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Chapitre 1 : Les psychotraumatismes

3. L’apport de la régulation émotionnelle à la compréhension du stress post-

3.2. Etudes de la régulation émotionnelle dans le stress post-traumatique

3.2.2. L’approche de Gross et Thompson

Eftekhari, Zoellner et Vigil (2009) proposent une des premières études de régulation émotionnelle à partir du modèle de Gross et s’intéressent spécifiquement aux processus de suppression expressive et de réévaluation cognitive et à leurs conséquences sur les niveaux d’anxiété, de dépression et de symptomatologie post-traumatique.

1 Les faits se sont déroulés à l’université Northern dans l’illinois (USA) où un homme armé a tué cinq étudiants

et en a blessés 21 autres avant de se donner la mort, faisant de cet événement à l’époque, la quatrième fusillade scolaire la plus mortelle du pays.

Théoriquement, la suppression expressive inhibe les réponses émotionnelles mais ne peut agir que tardivement dans le processus émotionnel. Cette stratégie est plus couteuse cognitivement et elle est souvent associée à des conséquences négatives : diminution du rappel d’informations (e.g., Bonanno, Papa, Lalande, Westphal, & Coifman, 2004; Richards & Gross, 1999), augmentation de l’arousal physiologique (Gross & Levenson, 1993, 1997), élévation des niveaux de stress et d’affect négatif (Gross & John, 2003). Egalement, le recours à des stratégies similaires à la suppression expressive augmente la détresse, la fréquence des phénomènes d’intrusion mnésique (Roemer & Borkovec, 1994; Shipherd & Beck, 1999) et aggrave la symptomatologie (e.g., Pennebaker, Kiecolt-Glaser, & Glaser, 1988). Dans la littérature sur le SPT, on suppose que la suppression expressive empêcherait le traitement émotionnel de l’événement traumatique et provoquerait son maintien (Clohessy & Ehlers, 1999). On peut également considérer la dissociation traumatique et l’anesthésie émotionnelle comme des stratégies suppressives qui ont été impliquées dans la chronicisation du SPT (Clohessy & Ehlers, 1999; Foa, Riggs, & Gershuny, 1995; Ozer, Best, Lipsey, & Weiss, 2003); l’anesthésie émotionnelle étant même un des meilleurs prédicteur d’un SPT subséquent (Feeny, Zoellner, Fitzgibbons, & Foa, 2000; Foa et al., 1995; Roemer et al., 2001). Concernant la réévaluation cognitive, elle vise à amoindrir le caractère émotionnel d’une situation avant l’apparition du moindre élément émotionnel ; elle se produit donc plus précocement dans le processus émotionnel. Elle serait moins couteuse cognitivement et elle est associée à de meilleures conséquences psychologiques : mémorisation accrue des événements émotionnels (Gross, 1998b) ainsi que moins d’anxiété ou de dépression (Gross & John, 2003) et elle n’augmente pas l’arousal physiologique durant les épisodes émotionnels (Gross & Levenson, 1993, 1997). D’une manière générale, la réévaluation cognitive est considérée comme un processus adaptatif pour le traitement mnésique et l’intégration de nouvelles expériences (Ehlers & Clark, 2000; Gross, 2002). Dans la littérature sur le SPT, le modèle proposé par Ehlers et Clark (2000) donne une place primordiale à l’évaluation cognitive du trauma et des symptômes qui en découlent. D’après ce modèle, les évaluations négatives (de l’événement ou des symptômes) associées à l’incapacité de les réévaluer, ainsi que la perception d’un changement négatif permanent de la personnalité et des aspirations de vie sont les éléments qui différencient le mieux les patients qui souffrent de SPT chronique de ceux qui n’en souffrent pas (e.g., Ehlers, Mayou, et al., 1998).

Dans la pratique, les individus peuvent recourir à ces deux types de stratégies de RE (suppression et réévaluation) selon le contexte émotionnel et leur investigation ne peut donc pas se faire à partir d’un score seuil. Pour les étudier, il est préférable d’avoir une approche

dimensionnelle (avec des corrélations ou régressions) ou d’élaborer des profils en fonction de l’utilisation de ces stratégies. C’est cette option1 qui est retenue dans la recherche de Eftekhari, Zoellner et Vigil (2009) qui suppose que les individus ayant davantage recours à la suppression expressive (dits suppresseurs) par rapport à la réévaluation cognitive (dits réévaluateurs) présenteront une symptomatologie plus importante. Leur étude porte sur 295 étudiantes d’une université évaluées sur les événements traumatiques qu’elles avaient rencontrés ainsi que leur niveau de symptomatologie post-traumatique, leur tendance à utiliser quotidiennement la suppression expressive ou la réévaluation cognitive (Emotion Regulation

Questionnaire ; ERQ ; Gross & John, 2003) et leurs niveaux de dépression (BDI) et d’anxiété

