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Chapitre 1 : Les psychotraumatismes

4. Le trauma complexe

4.3. L’impact développemental du trauma complexe

4.3.1. L’attachement

La relation précoce à l’aidant naturel procure un contexte relationnel dans lequel l’enfant développe ses premières conceptions de soi, d’autrui et de relation à l’autre. Le type d’attachement procure également les fondements qui permettront le développement d’autres compétences comme les capacités d’autorégulation, le sentiment de sécurité à découvrir son environnement, l’agentivité ou encore la capacité à recevoir et émettre de l’information. Cette relation aidant-enfant peut être à l’origine du trauma ou en faire l’objet et aboutir, par la même occasion, à perturber le développement de ces premières compétences. Les études sur

l’attachement distinguent globalement les patterns d’attachement sécure et insécure (Ainsworth, Blehar, Waters, & Wall, 1978).

Le pattern d’attachement sécure représente 55 à 65% de la population non-clinique et il est supposé être le résultat de la relation à l’aidant naturel. Celui-ci apporte des réponses contingentes aux sollicitations infantiles procurant ainsi stimulation et soin. Les enfants sont capables d’internaliser les stratégies de régulation de l’aidant naturel et apprennent à communiquer et interpréter les signaux non-verbaux. Un aidant naturel capable de répondre face à un stress traumatique offre à un enfant un environnement favorable dans lequel il est possible de récupérer d’une expérience éprouvante. A l’inverse, un pattern d’attachement insécure est systématiquement retrouvé chez 80% des enfants maltraités. Ces échecs à créer une relation dyadique sécure engendreraient un environnement de vulnérabilité qui favoriserait l’exposition au trauma complexe. Suite à une telle exposition, une forme d’attachement insécure ou anxieux peut également être aggravée si l’enfant perçoit que l’aidant naturel est trop en difficulté pour faire face à cette expérience.

Les patterns d’attachement insécure peuvent être classés en insécure évitant, ambivalent ou désorganisé. La forme « évitant » a été associée au rejet par l’aidant naturel. Les parents qui rejettent leur enfant de façon répétée peuvent leur apprendre à ignorer ou à se méfier de leurs émotions, des relations interpersonnelles voire même de leur propre corps. Cette forme de rejet peut aussi s’étendre aux autres adultes et aux pairs (Ainsworth et al., 1978). Lorsque les parents alternent entre validation et invalidation de façon prévisible, l’enfant a plutôt tendance à développer un pattern d’attachement ambivalent et apprend à anticiper ces changements. Souvent, ces enfants se désengagent d’une relation dès que l’autre montre les premiers signes de rejet ou d’engagement excessif. Enfin, l’attachement désorganisé résulte de l’absence de co-régulation perturbant toutes les compétences biopsychosociales (Cassidy & Mohr, 2001; Cicchetti & Toth, 1995; Maunder & Hunter, 2001). Cette forme d’attachement chez le jeune enfant implique un comportement erratique envers les aidants naturels (à tour de rôle « collant », détaché ou agressif) et interférerait avec le développement des connexions neuronales (Schore, 2001). Elle perturberait la régulation émotionnelle, la gestion du stress, l’empathie, les comportements pro-sociaux et le recours au langage pour résoudre les conflits relationnels. Avec le temps, l’attachement désorganisé mènerait aux symptômes du SPT et aux troubles de la personnalité borderline et antisociale (Herman et al., 1989).

4.3.2. Biologie

Le développement neurobiologique suit des programmes génétiques qui peuvent être modifiés par des stimuli externes. On suppose que des niveaux extrêmes (faibles ou élevés) de stimulation déclencheraient des ajustements qui dépendent des structures et voies cérébrales formées au cours du développement (Perry & Pollard, 1998). Durant les premiers mois de la vie, seuls le tronc cérébral et le mésencéphale sont suffisamment développés pour soutenir et modifier les fonctions basiques du corps et de la vigilance. Ces structures primitives régulent le système nerveux végétatif et ses voies efférentes sympathiques et parasympathiques (voir chapitre 2). L’absence de réponse d’un aidant naturel peut mener à une réactivité permanente au stress qui a pour conséquence de susciter une réponse massive et dysfonctionnelle même en présence d’un stress léger (Gunnar & Donzella, 2002).

