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C) Le secteur transfrontalier avec la Suisse, usages et usagers

2) L’accès aux produits spécifiques à la région

Rapport TREND 2020 – site de LYON - AURA

74 licenciements sans préavis, et des emplois disponibles pour eux dans des secteurs les moins bien payés : ménage, livraison, restauration.

Si, d’une manière générale, le fait de réussir pour les jeunes à « basculer » vers la Suisse reste néanmoins perçu comme un « eldorado » permettant d’accéder à un avenir plus confortable, l’effet ascenseur social est d’autant plus accentué pour des jeunes issus de familles plus précaires et notamment en lien avec des parcours migratoires. « C’est des jeunes issus de familles issues de l’immigration, 2ème ou 3ème génération. Je trouve qu’il y a d’une part ce côté de revanche sociale...

un peu de « je viens d’un quartier populaire ou d’une famille populaire et je vais accéder à une richesse énorme. » [éducateur]

« C’est un rêve qui est international. Je rencontre des jeunes qui ont traversé la Méditerranée sur des bateaux de fortune pour ça. Parce que ceux qui sont arrivés ici via les réseaux sociaux, ils font saliver ceux qui sont en Afrique du Nord ou en Afrique ou au Portugal ou dans d’autres pays. » [éducateur]

Cette volonté de passer la frontière se fait aussi pour les jeunes issus de l’immigration maghrébine avec le sentiment, plus ou moins en accord avec la réalité qu’ils subiront, d’une moindre stigmatisation liée à leur origine « ethnique » en Suisse.

« Ça se voit d’autant plus avec les jeunes de quartier. En France, j’suis le jeune de quartier qui fout la merde etc… et de l’autre côté, les populations étrangères, c’est les Emirats, l’Arabe n’a pas la même image. Parce que les Arabes qui viennent en Suisse sont pétés de tunes. […] Comme s’ils pouvaient avoir cette image-là de l’autre côté, du coup ils jouent de ça, ils jouent vraiment de ça. » [éducateur]

Enfin, pour les jeunes, il est également question d’image de soi et de valorisation à exposer sa réussite potentielle avec l’accès à du travail en Suisse (« La première question qu’on va te poser quand tu vas à une soirée, tu bosses en Suisse ? »). Beaucoup de jeunes accédant à ce statut de travailleurs frontaliers vont « se mettre en représentation » (exposant leur vêtements, bijoux, véhicules de luxe, etc.) [éducateur]

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75 Certains n’hésitent pas à faire de nombreux kilomètres pour venir à Genève afin de trouver du produit.

« J’ai fait une saison à Lyon, je revenais toutes les semaines à Genève par le train chercher mes grips [sachets d’héroïne], j’ai fait une saison dans le Beaujolais, je revenais chercher, j’ai fait une saison en Ardèche je revenais chercher. » [usager]

« En station, du produit mais très cher, trop cher, ça valait plus le coup de payer le billet de train et de revenir [sur Annemasse], 50 € le gramme au lieu de 20 ici. Sachant que moi, je venais, je faisais le déplacement des fois pour 500 €, pas venir pour rien non plus. » [usager]

Pour la plupart des usagers rencontrés, vivre dans ce secteur semble avoir contribué à considérablement intensifier voire modifier leurs consommations, notamment du fait de la disponibilité et des tarifs parfois moins élevés qu’ailleurs en région AURA (y compris au sein même des réseaux albanais, où le grip/zip est à 100 francs suisses soit 90 euros au lieu de 100 euros côté France, et beaucoup moins cher toujours que l’héroïne à 30 ou 40 euros le gramme dans d’autres réseaux) et la disponibilité aussi de très petites quantités à l’achat (0,25 g d’héroïne, 0,3 g de cocaïne, etc.)

« La façon de vendre et de la consommer est différente. En France, en tous les cas loin d’ici, on vend l’héro, la coke, au gramme. Nous, y a bien des années, des dizaines d’années qu’on entend plus parler de kepa, de 0,25. […] Quand je suis revenu ici [Annemasse], que je suis allé en Suisse et que j’ai vu les kepas, les 0,25 même des 0,2… Les mecs, ils me faisaient même 5 paquets avec 1 g, ça m’a fait revenir des années en arrière ». [usager]

La cocaïne est jugée très disponible également, parfois au sein des mêmes réseaux, sur la ville de Genève comme sur des plus petites villes côté France (cf. partie I.A trafics) (24 kg sont saisis sur le Canton de Genève en 2020, un taux plus faible que les années précédentes entre 30 et 77 kg mais qui reste conséquent) et nous évoquions également parfois la revente de cailloux de cocaïne déjà basée (crack) sur Genève.

