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C) Le secteur transfrontalier avec la Suisse, usages et usagers

1) L’attrait de la région en termes de niveau de vie

Rapport TREND 2020 – site de LYON - AURA

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72 A noter également qu’Annemasse est classée à la 4ème place des villes les plus inégalitaires de France, selon le dernier rapport annuel de l’Observatoire des inégalités74, et « aujourd’hui, 26 % des emplois genevois sont occupés par des frontaliers, contre 15 % en 2005, et la moitié des actifs d’Annemasse travaille à Genève »75.

De fait, malgré ces disparités économiques d’un côté à l’autre de la frontière, la proximité avec la Suisse offre un certain nombre d’opportunités notamment professionnelles.

Les postes existants dans le Canton de Genève et le Canton de Vaud attirent une main d'œuvre française importante, dont la Suisse est également en partie dépendante76.

Beaucoup d’usagers rencontrés dans le cadre de la mission transfrontalière de l’association l’APRETO, et dans le cadre du dispositif TREND, ont occupé un emploi en Suisse dans le milieu de la restauration, même si très peu ont pu bénéficier d’un permis de travail officiel, et nombre d’entre eux ont aussi migré d’autres départements de France pour venir travailler en Haute-Savoie dans la restauration.

Cette aspiration à occuper ces emplois, idéalement en Suisse, est décrite comme à la base de leur projet migratoire, et même ceux qui ont perdu leur permis de travail, voire qui ont été condamnés à des interdictions de territoires du fait des ennuis judiciaires en lien avec leur consommation de drogues, continuent d’espérer pouvoir retravailler en Suisse.

« Là, j’ai des pistes, j’ai rencontré un mec, il cherche deux gars pour faire la maintenance. Mais là j’peux pas, il me faut un traitement [de substitution aux opiacés]. Du coup, j’suis super motivé. En plus ça paye bien et ils font le permis [permis de travail] » [usager]

« J’ai pas totalement perdu l’espoir de rebosser en Suisse. Parce qu’en Suisse, je faisais quand même des salaires de ministre et même si faut que j’attende jusqu’en 2025, là... j’vais attendre sagement 5 ans... Parce que je suis interdit jusqu’en 2025, j’ai pris 7 ans d’interdiction. » [usager]

De fait, les salaires sont beaucoup plus élevés que ceux proposés en France pour le même type d’emploi, et nombreuses sont les personnes qui optent pour la stratégie consistant à travailler en Suisse mais en restant vivre en France, pour ne pas subir le coût de la vie helvète (immobilier et alimentaire). Néanmoins, le niveau de vie étant globalement plus élevé en zone transfrontalière, les personnes qui y travaillent se retrouvent parfois en difficulté pour se loger, souvent contraintes d’accepter des logements précaires et des sous-locations.

La zone est donc caractérisée par une grande disparité des populations et des inégalités en matière de niveaux de vie.

74 Derrière Neuilly-sur-Seine, Paris et Boulogne-Billancourt. https://www.inegalites.fr/Le-palmares-des-villes-francaises-les-plus-inegalitaires?id_theme=25

75 https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/03/a-annemasse-l-argent-suisse-creuse-les-inegalites_6082596_3224.html

76 « L’économie genevoise est, de manière générale, très dépendante de la main-d’œuvre venant de France, qui constitue sa principale variable d’ajustement pour répondre à la forte croissance de l’emploi. Près de 28% des emplois du Canton sont ainsi occupés par des actifs habitants en Auvergne-Rhône-Alpes. Certains métiers ou compétences sont très recherchés de l’autre côté de la frontière. C’est particulièrement le cas dans l’industrie manufacturière (incluant la haute horlogerie et la mécatronique), dont près de 45% de la main-d’œuvre provient de France (soit 12 000 frontaliers d’Auvergne-Rhône-Alpes). Le recours aux travailleurs de l’étranger est également important dans des secteurs tels que le commerce de détail, la construction ou la restauration. Il l’est également en volume dans les secteurs de la santé et l’action sociale pour lesquels le Canton connaît une pénurie de personnel et s’avère très attractif pour les travailleurs français. En 2016, 12 100 frontaliers de la région exercent dans ce canton un emploi dans ces secteurs, comme infirmiers ou aides-soignants le plus souvent ».

https://www.insee.fr/fr/statistiques/4628543

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73 Au-delà de l’accès à l’emploi, il semble que pour les usagers français qui vivent pour tout ou partie de la mendicité, la ville de Genève soit également plus intéressante, les chiffres cités allant fréquemment au-delà de la centaine d’euros la journée, contre une soixantaine en France.

Une agglomération importante comme Genève permet aussi l’accès à des dispositifs d’accueil et d’aide alimentaire pour les plus précaires, qui n’existent pas ou pas de manière aussi développée dans les plus petites villes françaises du secteur.