Au cours du développement infantile, le cerveau développe plusieurs fonctions responsables : 1) de la sélection des informations sensorielles pertinentes (thalamus et cortex sensorimoteurs), 2) de la détection (amygdale) et de la réponse défensive (insula) aux menaces potentielles, 3) de la reconnaissance d’information ou de stimuli environnementaux véhiculant des contextes significatifs pour l’individu (région hippocampique) et 4) de la coordination rapide de réponses dirigés vers un but (région tegmentale ventrale et striatum). Durant cette période, la prédominance hémisphérique droite (sensation et perception) s’empare progressivement de l’hémisphère gauche responsable du langage, des raisonnements abstraits et de la planification à long terme (De Bellis et al., 2002; Kagan, 2002). Ainsi l’enfant devient progressivement capable de réagir spécifiquement à son environnement interne et externe plutôt que de répondre de façon reflexe à n’importe quel stimulus. Le trauma interfère dans l’intégration de ces fonctions cérébrales hémisphériques droite et gauche et cela expliquerait la façon dont se comportent les enfants traumatisés lorsqu’ils sont stressés. En effet, les enfants abusés ou négligés font souvent preuve d’importants écarts entre la façon dont ils se représentent eux-mêmes et la façon dont ils interagissent avec leur environnement. Lorsqu’ils sont stressés, leurs capacités d’analyse (hémisphère gauche) sont désorganisées et leurs schémas émotionnels concernant le monde (hémisphère droit) prennent le dessus, provoquant des réactions incontrôlées d’impuissance et de rage (Crittenden & DiLalla, 1988; Kagan, 2002; Teicher, Andersen, Polcari, Anderson, & Navalta, 2002).

Durant la petite enfance, les perturbations biologiques augmentent le risque de trouble envahissant du développement (comme l’autisme), de trouble de l’apprentissage (comme la dyslexie) ou de trouble de la régulation cognitive ou comportementale (p. ex. TDAH). De plus l’exposition à un stress traumatique (ou un manque de capacité d’autorégulation) associée à

une relation insatisfaisante aux aidants naturels perturbent le développement des capacités cérébrales nécessaires à la formation de relations d’interdépendance (retrouvées dans l’anxiété de séparation ou le trouble oppositionnel avec provocation), ainsi que la modulation des réponses affectives au stress (p. ex., dépression majeure, phobie ; Kaufman, Plotsky, Nemeroff, & Charney, 2000).

Au milieu de l’enfance et durant l’adolescence, les structures cérébrales qui se développent le plus rapidement sont responsables de trois activités essentielles au fonctionnement exécutif impliquées dans l’autonomie et l’engagement dans les relations : 1) la conscience de soi et l’engagement envers l’autre (cortex cingulaire antérieur ; CCA), 2) la capacité à évaluer la valence et le sens des expériences émotionnelles complexes (cortex orbito-frontal) et 3) la capacité à déterminer des séquences d’actions basées à la fois sur les expériences antérieures et sur la création d’un propre cadre de référence à partir de la compréhension des perspectives d’autres personnes (cortex préfrontal dorso-latéral). De plus, à l’adolescence, le cerveau subit un pic de développement dans ces régions ainsi que celles du système limbique (particulièrement l’hippocampe) notamment sous l’effet de la myélinisation des fibres nerveuses. Ce processus serait en jeu dans la consolidation des nouveaux apprentissages qui constitueront un système de mémoire de travail stable et facilement accessible (Benes, Turtle, Khan, & Farol, 1994). Dès lors, un stress traumatique ou une carence préexistante des capacités de régulation associés à des relations insatisfaisantes avec les aidants ou les pairs peut conduire à la perturbation de l’autorégulation (TCA), de la réciprocité interpersonnelle (trouble des conduites), de l’orientation vers la réalité (troubles de la pensée) ou à une combinaison de ces perturbations (trouble de la personnalité borderline, addiction chronique).

Pour autant, ces conséquences biologiques sont réversibles. Plusieurs études ont montré qu’un stress précoce (ou plus tardif) associé à une relation satisfaisante à l’aidant naturel (ou encore lorsque sont réinstaurées des opportunités d’exploration de l’environnement hors de tout danger) peuvent faciliter un retour de l’intégrité biologique. Au niveau biologique, ces expériences augmentent le fonctionnement de l’hippocampe et du cortex préfrontal ; au niveau comportemental elles favorisent la curiosité, les relations sociales, la mémoire de travail et la gestion de l’anxiété. (Champagne & Meaney, 2001; Gunnar & Donzella, 2002; Schore, 2001). De même, la restauration d’une relation sécure à l’aidant naturel après un stress précoce est un facteur protecteur qui réduit sur le long terme les possibles perturbations biologiques ou comportementales (Gunnar & Donzella, 2002).

