes

7.1. L’avant-audition : dessiner un certain rapport au champ

  Dans le monde de la danse contemporaine, comme dans tout autre milieu, l’embauche d’un danseur professionnel est conditionnée par plusieurs facteurs. Il faut en règle générale

                                                                                                                         

1 Cette approche processuelle de la diffusion des savoirs est d’ailleurs au cœur, rappelons-le, du cadrage théorique dans lequel nous nous inscrivons (Cf. Chopin, 2014).

passer l’épreuve de l’audition1. Pour cela il est indispensable pour les danseurs de maîtriser plus ou moins la structuration du champ, notamment :

- pour accéder à l’information de l’existence d’un avis d’audition – ce qui signifie savoir où trouver l’information (lieu institutionnel chargé de diffuser ce type d’information ou « bouche à l’oreille »2) ;

- pour savoir décrypter les avis d’audition3 (grâce une connaissance du travail du chorégraphe ou à une expérience antérieure, à des relations dans le milieu plus expérimentées, etc.)4 ;

- pour se composer un Curriculum Vitae pertinent, qui pourra être retenu pour que le danseur passe l’audition. Le CV doit être attirant et répondre déjà à certaines attentes implicites du chorégraphe.

Les premières négociations entre danseur et chorégraphe pourront même avoir lieu avant l’audition, surtout dans le cas où le danseur a été repéré avant par le chorégraphe (pour exemples : à la sortie d’une école supérieure lors des examens de fin d’études, lors de stages ou masterclass, voire de créations d’étude proposées par le chorégraphe, à la sortie d’une grande école, sur la pièce d’un autre chorégraphe, etc.)5.

7.1.1. Accéder à l’information

La formation est le premier espace de socialisation pour les danseurs. Dans les formations supérieures et les grandes écoles, il est d’habitude d’inviter des chorégraphes expérimentés à rencontrer les étudiants ou les stagiaires. Les formes de rencontre sont diverses : classes ou ateliers réguliers, stages, masterclass, works in progress, créations d’étude, etc. Arnaud (danseur de la situation 2, guidée) évoque les diverses rencontres qu’il a effectuées avec plusieurs chorégraphes lors de sa formation :

« J’ai rejoint l’école en 2003 et j’ai intégré la formation, qui s’appelait "formation scène, danseur-interprète". Au cours de ce cursus, j’ai fait pas mal de rencontres. On avait des intervenants qui venaient sur les temps d’ateliers et de cours techniques. À peu près toutes les deux semaines, ça changeait beaucoup d’intervenants invités en fait. […] Alors, ça allait des chorégraphes montpelliérains tels que : Didier Théron, Yann Lheureux, Michèle Murray… Et puis après, Serge Ricci qui venait, Hervé Diasnas. Qui est-ce qu’on a eu d’autre ? Des pédagogues de l’étranger aussi. Il y avait Anna Sanchez… après, Corinne Lanselle qui était venue aussi. Voilà ce dont

                                                                                                                         

1 Il est possible pour un danseur d’être embauché par un chorégraphe sans passer par les voies de l’audition. Pour cela il faut soit avoir déjà travaillé avec ce chorégraphe, soit avoir participé à d’autres moments de rencontre, type stage, work in progress, atelier…

2 Sorignet (2012) utilise cette expression pour qualifier le système de don/contre-don qui serait un moyen efficace d’acquérir des informations concernant un avis d’audition. Il relativise toutefois cette pratique « généreuse », le « désintéressement » qui est attribué au milieu artistique, l’intérêt pour celui effectuant le don étant aussi d’exhiber sa socialisation professionnelle.

3 Quand le danseur en a la possibilité. Certains danseurs pour vivre acceptent en effet des contrats qui ne les satisfont pas au plan professionnel mais qui leur sont nécessaires pour des raisons alimentaires.

4 Certaines auditions étant plus convoitées que d’autres (émanant de Centres chorégraphiques nationaux, de certains chorégraphes de renom ou de chorégraphes dont l’écriture est singulière, dont la notoriété est avérée, ou le projet artistique stimulant…).

j’ai le souvenir. Euh, après aussi, si dans les danses… il y avait aussi Ingeborg Liptay, de Montpellier. Et puis après, un travail de répertoire de la compagnie d’Anne-Marie Porras. » (Arnaud, entretien n°1, S2, p. 76, lignes 17-28).