(STAI trait et état). Les résultats ne valident qu’une partie des hypothèses. En effet, bien que les individus principalement suppresseurs présentent une symptomatologie plus importante que les individus principalement réévaluateurs, ce sont les individus qui utilisent le moins les deux stratégies qui présentent les plus hauts scores symptomatiques. Les auteurs font alors trois hypothèses pour expliquer leurs résultats : 1) le manque de flexibilité dans l’utilisation des stratégies de RE serait bien plus dommageable que l’utilisation d’une stratégie couteuse2 ; 2) Ce pattern de faible régulateur pourrait renvoyer à un épuisement des ressources internes (Baumeister, Bratslavsky, Muraven, & Tice, 1998; Baumeister, Muraven, & Tice, 2000) ; 3) Les troubles de RE seraient davantage une conséquence de la détresse psychologique qu’une cause (Lynch, Chapman, Rosenthal, Kuo, & Linehan, 2006). On peut également ajouter deux autres interprétations : 4) les faibles régulateurs rapporteraient moins l’utilisation de ces stratégies parce qu’ils souffrent d’alexithymie ou d’un déficit de conscience émotionnelle (rendant caduque l’évaluation de l’ERQ) ; 5) dans le même esprit, utiliser uniquement des mesures auto-rapportées pour évaluer des déficits émotionnels peut poser problème (Lumley, Gustavson, Partridge, & Labouvie-Vief, 2005) et il est préférable d’y adjoindre autant que possible, d’autres types de mesures (comme l’activité physiologique, expressive ou comportementale, une tâche de performance implicite, un questionnaire hétéro-rapporté ou un entretien clinique). Une étude de Boden, Bonn-Miller, Kashdan, Alvarez, et Gross (2012) va apporter des éléments empiriques justifiant cette quatrième interprétation. En effet, ces auteurs s’intéressent à la clarté émotionnelle définie comme la capacité à identifier, différencier et comprendre ses émotions (Gohm & Clore, 2000, 2002). Cette capacité

1 Quatre profils sont étudiés : les hauts régulateurs (utilisent souvent la réévaluation et la suppression), les faibles

régulateurs (rapportent n’utiliser que rarement l’une ou l’autre de ces stratégies), les hauts réévaluateurs/faibles suppresseurs et les réévaluateurs moyen/haut suppresseurs.

soutiendrait des conceptualisations de plus haut-niveaux comme celles de conscience émotionnelle, d’alexithymie ou encore d’intelligence émotionnelle (Coffey, Berenbaum, & Kerns, 2003). Ils proposent de tester l’interaction entre la clarté émotionnelle et l’utilisation effective de la réévaluation cognitive afin de prédire la sévérité des symptômes post- traumatiques mais également la survenue d’affects positifs. Dans cette étude, 75 vétérans à la recherche de soin étaient recrutés et les hypothèses étaient mises à l’épreuve en utilisant des analyses de régressions hiérarchiques. Les résultats montrent que l’interaction entre la clarté émotionnelle et la réévaluation prédit spécifiquement et avec une part d’explication conséquente la survenue d’affects positifs et la diminution de la sévérité des symptômes post- traumatiques.

Plus récemment, Boden et al. (2013) ont répliqué ces études sur les processus de RE et les liens qu’ils entretiennent avec le SPT mais dans une population de militaires vétérans durant un protocole de prise en charge post-traumatique (d’une durée moyenne de 84 jours). Pour cette étude, 93 vétérans étaient recrutés et évalués à leur entrée et leur sortie de la prise en charge. Trois résultats sont rapportés : 1) à l’entrée comme à la sortie, la suppression expressive était associée à une plus grande sévérité symptomatique alors que la réévaluation cognitive était associée à moins de sévérité ; 2) la prise en charge thérapeutique a diminué l’utilisation de la suppression expressive tout en augmentant l’utilisation de la réévaluation cognitive ; et 3) en prenant en compte (neutralisant) la sévérité des symptômes à l’entrée, la longueur du séjour et l’âge des participants, seule la suppression expressive restait prédictive du niveau de symptomatologie à la sortie (notamment l’évitement et l’anesthésie émotionnelle). Bien que cette étude ne permette pas de conclure à la causalité du lien entre processus de RE et SPT, elle montre que les changements combinés entre l’utilisation de la suppression expressive et de la réévaluation cognitive prédisent les niveaux de sévérité symptomatiques. De plus ils sont en accord avec une méta-analyse récente qui montre que bien que la suppression et la réévaluation soient des processus significativement associés à la psychopathologie anxieuse, la suppression en est le meilleur prédicteur (Aldao, Nolen- Hoeksema, & Schweizer, 2010).

En résumé, les études sur l’approche de Gross et Thompson soulignent l’importance de la suppression expressive et de la réévaluation cognitive (notamment de la première stratégie) dans la sévérité des symptômes post-traumatiques, tout en montrant que les mécanismes impliqués dans la conscience émotionnelle (l’identification, la différentiation et la compréhension) jouent un rôle également prépondérant. De même, la flexibilité dans l’utilisation de ces stratégies de RE est importante et s’observe dans les études sur les difficultés de RE (Gratz et Roemer). Ces dernières permettent de préciser que la confrontation à un événement traumatique ne deviendrait problématique que lorsque l’individu présente des difficultés à réguler ses émotions, autrement dit, elles confirment un modèle de vulnérabilité du développement au stress post-traumatique.

Parallèlement à ces recherches, Ehring & Quack (2010) sont les premiers à s’intéresser à la RE dans le SPT en prenant en compte le type de traumatisme. Dans leur étude comptant 616 participants, ils distinguent les deux grands types de trauma (I et II) que nous avons présenté au début de ce chapitre1 et testent trois hypothèses : 1) les difficultés de RE sont liées à la symptomatologie post-traumatique ; 2) les difficultés de RE sont plus importantes dans les psychotraumatismes de type II ; et ce 3) même en contrôlant la sévérité symptomatique (sous-entendu la RE est spécifique aux traumatismes de type II). Les deux premières hypothèses sont vérifiées mais pas la dernière. Ainsi, les troubles de RE ne sont pas une caractéristique spécifique mais participent aux deux formes de psychotraumatisme. Nous abordons plus en détail le trauma complexe qui rend compte des suites du psychotraumatisme de type II dans la partie suivante.