4.3.3. Dissociation

La dissociation est une des caractéristiques clés du trauma complexe chez l’enfant. Elle est définie comme l’incapacité à intégrer ou associer une information à l’expérience qui en est faites habituellement (Putnam, 1997). Dès lors, la cognition peut être expérimentée sans affect, l’affect sans cognition et les sensations somatiques ou répétitions comportementales peuvent se produire sans en avoir conscience (Chu, 1991). La dissociation est un processus dimensionnel qui s’étend sur un continuum allant, par exemple, de la simple perte du fil de ses pensées en conduisant sa voiture aux troubles dissociatifs, en passant par la dissociation péritraumatique suite à l’exposition à un événement traumatique. Bien qu’elle soit initialement un mécanisme de défense protecteur envers des expériences traumatiques bouleversantes, elle peut aussi devenir, sous certaines conditions d’exposition chronique, la problématique centrale de la prise en charge. L’impact de la dissociation péritraumatique sur le développement d’un SPT est bien établi (Weiss, Marmar, Metzler, & Ronfeldt, 1995).

La dissociation a été reliée à plusieurs marqueurs biologiques. Des études utilisant la

Dissociative Experiences Scale (Bernstein & Putnam, 1986) rapportent qu’elle est corrélée à

une diminution du volume de l’hippocampe gauche (Stein, Koverola, Hanna, Torchia, & McClarty, 1997) et une diminution des niveaux de neurotransmetteurs (et de leurs métabolites) dans le fluide cérébrospinal (Demitrack et al., 1993). De plus, la dissociation serait spécifiquement reliée à l’axe Hypothalamo-Hypophyso-Surrénalien (HHS ; Putnam, 1997).

Selon Putnam (1997), les trois fonctions primaires de la dissociation sont l’automatisation du comportement face à des circonstances psychologiques bouleversantes ; la compartimentation de la mémoire douloureuse et des sensations, et le détachement envers soi. Quand le trauma se chronicise, l’enfant aura de plus en plus tendance à recourir à la dissociation pour réguler ses expériences, le conduisant à des problèmes de régulation de ses comportements, de ses émotions et de la construction de soi.

4.3.4. Régulation comportementale

Le trauma chronique infantile est associé à la fois à des patterns de sur- et de sous- contrôle comportemental. Le sur-contrôle est une stratégie qui peut contrebalancer le sentiment d’impuissance expérimenté quasi-quotidiennement par les enfants traumatisés. Dès l’âge de deux ans, on a observé que les enfants abusés présentaient des patterns de contrôle comportemental rigide (comme la compliance compulsive envers les requêtes des adultes ; Crittenden & DiLalla, 1988). Beaucoup d’enfants traumatisés sont très résistants au

changement de leur routine et arborent ces rigidités comportementales dans leur rituel de lavage ou dans le contrôle des aliments qu’ils ingèrent.

Le manque de contrôle comportemental (ou impulsivité) tiendrait en partie à un déficit des fonctions exécutives, notamment des capacités cognitives responsables de la planification, de l’organisation, de la temporisation et du contrôle des comportements. Ces déficits des fonctions exécutives sont bien documentés chez l’enfant traumatisé (voir 4.3.5. Cognition). L’une des conséquences concerne l’augmentation des réponses impulsives telles que l’agression. D’ailleurs, le trauma précoce est significativement associé au développement de troubles du contrôle de l’impulsivité comme le trouble oppositionnel avec provocation (e.g., Ford et al., 2000).

Une autre manière de comprendre ces patterns comportementaux est de les concevoir comme une adaptation défensive au stress. Les enfants rejoueraient certains aspects comportementaux de leur trauma (agression, automutilation, comportements sexués, etc.) dans une forme de réaction automatique à un élément leur rappelant le trauma ou comme une tentative pour maîtriser ou contrôler ces expériences. Ces enfants utiliseraient également ces stratégies pour faire face aux expériences de régulation internes déficitaires. Par exemple, en absence de stratégie plus efficace, ils ont recourt à la consommation de substance pour court- circuiter les expériences émotionnelles. Pour ces raisons, un passif d’expériences traumatiques infantiles a été lié à de nombreuses conséquences négatives telles que l’utilisation et l’abus de substance, le suicide et autres comportements d’automutilation, l’activité criminelle ou encore la revictimisation (Felitti et al., 1998).