Les enjeux sont multiples. Ils relèvent le plus souvent du « frayage » (Delbos et Jorion, 2009 [1984]), c’est-à-dire d’une transmission du métier de manière non formalisée – type de transmission extrêmement valorisé dans la communauté de la danse (cf. Chopin, 2014). Les plus jeunes, au contact de leurs pairs expérimentés vont incorporer in vivo des savoir-faire considérés rapidement comme naturels1, gagnant ainsi en familiarité avec le milieu ; savoir-faire liés aux techniques de corps, à la culture chorégraphique, à la connaissance du milieu, etc. Raphaël (danseur, S1), relate comment il a acquis une certaine culture chorégraphique et une connaissance du milieu :

« En tout cas, c’est ce qui m’a permis de commencer à avoir une culture chorégraphique et de rencontrer d’autres générations de danseurs qui eux étaient déjà devenus professionnels. Donc du coup j’ai fait ça pendant deux ans, et c’est ce qui m’a permis de rencontrer ces personnes et que, eux, me parlent des différentes formations qui existent en France. » (Raphaël, entretien S1, p. 34, lignes 25-28).

Outre la question de la transmission d’éléments qui seront essentiels à la professionnalisation ultérieure, ces rencontres peuvent dans certains cas occasionner des premières embauches. Ce qui est d’ailleurs le cas de deux des trois danseurs de la situation 22. Arnaud (S2) et Béa (S2) sont effectivement dans ce cas. Arnaud précise :

« […][J]’ai rencontré, au cours de ma formation, Serge Ricci, avec qui je travaille désormais depuis cinq ans et demi. Donc, voilà. Nous, on s’est rencontrés vraiment là-bas, dans le cadre de ma première année de formation. Et c’est vrai que tout en continuant ma formation, j’ai cherché à m’intéresser plus à son travail, le suivre en stage en dehors de l’année scolaire, aller voir les propositions, les spectacles qu’il proposait en théâtre, tout cela. C’est vrai que j’ai commencé, j’ai rencontré Serge Ricci au cours de ma formation et j’ai commencé à découvrir son travail aussi de chorégraphe et puis bien voilà, depuis 2008 on travaille ensemble. » (Arnaud, entretien n°1, S2, p. 76, lignes 32-37)

Béa, quant à elle, raconte sa première rencontre avec Éric (chorégraphe de S2) :

« [C]oncernant ma formation initiale, je suis originaire de Caen et j’y ai fait le Conservatoire en classe à horaires aménagés danse, donc, primaire et collège. Arrivée au Lycée, j’ai passé le concours pour intégrer le CNSMD3 à Paris et j’ai fait la formation qui est de cinq ans en danse contemporaine. J’ai rencontré Éric à l’issue de ces cinq ans, l’année du Junior Ballet où un chorégraphe est invité. C’est comme ça que j’ai rencontré Éric […] » (Béa, entretien n°1, S2, p. 103, lignes 8-11).

Pour ce qu’il en est de la situation 2, seuls Arnaud et Christophe (les deux interprètes masculins) ont participé à l’audition. Béa (l’interprète féminine) n’a pas eu besoin de passer cette étape. Elle connaissait Éric (le chorégraphe) avec qui elle avait déjà travaillé à plusieurs                                                                                                                          

1 Ces savoir-faire seront bientôt considérés comme intrinsèques voire immanents à la personne et ainsi composer un artiste singulier, duquel "jaillisse" un imaginaire percutant et inattendu.

2 C’est également le cas dans la situation 1 et 2.

reprises. Notons que, concernant les trois situations observées, sur les sept interprètes (deux femmes et cinq hommes) avec lesquels nous nous sommes entretenue, cinq d’entre eux (les danseurs) ont passé l’audition pour entrer en création. Les deux danseuses quant à elles avaient été déterminées avant l’audition. Rajoutons également que tous les danseurs avaient pris connaissance de l’avis d’audition via le Centre national de la danse (CND).

Accéder à l’information de l’avis d’audition requiert de savoir où se trouve l’information (le bouche-à-oreille n’a pas l’air dans les trois situations observées d’avoir joué un rôle majeur sur cet accès), c’est-à-dire de maîtriser quelques notions minimales1 quant aux institutions en charge de diffuser cette information – notamment le CND. Aucun des danseurs ne déclare être passé par Pôle emploi pour obtenir cette information.

