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Les jeux et les enjeux de l’écriture : la postmodernité en question

IV. Troisième partie L’étude transgénérique

2. Statut transgénérique de la postmodernité

2.2. L’autobiographie et windows on the world

Trois grandes tendances peuvent être observées pour l’autobiographie contemporaine : - L’autodiction (la biographie postmoderne).

- L’autoscription (roman familial) - L’autofabulation (autofiction).

Ces trois horizons sont ponctués par deux principaux thèmes : la mort et l’enfance. Par un processus d’anamnèse (évocation du passé) l’enfance est convoquée. Observons puis analysons l’extrait suivant, un épisode de l’enfance du narrateur-personnage Frédéric Beigbeder.

8 h 42

J'ai un problème : je ne me souviens pas de mon enfance. Tout ce que j'en ai retenu, c'est que la bourgeoisie ne fait pas le bonheur. Il fait nuit ; tout est noir. Mon réveil sonne, il est huit heures du matin, je suis en retard, j'ai treize ans, j'enfile mes Kickers marron, je traîne un gros sac US rempli de Stypen, d'effaceurs d'encre, de manuels aussi lourds qu'emmerdants, maman s'est levée pour faire bouillir le lait que nous aspirons bruyamment, mon frère et moi, en râlant car il y a de la peau, avant de descendre en ascenseur vers ce matin noir de l'hiver 1978. Le lycée Louis-le-Grand est loin. Cela se passe rue Coëtlogon, à Paris, dans le VIe arrondissement. Je crève de froid et d'ennui. Je rentre les mains dans mon loden laid. Je me blottis dans mon écharpe jaune qui gratte. Je sens qu'il va se mettre à pleuvoir, et j'ai raté le 84. J'ignore que tout ceci est absurde et ne me servira jamais à rien. J'ignore aussi que cette aube sombre est la seule matinée de mon enfance dont je me souviendrai plus tard. Je ne sais même pas pourquoi je suis si triste — peut-être parce que je n'ai pas le cran de sécher les ours de mathématiques. Charles veut attendre le bus et moi je décide d'aller au lycée à pied, en longeant le Luxembourg par la rue de Vaugirard où vivaient Scott et Zelda Fitzgerald d'avril à août 1928 (au coin de la rue Bonaparte), mais à l'époque je ne le sais pas. . Aujourd'hui, j'habite toujours à côté, rue Guynemer. (WOTW, pp. 58, 59)

Cette rétrospection s’étend sur tout le chapitre représenté par la minute 42. La fonction de cette réminiscence entre dans un processus qui permet la compréhension du présent, de ce qui s’est passé par la suite et aller vers l’enfance permet de définir le futur moi de l’enfant, du

94 Roland Barthes cité dans : Dominique Viart, Bruni Vercier, La littérature française au présent : héritage, modernité et mutation, Paris, Ed. Bordas, coll. La bibliothèque Bordas, 2005, p. 28.

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narrateur qui la relate. La structure autobiographique de Windows on the world se distingue aussi par l’entreprise formelle/structurelle qui convoque les autres arts : cinéma, photographie afin de les mettre à son profit. Elle se construit, donc, dans un dialogue avec ces disciplines « L’autobiographie… interroge à la fois la vie, le sujet et l’écriture… dans une sorte de dialogue élargie avec toutes les autres disciplines qui traitent de l’homme et de son environnement »96

L’exploitation du passé ne s’arrête pas juste à l’enfance mais aussi à la famille, à relier au fait que le roman autobiographique postmoderne s’emploie à aller vers une quête des origines, renvoyant à la notion de roman familial, tendance observée dans l’extrait de

Windows on the world proposé. La première permettant l’expression de l’intériorité et la

seconde de l’antériorité.

Dominique Viart et Bruno Vercier avancent quatre éléments qui traduisent la naissance d’une nouvelle forme et que l’ont peut résumer comme suit :

Le récit familial ou de filiation permet, partant de l’autre, d’arriver à soi, de comprendre ce dernier au sein de son héritage. Mais, l’autobiographique ne suffit plus à son expression, celui-ci (l’autobiographique) se confond avec la fiction et cela engendre des formes telles que l’autofiction. Tout cela servi sous l’égide de l’investigation et l’interrogation de cet héritage. Ainsi est résumé le cheminement de l’autobiographie au sein de notre corpus.

Ce qui nous amène, encore une fois à cette notion d’héritage. En étudiant la thématique de la filiation selon Viart et Vercier celle-ci se trouve liée aux différentes remises en questions des discours, repères ou références. Cela traduit une « crise » de l’écriture qui est une conséquence de l’ère du soupçon et de la débâcle des idiologies du progrès, alors que les figures parentales ne sont plus mises sur un piédestal (perdent de leur valeur). Le point de départ du roman de filiation est avant tout un manque.

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8 h 43

La mienne d'enfance se déroule dans un paradis verdoyant de la banlieue chic d'Austin, Texas. Une maison qui ressemble à celle des voisins, un jardin où l'on s'arrose avec le jet d'eau, une Chevrolet sans toit qui roule vers le désert (…) Mes parents font de gros efforts pour ressembler à un film en Technicolor : ils organisent des cocktails où les mamans comparent la décoration de leurs maisons. Chaque année, nous consommons en moyenne quatre tonnes de pétrole. Le collège? Rien que des Blancs boutonneux à casquette de base-ball qui écoutent le Grateful Dead pour aplatir des canettes de bière contre leur front. Rien de bien méchant : le soleil, les coffee shops, l'équipe de foot, les cheerleaders aux gros seins qui disent «I mean» et «like» dans chaque phrase, pas de nègres sauf le dimanche, à l'église. Oops, pardon, c'est vrai, faut dire « Afro-Américains ». Tout est clean dans mon adolescence : les bars de « lapdan cing » n'existent pas encore et les motels sont interdits aux mineurs (…) J'ai des bagues sur les dents et je joue de la guitare sur ma raquette de tennis Dunlop en bois, devant ma glace, la radio à fond. Les vacances, je les passe dans des «summer camps» : je descends des rivières en dinghy, perfectionne mon service, gagne des parties de water-polo. (WOTW, p. 30)

Dans le chapitre suivant, c’est le narrateur-personnage Carthew Yorston qui prend en charge la narration de son passé, une rétrospection marquée, comme pour le chapitre de Beigbeder, par le simultanéisme des actions, sur le même temps ironique et sarcastique.

Un autre élément pourrait être considéré comme étant autobiographique, la photographie, qui nous donne à voir un passé comme une preuve de ce qui a existé. Pourquoi ce retour vers le passé ? Ces romans peuvent afficher plusieurs versions possibles d’un même événement dans le but réhabiliter, de mettre à nue des injustices ou comme pour les narrateurs-personnages de Windows on the world pour illustrer et expliquer grâce à leur passé, les personnes qu’ils sont devenues.