4.3.5. Cognition

Pendant l’enfance et la petite enfance un premier modèle du monde se construit et le socle des fonctions cognitives que les enfants utiliseront plus tard se développe. Plus spécifiquement, ils développent les premiers sentiments de soi ainsi qu’un sens primitif de la relation à l’autre, des relations causales et de l’agentivité. Les études longitudinales soutiennent qu’il existe un lien entre parents abusifs ou négligents et perturbation tardive de ces fonctions cognitives (Egeland, Sroufe, & Erickson, 1983). La privation sensorielle et émotionnelle associée à la négligence semble en effet particulièrement nuisible au développement dans la mesure où les nourrissons et les jeunes enfants négligés montrent des retards de la production et de la compréhension du langage ainsi qu’un QI moyen en retrait (Allen & Oliver, 1982; Culp et al., 1991; Vondra, Barnett, & Cicchetti, 1990). Ces retards cognitifs ont tendance à se maintenir avec l’âge et on observe que les enfants négligés ou

maltraités représentent une proportion de la population touchée par le retard mental (Sandgrund, Gaines, & Green, 1974).

Au moment de la scolarisation, le fonctionnement scolaire va constituer un domaine important au développement de nombreuses compétences. Pour autant, la performance scolaire est grandement influencée par la capacité des enfants à réguler leurs expériences internes et par les interactions qu’ils nouent aves les pairs. Dès la maternelle, les enfants maltraités manifestent des déficits dans ces deux domaines qui vont se caractériser par une intolérance à la frustration, davantage de colère ou de non-compliance et davantage de dépendance envers les autres (Egeland et al., 1983; Vondra et al., 1990). A l’école primaire, les enfants maltraités sont moins persévérants envers les tâches difficiles voire, ils les évitent ; ils sont également très dépendants vis-à-vis de l’aide et des réactions des enseignants (Shonk & Cicchetti, 2001). Au collège et au lycée, leurs résultats sont plus fréquemment en dessous de la moyenne que ce soit en quantité de travail ou dans leur capacité à apprendre. Ils présentent également des taux beaucoup plus élevés de suspensions et de renvois (Eckenrode, Laird, & Doris, 1993).

Durant la petite enfance, les enfants maltraités montrent moins de flexibilité ou de créativité dans les tâches de résolution de problèmes que leur pairs du même âge (Egeland et al., 1983). A la fin de l’enfance, les enfants et adolescents présentant un diagnostic de SPT secondaire à un abus ou ayant assisté à des violences montrent des déficits de l’attention, du raisonnement abstrait et des fonctions exécutives (Beers & De Bellis, 2002). De plus, la maltraitance est associée à une progression continue (de la petite enfance au collège) des perturbations exécutives alors que des enfants non-maltraités, souffrant pourtant d’un trouble psychiatrique, présentent un retard dans leur courbe de progression qui au fil du temps se rapproche de celle d’enfants témoins (Mezzacappa, Kindlon, & Earls, 2001).

Au début du primaire, les enfants maltraités sont plus souvent orientés vers les services d’enseignement spécialisés (Shonk & Cicchetti, 2001). Les antécédents de maltraitance sont associés à de moins bonnes notes, de plus faibles résultats aux tests standardisés ainsi qu’aux autres indices de réussite scolaire. Les enfants maltraités ont également des taux significativement plus élevés de redoublement et d’abandon des études (OR = 3). Ces résultats ont été démontrés pour une grande variété de situations traumatiques (abus physique ou sexuel, négligence, exposition aux violences domestiques) et ne peuvent pas être expliqués par d’autres facteurs de stress psychosociaux comme la pauvreté (Cahill, Kaminer, & Johnson, 1999; Kurtz, Gaudin, Wodarski, & Howing, 1993; Shonk & Cicchetti, 2001).

4.3.6. Concept de soi

La relation précoce à l’aidant naturel influence profondément le développement d’un sentiment de soi cohérent. Au fil du temps, l’enfant consolide et intériorise un sens de l’identité sûr, stable et intègre (Bowlby, 1988). Un aidant naturel réactif et sensible ainsi que des expériences précoces positives contribuent à ce que l’enfant développe un modèle de soi intègre et compétent. En revanche, la répétition d’expériences nuisibles ou de rejets associés à l’échec du développement des compétences nécessaires à cette période sont susceptibles de conduire à un sentiment de soi incompétent, sans défense, carencé et indigne d’amour. De plus, ces altérations de la représentation de soi impactent la capacité à faire face aux expériences traumatiques (Liem & Boudewyn, 1999). Les enfants qui se perçoivent comme désarmés ou incompétents et qui s’attendent à être rejetés ou méprisés par les autres sont plus susceptibles de s’en prendre à eux-mêmes quand ils ont une expérience négative ou lorsqu’ils ont des difficultés à solliciter un support social ou à y répondre.