L’accès à l’information, serait donc un des premiers indicateurs de la socialisation professionnelle. Ceci étant cette socialisation professionnelle ne pourrait avoir lieu sans une « auto-reconnaissance » du danseur. Christophe se souvient du moment où il a pu se positionner comme tel :

« C’est comme rencontrer ses grands-parents. Tout d’un coup on comprend mieux pourquoi on nous a enseigné cela. D’où vient et comment le paysage s’est développé, corporellement, de l’intérieur. Ça, ça a été le moment… D’ailleurs c’est à ce moment-là où quand on me demandait quel était mon métier, où j’ai répondu : « je suis danseur ». Je n’étais pas en train de m’excuser : « oui, je suis sorti du Conservatoire, je danse un petit peu, enfin je bidouille ». Non, c’est à ce moment-là où j’ai trouvé une place. » (Christophe, entretien n°1, S2, p. 133, lignes 3-8)

7.1.2. Décrypter l’avis d’audition

L’accès à l’avis d’audition n’ai bien évidemment pas gage de réussite, vue la rareté de ces parutions. Le CND a recensé 154 avis d’audition en 2013, 210 avis d’audition en 2014, 176 avis d’audition en 20152. Christophe expose son désarroi concernant cette situation, inhérente à deux éléments constitutifs du champ actuel : tout d’abord un système de production/diffusion actuellement en « déséquilibre » (les théâtres programment environ 1,5 spectacles de danse3 en moyenne par an), de plus, la singularité des propositions artistiques fait que certains avis d’audition sont très spécifiques et concernent de ce fait peu de monde :

« Il faut dire que je pense que les chorégraphes qui cherchent des danseurs sans plus de spécificités, et bien ils en ont autour d’eux. Et qu’énormément d’annonces sont ciblées. C’est-à-dire : « Je cherche un danseur sourd, parlant danois, spécialiste en mât chinois, asiatique… ». Voilà… des attentes très particulières. Donc, des annonces générales : « Tel chorégraphe recherche trois danseurs pour sa prochaine création », déjà, ça, il y en a très peu. » (Christophe, entretien n°1, S2, p. 129, lignes 11-16).

                                                                                                                         

1 Ces connaissances sont censées être transmises par les lieux de formation. Pour exemple, le CNSMDP propose des interventions relatives au champ professionnel. Du reste, le CNSMDP travaille de manière régulière avec le CND.

2 Chiffres transmis par Laurence Batoufflet attachée à l’information sur l’emploi au département ressources professionnelles du CND.

3 Chiffre énoncé par Patrick Germain-Thomas dans son article, « Résoudre le déséquilibre entre création et diffusion ? », publié le 27 février 2016 dans le journal La Terrasse,

http://www.journal-Ce point sera tout à fait fondamental pour la question de la disponibilité corporelle du danseur, au cœur de l’étude – nous y reviendrons dans le chapitre suivant. Pour poursuivre en l’état sur ce moment de l’avant-audition, il faut maintenant que les danseurs décryptent l’annonce, c’est-à-dire qu’ils arrivent – à la fois par souci de gain de temps, mais également par curiosité pour la proposition et par logique de positionnement avant même l’audition – à saisir, à travers le peu d’informations qui y sont précisées, les attentes implicites du chorégraphe. L’avis d’audition pour la recherche des danseurs de S2 était le suivant :

AVIS  D’AUDITION    

La  compagnie  recrute  deux  danseurs  masculins  contemporains  pour  sa  prochaine  création  en  septembre  2014.  

Profil  recherché  

Expérience  professionnelle  confirmée.  Très  bon  niveau  technique.  Sensibilité  au  travail  vocal.  

Périodes  de  travail  envisagées  

12  semaines  entre  fin  avril  et  septembre  2014.  

Création  le  6  septembre  2014  à  l’Abbaye  de  Royaumont.  Tournées  2014-­‐2015.  

Rémunération  sur  la  base  de  la  convention  collective  des  entreprises  artistiques  et  culturelles.  

Auditions  s’échelonneront  du  6  au  10  janvier  2014  en  région  parisienne.  Présélection  sur  dossier.  

Envoyer  candidatures  (CV  +  photos  +  Lettre  de  motivation)  à  compagnie.xxx@gmail.com  impérativement  avant  le  15  décembre   2013.  

   

Cet avis d’audition est très liminaire, mais de fait assez coutumier. Notons que la dimension technique y est clairement indiquée, sans plus de précision quant à la spécificité de cette technique.