Des produits plus consommés en espace festifs circulent aussi particulièrement, comme la MDMA ou même la méthamphétamine, cette dernière étant très peu accessibles ailleurs en région (cf. I.D.4 chemsex).

Pour le cannabis, c’est plutôt la France qui attire en partie des usagers suisses, le produit étant plus accessible de ce côté de la frontière (plus de lieux de reventes et à des prix surtout beaucoup plus bas : le gramme de résine en Suisse pouvant aller jusqu’à 10 francs suisses, soit plus de 9 €).

« On vient se fournir parce qu’on a une soirée et, en même temps, on prend un tacos [sandwiche] Après, on s’en va. » [usager Suisse]

« Ils [les jeunes] viennent consommer tout court. Ils vont s’acheter les tacos, ils vont s’acheter les vêtements, ils vont beaucoup en France. Ben, tout ce qui est moins cher, ils vont le consommer 77» [éducateur de rue – Suisse]

L’acheminement du cannabis par les réseaux entre la France et la Suisse se fait aussi via des « mules », qui transportent par valises parfois plusieurs kilos. Plusieurs interpellations à la frontière ont lieu,

77Effectivement d’autres services et activités moins chers en France sont aussi prisées des jeunes suisses « Les jeunes qui vont en France voisine, c’est essentiellement dans les bars à chicha. [en Suisse] y’a des bars mais c’est cher». [éducateur de rue Suisse]. A l’inverse, de jeunes français vont en Suisse pour des loisirs comme les piscines l’été, les balades dans Genève, l’offre culturelle qui y est plus développée ou pour faire des achats moins chers sur la Suisse tel que le tabac, ou encore bénéficier d’activités de prostitution (activité légale en Suisse).

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76 notamment aux abords d’une ville comme Thônex (qui a un poste frontière avec Gaillard en France, ville limitrophe d’Annemasse), où les trafics sont importants. « C’est une des communes où il y a le plus de saisies, le plus d’échanges. C’est vraiment une plaque tournante. » [éducatrice de rue – Suisse]

Les réseaux sont aussi en partie communs, de part en d’autres de la frontière, avec des connexions entre les personnes importantes.

« Y’a beaucoup de liens de toute façon entre les jeunes. Y’en a plein qui se connaissent par rapport à ça, c’est clair. Ils se connaissent très bien ; en fait c’est les mêmes réseaux, dès qu’on remonte au-dessus du consommateur c'est-à-dire aux vendeurs et ils se connaissent tous, ils atterrissent tous à Champ Dollon78, les français aussi […], on s’aperçoit que c’est le même maillage. » [éducateur]

Mais les modalités de vente peuvent être différentes :

« A Thônex [Suisse] on n’en est pas comme à Gaillard ou Ville- la-Grand d’ailleurs, où t’as une vente vraiment comme un drive en plein air tout le temps, avec les petits qui chouffent. Ici, c’est plus discret. Ça fait moins... y’a pas la même dynamique de quartier. Ça se fait mais plus discrètement ».

Cela peut être mis en lien avec les stratégies policières et la pression (policière et douanière) jugée forte sur le secteur, et principalement en Suisse, induisant beaucoup de déplacements. Des éducateurs expliquent :

« Une très très forte pression policière et douanière qui fait que les jeunes se déplacent sans arrêt. Ils sont très mobiles et ils vont plutôt sur les communes périphériques pour consommer. »

« T’as la douane officielle mais t’as la douane volante. Les douaniers sont sans arrêt à circuler sur l’espace public. Il se passe pas une journée sans qu’on croise pas les douanes volantes. »

« Une présence policière monstrueuse. Tu peux pas rester 10 mn quelque part sans être déplacé. »

Le travail policier est, lui aussi, concerné par les enjeux de circulation transfrontalière, des individus et, avec eux, des produits. Les collaborations sont de mise depuis longtemps (cf. opération « Hydra »).