Ces altérations du sentiment de soi se manifestent dès la petite enfance chez les enfants traumatisés. En effet, on a montré que dès l’âge de 18 mois, les bébés traumatisés sont plus susceptibles de répondre à une tâche de reconnaissance de soi par des affects neutres ou négatifs (Schneider-Rosen & Cicchetti, 1991). A la période préscolaire, ils présentent davantage de résistance à parler de leurs états internes, notamment ceux perçus comme négatifs (Cicchetti & Beeghly, 1987). Ils ont également des problèmes à estimer leur propre niveau de compétence : l’exagération précoce de leurs compétences en maternelle laisse place à une profonde sous-estimation à la fin du primaire (Vondra, Barnett, & Cicchetti, 1989) qui, lorsqu’ils deviennent adultes, favorisent de hauts niveaux d’auto-culpabilisation (Liem & Boudewyn, 1999).

Enfin, le coping par dissociation complique encore le développement d’un sentiment cohérent de soi. L’utilisation fréquente de la dissociation mène à des perturbations significatives du sentiment de continuité mnésique et intégrative de soi (Putnam, 1993). Avec le temps, le recours au coping par dissociation peut mener à de sérieuses perturbations de l’intégration et du développement de l’identité dû à la perte de mémoire autobiographique ainsi qu’au manque de continuité des expériences. Aussi, la dissociation chronique est associée au développement de troubles dissociatifs dans lesquels la formation d’une identité dissociée devient source de coping inadapté (van der Kolk, Hart, & Marmar, 1996).

4.3.7. Processus émotionnels

Les perturbations neurobiologiques évoquées précédemment sont impliquées dans la régulation émotionnelle et conduisent à de nombreuses manifestations de dérégulation émotionnelles chez l’enfant traumatisé. Ces déficits dans la capacité à réguler les expériences émotionnelles peuvent être classés en trois catégories : 1) l’identification des expériences émotionnelles internes, 2) l’expression des émotions et 3) la modulation de l’expérience émotionnelle.

Pour identifier correctement les expériences émotionnelles internes, il faut pouvoir différencier les états d’excitations émotionnelles (arousal), les interpréter et les étiqueter correctement. A la naissance, les enfants ont très peu de capacité discriminative envers ces

arousals (stade indifférencié). C’est surtout la prédictibilité et la différentiation des réponses

apportées par l’aidant naturel aux besoins spécifiques de l’enfant qui lui procure un cadre à partir duquel il apprend à différencier ses expériences émotionnelles et ses réponses (dont les premiers signes sont visibles entre 3 et 24 mois). De la même manière, les enfants apprennent à interpréter les indices non-verbaux à travers le couplage entre l’expression affective d’autrui et le comportement qui est émis. Lorsque ces modèles sont non-congruents (expression affective positive avec du rejet par exemple) ou que les réponses sont inconsistantes (réponse à la détresse avec parfois de la colère, du rejet, de l’aide ou de l’indifférence), le cadre servant à l’interprétation des réponses émotionnelles ne peut pas se mettre en place. Les premiers déficits dans la capacité à discriminer et étiqueter les états affectifs chez soi et autrui ont été repérés dès l’âge de 30 mois (Beeghly & Cicchetti, 1994).

Après l’identification des états émotionnels, l’enfant apprend à exprimer ses émotions sans craintes et à moduler ou réguler les expériences internes. Les enfants qui souffrent d’un trauma complexe montrent des perturbations dans chacune de ces capacités. Les distorsions de l’expression émotionnelle peuvent prendre plusieurs formes qui vont d’une diminution ou d’une rigidité expressive à une instabilité excessive ou explosive (Camras et al., 1990; Gaensbauer, 1982). La capacité à exprimer ses émotions et à moduler ses expériences internes sont liées. Les enfants traumatisés présentent des signes comportementaux et émotionnels de perturbations de la capacité à se réguler ou s’apaiser. Ainsi, ils ont souvent recours à d’autres stratégies pour réguler leurs états internes comme le coping dissociatif, l’évitement des situations à caractère émotionnel (qu’elles soient positives ou négatives), la prise de toxique, etc. L’accumulation de ces expériences rend ces enfants vulnérables à l’émergence et au maintien de troubles associés à la dérégulation chronique d’expériences affectives (p. ex. troubles de l’humeur). La prévalence d’épisodes dépressifs majeurs chez les individus ayant

vécu un trauma infantile est un exemple patent de l’impact délétère à long terme qu’exerce le trauma complexe sur les capacités de régulation. En effet, l’existence d’une relation forte entre le trauma infantile et une dépression subséquente est bien établie (Putnam, 2003). Les études menées sur des jumeaux (qui permettent de contrôler les facteurs environnementaux, notamment familiaux, et les facteurs génétiques) rapportent qu’un trauma infantile précoce