Certains avis d’audition beaucoup plus inattendus, voire rédigés en creux, amènent parfois le danseur, même s’il semble remplir les conditions requises, à hésiter de répondre à l’avis d’audition. Raphaël (interprète de S1) nous livre son expérience :

« Euh… Alors… Parce que d’abord, on peut dire qu’il y a très peu d’auditions qui sont intéressantes. Mais en même temps, l’avis d’audition disait peu de choses. Qu’il cherchait pour un projet des hommes de dix-huit à soixante ans. Et au départ j’avais hésité. Je me suis dit :" il va y avoir trop de monde". Et puis je suis allé sur son site. Je n’ai pas regardé ses projets, mais j’ai juste lu sa bio. Ou sa non biographie, je ne sais pas comment dire. Et j’ai trouvé l’artiste intéressant. C’est tout. Je n’ai pas cherché à avoir autre chose. Mais je me suis dit : « s’il passe par-là pour se présenter ça m’intéresse ». Et après j’en ai parlé autour de moi, une fois que l’audition était passée, et on m’a dit : « Non mais François c’est génial… Tu vas voir ». Ben du coup je me suis dit : « Ah si mes amis me disent que c’est intéressant ! » (Raphaël, entretien S1, pp. 36-37, lignes 43-5).

D’autres détails peuvent être compris à travers les avis d’audition, lorsque l’on a une certaine expérience, une familiarité avec la communauté et des connaissances accumulées. Le lieu où va se dérouler l’audition et le temps imparti peuvent donner des éléments sur l’écriture du chorégraphe, son processus de création, sa notoriété et les lieux dans lesquels la création va potentiellement tourner. Christophe nous explique ce qui a présidé à son choix de répondre à l’avis d’audition de S2 :

« Alors, Éric nous a invités à passer une semaine – il cherchait des garçons – une semaine de stage, enfin d’atelier-rencontre, à la Cartoucherie – Ateliers de Paris, ce qui déjà en soi est une spécificité parce que c’est rare les auditions qui prennent tant de temps que cela. Il avait fait je pense une très grande sélection sur CV. » (Christophe, entretien n°1, S2, p. 129, lignes 37-41).

Christophe expose également ce qui va lui permettre de « filtrer » certains projets :

« Et puis aussi tout ce qui est décrit sur l’annonce qui peut être une occasion de filtrer. Actuellement, je travaille beaucoup en jeune public, avec une compagnie avec qui je travaille depuis plusieurs années. J’apprécie parce que la chorégraphe fait cela très bien. Et j’ai eu l’occasion de voir d’autres annonces pour des projets jeune public, où l’on sentait largement que c’était juste pour remplir les caisses, parce que c’est censé tourner mieux. Et du coup, quand je vois des annonces pour le jeune public, à moins que ce soit quelqu’un avec qui j’ai particulièrement envie de travailler, je me dis que je n’ai pas envie de faire ce que je fais déjà en moins bien. » (Christophe, entretien n°1, S2, p. 129, lignes 19-26).

7.1.3. Composer un curriculum vitae pertinent

Ce décryptage est d’autant plus important que, comme le souligne Sorignet (2012), les pratiques liées à l’usage du CV dans les auditions pour la création contemporaine ont évolué depuis les années 1990 :

« L’évolution du marché de la formation et de celui du travail a rationnalisé les modalités de recrutement. L’examen du CV est devenu systématique : il peut intervenir comme élément de présélection avant la mise en présence du chorégraphe et du danseur, ou comme critère de qualification pendant les différentes phases d’audition. » (Sorignet, 2012, p. 73). Effectivement, les chorégraphes consacrent moins de temps qu’auparavant à former les danseurs. Là encore cette caractéristique du travail est due à un temps de création plus court, au vu de la difficulté à monter un budget de production. Dans les années 1980, entrer en travail avec un chorégraphe était synonyme d’un temps dévolu à la transmission de la gestuelle constitutive du travail du chorégraphe et d’une incorporation plus longue, un temps de familiarisation mutuelle en somme (ce point relativise en partie le caractère classique que nous attribuions à la situation de création S2, cf. supra, p. 124). De plus, l’examen systématique du CV des danseurs va imposer qu’il donne tout de suite des éléments de choix évocateurs et discriminants pour le chorégraphe. Sorignet parle de « stratégies de présentation écrite de soi » (2012, p. 73). Il faut que le chorégraphe y décèle d’une certaine manière des détails lui permettant de se dire que cette personne va pouvoir, très rapidement et sans détour, répondre à ses attentes, nous l’avons déjà dit, attentes souvent non explicites. À la charge donc du potentiel/futur interprète de se mettre en conformité par anticipation, pour que le chorégraphe puisse jauger sur papier.