« Ils travaillent beaucoup avec la France, que ce soit les policiers municipaux ou les cantonaux.

Et pis y’a des gardes-frontières tout le long de la voie verte où ils font énormément de saisie. » [éducatrice de rue - Suisse]

« Ils font des binômes aussi, ils vont des deux côtés. Le Covid les a quand même pas mal impactés mais ils sont très proches. Thônex, Gaillard, Canton et pis Annemasse. Ils se connaissent, ils se fréquentent, ils échangent et pis… Mais là aussi, les moyens sont pas les mêmes, c’est hallucinant. » [éducatrice de rue - Suisse]

La répression des personnes impliquées dans le trafic mais aussi des consommateurs se déploie de manière différente en Suisse et en France.

«[en Suisse] Ils peuvent faire des interdictions de quartier aux jeunes, temporairement… mais ça peut être prolongé jusqu’à trois mois. Donc, en général, si y’en a un qui fait l’objet d’une interdiction de quartier comme ça, pis y’a pas intérêt à tricher parce que si il se fait chopper ça

78 Champ Dollon est un établissement pénitentiaire de Genève.

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77 va lui coûter vraiment très cher financièrement, donc toute sa bande se déplace. Du coup c’est très efficace. » [éducateur en prévention - Suisse]

Les amendes pouvant être converties en jours de prison, les incarcérations sont très fréquentes sur le Canton de Genève, y compris pour les usagers français, assorties parfois de la perte du permis de travail en Suisse, voire d’interdictions de séjour. Néanmoins, le Canton de Genève est réputé moins sévère que celui de Lausanne concernant la répression des usagers de drogues, qui y sont parfois moins ennuyés pour quelques grammes si la quantité de produit saisie peut être imputable à leur seule consommation.

« Ici [à Genève] si ils t’attrapent avec un zip, y’a moins de 5 grammes, ils savent que c’est ta conso et ils vont te lâcher la grappe. Ils vont pas forcément être aussi durs [qu’à Lausanne]»

[usager]

« La dernière fois qu’on m’a choppé... qu’on m’a contrôlé et que j’avais quelque chose, il m’a bien dit si t’as ton zip ouvert, ton zip de consommation ouvert, on va te gronder mais voilà on va pas te mettre en prison ». [usager]

Notons enfin, concernant spécifiquement les périodes de confinement, que la fermeture des frontières avec la Suisse a rendu beaucoup plus difficile l'accès à des produits d'ordinaire obtenus sur place (à Genève principalement), notamment certains médicaments uniquement disponibles au marché noir en Suisse (notamment le Dormicum®79, cf. rapport TREND précédent). En effet, ne pouvaient se rendre en Suisse que les personnes justifiant d’un permis de travail frontalier et d'une attestation de l’employeur. Certains usagers ont réussi malgré tout, en passant par des petits chemins ou par la piste cyclable, mais d'autres ont eu des expériences moins chanceuses, qui ont abouti à des interpellations par l’armée Suisse, des reconduites à la frontière et des amendes. Certains usagers français et en grande précarité ont ainsi fait le choix, à l'annonce du confinement et de la fermeture des frontières, de rester en Suisse pour être sûrs de bénéficier des abris de nuit et de l'accès aux produits, ainsi que de l'accès à la salle de consommation à moindre risque de Genève.

79 « Le Dormicum©, dit “dodo”, est un médicament benzodiazépine hypnotique (la molécule est le midazolam, commercialisé en France sous la marque Hypnovel©), habituellement prescrit dans le cadre de maintien de la sédation lors de soins intensifs,

qui se trouvent très facilement sur le marché de rue à Genève. Une plaquette de 10 cachets s’obtient pour 30 francs (soit 26,30 €), le cachet à l'unité entre 5 et 7 francs (soit 4,38 €- 6,13€). Il va être injecté, fumé ou sniffé, et induit des effets

jugés proches de l’héroïne, certains usagers l’utilisent pour pouvoir dormir, ou « redescendre » d’autres consommations (de stimulants notamment), comme souvent pour les médicaments benzodiazépines, et des consommations importantes sont constatées ». Rapport TREND 2019.

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