Grande proximité et facilité de déplacement

Faire les allers-retours entre la Suisse et la France est rendu particulièrement aisé du fait de l’offre de transports en commun, notamment la ligne du Léman Express, liaison ferroviaire entre la Haute-Savoie et Genève (CEVA), mise en service en décembre 2019. Mais les usagers français rencontrés n’utilisent que peu le CEVA, préférant le bus ou le tramway, les contrôles y étant moins fréquents (le tramway est tout de même relativement contrôlé également par les Douanes, sur la ligne qui va de Genève à Annemasse-centre). Concernant la voie verte, elle est largement utilisée par les usagers, c’est un accès facile, le passage de frontière est simplifié et les contrôles peu présents.

« Tout le long du Foron, ils ont créé des passerelles et donc t’as les quatre ou cinq douanes officielles et t’as tous les passages non officiels, entre la voie verte, etc. T’as une quinzaine de passages » [éducateur – Suisse]

Concernant les usagers natifs de la Haute Savoie, tous mettent en avant le fait d’avoir eu l’habitude très tôt de venir à Genève ou en Suisse. Pour eux, la notion de frontière à franchir n’est que peu marquée. Si l’on sait ce que l’on vient chercher de part et d’autre, « on pourrait presque oublier que l’on change de pays » [responsable d’observation], sentiment renforcé par la langue commune entre la France et le Canton de Genève.

Les jeunes et l’attirance vers la Suisse

Nous restituons ici quelques dynamiques apparues lors des entretiens menés auprès de professionnels de la prévention spécialisée en France et en Suisse, concernant les jeunes transfrontaliers et leurs aspirations envers la Suisse, même si celles-ci ne sont pas nécessairement en rapport direct avec les consommations de produits (encore que des intervenants en milieu scolaire indiquent aussi que le niveau de vie des parents et l’argent de poche parfois conséquent - plusieurs centaines d’euros par mois - de certains jeunes se double d’un accès à des produits comme la cocaïne plus aisément que d’autres jeunes moins fortunés).

Beaucoup de ces jeunes manifestent le désir de trouver un emploi en Suisse, qu’ils se représentent comme plus rémunérateur quelque soit leur niveau de qualification, sans besoin donc d’en passer par des études en France, Pour certains éducateurs cela peut être à l’origine d’une forme de « décrochage scolaire ».

Un rapport bénéfice-coût s’établie donc, forcément en faveur de la Suisse (« ne pas être un pigeon et travailler en France » [éducateur rapportant les propos d’un jeune]), et le statut de travailleur transfrontalier fait ainsi office de « Graal » [éducateur], principal objectif d’avenir, certains éducateurs pouvant se désoler d’une ambition limitée à l’aspect monétaire, presque inexorable (« La Suisse, elle empêche [les jeunes] de faire des choix »). En effet plusieurs éducateurs mentionnent le peu de considération de nombreux jeunes pour les types d’emplois et les conditions de travail qu’ils trouveront en Suisse, éludant la question d’un marché du travail beaucoup plus précaire, des

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74 licenciements sans préavis, et des emplois disponibles pour eux dans des secteurs les moins bien payés : ménage, livraison, restauration.

Si, d’une manière générale, le fait de réussir pour les jeunes à « basculer » vers la Suisse reste néanmoins perçu comme un « eldorado » permettant d’accéder à un avenir plus confortable, l’effet ascenseur social est d’autant plus accentué pour des jeunes issus de familles plus précaires et notamment en lien avec des parcours migratoires. « C’est des jeunes issus de familles issues de l’immigration, 2ème ou 3ème génération. Je trouve qu’il y a d’une part ce côté de revanche sociale...

un peu de « je viens d’un quartier populaire ou d’une famille populaire et je vais accéder à une richesse énorme. » [éducateur]

« C’est un rêve qui est international. Je rencontre des jeunes qui ont traversé la Méditerranée sur des bateaux de fortune pour ça. Parce que ceux qui sont arrivés ici via les réseaux sociaux, ils font saliver ceux qui sont en Afrique du Nord ou en Afrique ou au Portugal ou dans d’autres pays. » [éducateur]

Cette volonté de passer la frontière se fait aussi pour les jeunes issus de l’immigration maghrébine avec le sentiment, plus ou moins en accord avec la réalité qu’ils subiront, d’une moindre stigmatisation liée à leur origine « ethnique » en Suisse.

« Ça se voit d’autant plus avec les jeunes de quartier. En France, j’suis le jeune de quartier qui fout la merde etc… et de l’autre côté, les populations étrangères, c’est les Emirats, l’Arabe n’a pas la même image. Parce que les Arabes qui viennent en Suisse sont pétés de tunes. […] Comme s’ils pouvaient avoir cette image-là de l’autre côté, du coup ils jouent de ça, ils jouent vraiment de ça. » [éducateur]

Enfin, pour les jeunes, il est également question d’image de soi et de valorisation à exposer sa réussite potentielle avec l’accès à du travail en Suisse (« La première question qu’on va te poser quand tu vas à une soirée, tu bosses en Suisse ? »). Beaucoup de jeunes accédant à ce statut de travailleurs frontaliers vont « se mettre en représentation » (exposant leur vêtements, bijoux, véhicules de luxe, etc.) [éducateur]