Cet usage est toutefois à nuancer. En effet, certains chorégraphes doutent de la capacité des CV à dire la réalité et à être idoine à la pragmatique des corps et de la relation humaine. C’est en particulier le cas de François, chorégraphe de la situation 1 (souple) :

« J’ai un intérêt assez moyen pour le curriculum vitae parce que souvent, parfois c’est des noms que je ne connais pas trop, ce sont des démarches que je ne connais pas beaucoup. D’autres fois ce sont des gens qui ont croisé des chorégraphes que je connais davantage mais… Non, non, je fais attention de ne pas trop m’intéresser au curriculum vitae parce que… En fait ce n’est pas le métier qui m’intéresse. Le métier c’est que… Je passe une audition pour des gens qui ont une pratique du corps dans un champ artistique ou esthétique qui s’appelle la danse, voilà… Donc après ça ne garantit aucunement de tomber sur une personne qui a un bon placement dans le

monde, qui a une réflexion sur le monde, qui interroge le monde à travers ce qu’elle peut tenter de faire, qui a un appétit à tenter des expériences nouvelles. » (François, entretien S1, p. 22, lignes 7-15).

Ce type de point de vue, associé à la particularité de chaque nouveau projet, amène le chorégraphe à imaginer des formats d’audition originaux qui correspondent à ses attentes et qui préparent aux bonnes conditions de la collaboration à venir. L’allongement du temps d’audition et une structuration sortant du cours/variation sont symptomatiques du champ actuellement. 7.1.4. Négocier avant même l’audition

Des négociations entre danseurs et chorégraphes ont lieu avant même l’audition. En effet, certains danseurs ne pouvant pas participer à la totalité de l’audition pour cause d’engagement dans d’autres activités vont demander à pouvoir bénéficier d’aménagements particuliers. Avoir des "dates" sur une période d’une semaine peut-être le signe d’une activité intense et donc révéler certaines qualités d’un interprète. Il serait pour ainsi dire dommage pour un chorégraphe de "louper" l’interprète ad hoc. Il serait également mal venu (ou mal vu) pour un chorégraphe d’empêcher un interprète de cumuler deux activités, surtout pour une audition lors de laquelle il pourrait ne pas être retenu. C’est le cas de Christophe (S2, guidée) :

« Alors moi, j’avais des représentations les deux derniers jours donc j’ai demandé à mon arrivée le premier jour, si ça l’embêtait beaucoup que je m’absente les deux derniers. Mais voilà, ça, c’était assez spécifique, le fait de s’engager sur une audition sur une si longue période. Je pense que quelque part, c’est faire preuve de plus d’attention ou de générosité à l’égard des interprètes. » (Christophe, entretien n°1, S2, p. 130, lignes 1-4).

La mise en concordance des calendriers, même pour les jours de répétition à venir, peut se faire là encore avant même l’audition. Éric (chorégraphe de S2) parle de « tamis organisationnels » pour évoquer cette pratique :

« Sur ce projet, en amont du moment où je cherche à rencontrer les danseurs, ils passent par un tas de tamis organisationnels, de la production, etc. […] qui va définir déjà un potentiel de rencontre […] C’est–à-dire que l’artiste aujourd’hui est très rarement, ou en tous cas, c’est comme ça, c’est les calendriers, la réalité de notre travail aujourd’hui, font que l’on est aussi constamment en réajustement de production, de faisabilité des projets […] » (Éric, entretien n°1, S2, p. 45, lignes 19-20 & p. 47, lignes 18-22).

Les négociations peuvent être d’un autre ordre. Nous pourrions parler de négociation des relations. Éric, qui dans un premier temps souhaitait travailler uniquement avec des interprètes avec qui il n’avait jamais travaillé, s’est rendu compte que le temps qui lui était imparti risquait d’être trop court pour tout remettre en jeu. Il entre alors en réflexion et en négociation, cette fois avec les interprètes prévus sur la distribution, afin de trouver un bon