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L’atténuation légale de la peine en déclin

L’excuse légale de minorité concerne les peines privatives de liberté. Prévue par l’article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 elle ne concerne que les mineurs âgés de plus de treize ans.

Néanmoins, le législateur a oscillé quant à l’application de ce principe aux mineurs âgés de seize à dix- huit ans.

En effet, même si depuis une loi de 2014181, l’article 20-2 alinéa 2 dispose que « le tribunal pour enfants

et la cour d'assises des mineurs peuvent, à titre exceptionnel et compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur ainsi que de sa situation, décider qu'il n'y a pas lieu de faire application du premier alinéa. Cette décision ne peut être prise par le tribunal pour enfants que par une disposition spécialement motivée ». Cela n’a cependant pas toujours été le cas. Bien que cette excuse légale de

minorité connaisse une exception visant explicitement la catégorie des 16-18 ans, ce qui n’est pas sans conférer une certaine marge de manœuvre aux juridictions, cet alinéa a été maintes fois modifié et connaissait autrefois une portée plus répressive.

179Décision du C.Constitutionnel. n°2011-635 DC du 4 août 2011 relative à la loi sur la participation des citoyens au

fonctionnement de la justice pénale des mineurs, considérant n°33 et 44 « juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées »

180Art. 4 ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante

En mars 2007182 le même alinéa disposait que « le tribunal pour enfants ou la cour d'assises des mineurs

peuvent décider qu'il n'y a pas lieu de faire application du premier alinéa, soit compte tenu des circonstances de l'espèce et de la personnalité du mineur, soit parce que les faits constituent une atteinte volontaire à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique de la personne et qu'ils ont été commis en état de récidive légale. Cette décision, prise par le tribunal pour enfants, doit être spécialement motivée, sauf si elle est justifiée par l'état de récidive légale. »

Il convient de mettre l’accent sur deux éléments. D’une part le tribunal pour enfants et la Cour d’assises des mineurs pouvaient écarter le principe de l’atténuation légale de la peine selon plusieurs critères : les circonstances de l’espèce et la personnalité du mineur qui sont à l’appréciation des juridictions mais aussi en fonction de la nature de l’infraction dès lors qu’elle avait été commise en état de récidive légale183. Étaient ainsi visées : les atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne.

D’autre part, le législateur prévoyait qu’à l’instant même où le mineur commettait l’infraction en état de récidive légale (ce qui était une obligation pour écarter l’excuse de minorité concernant le troisième critère), la décision n’avait pas besoin d’être spécialement motivée. Or, cette exigence spéciale de motivation est essentielle pour lutter contre une tentative de répression accrue à l’encontre du mineur. Le législateur considérait donc que le mineur de plus de seize ans agissant en état de récidive légale ne pouvait plus se voir appliquer des principes fondamentaux applicables aux mineurs. Quelles peuvent être les motivations d’une telle décision alors même que les mineurs de seize à dix-huit ans sont toujours mineurs et par conséquent devraient bénéficier du statut protecteur de l’ordonnance de 1945. A ce titre, ils devraient bénéficier de l’excuse de minorité ou si ce n’est pas le cas, le rejet de ce principe devrait toujours être spécialement motivé.

En août 2007184 , le législateur ajoute un critère permettant aux juridictions d’écarter l’excuse de minorité pour la catégorie des seize/dix-huit ans. « (..) ; lorsqu'un délit de violences volontaires, un délit

d'agression sexuelle, un délit commis avec la circonstance aggravante de violences a été commis en état 182 Loi n°2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance

183 La récidive légale est à différencier de la réitération. La réitération est définie à l’article 132-16-7 du C.P « il y a réitération

d’infractions pénales lorsqu’une personne a déjà été condamnée définitivement pour un crime ou un délit et commet une nouvelle infraction qui ne répond pas aux conditions de la récidive légale ». En revanche, la récidive légale en matière délictuelle : le premier terme de la récidive doit être un délit, et le deuxième terme le même délit, ou un délit assimilé par la loi, commis dans le délai de cinq ans qui suit la première condamnation. Alors qu’en matière criminelle répond à certains critères :le premier terme de la récidive doit être un crime ou un délit puni de 10 ans d’emprisonnement, et le deuxième terme doit être un crime.

MINISTÈRE DE LA JUSTICE. « Les mineurs délinquants et la justice », 2015.

de récidive légale. Lorsqu'elle est prise par le tribunal pour enfants, la décision de ne pas faire bénéficier le mineur de l'atténuation de la peine doit être spécialement motivée, sauf pour les infractions mentionnées au 3° commises en état de récidive légale ».

Comme en mars de la même année, le législateur a entendu exempter les juridictions de motiver spécialement leur décision lorsqu’une infraction a été commise en état de récidive légale mais a changé la nature de l’infraction.

Considérant sans doute que les mineurs commettent davantage d’infractions en état de récidive légale concernant des faits de violences volontaires, d’agression sexuelle ou avec la circonstance aggravante de violences, le législateur en a pris acte et s’en est servi pour ériger un critère permettant d’écarter l’application du principe qu’est l’excuse de minorité.

Les statistiques du ministère de la Justice pour l’année 2015185 peuvent en témoigner. Elles indiquent que la récidive légale est plus fréquente en matière de crimes (1,6 % des mineurs condamnés pour crime sont en situation de récidive légale), et que les récidivistes sont très souvent des mineurs de 17 ans. En matière délictuelle, concernant la même tranche d’âge, environ 2,1 % de mineurs condamnés sont état de récidive légale.

Toujours est-il que ces dispositions, modifiées en 2014, ont supprimé le critère tenant à la récidive légale, néanmoins un problème subsiste. En effet, tant dans le texte en vigueur en 2007 que dans le texte actuellement en vigueur et, alors même que l’article 20-2 a été réformé en 2016, la motivation spéciale de la décision tendant à écarter l’application de l’excuse légale de minorité aux mineurs âgés entre seize et 18 ans n’est imposée qu’à l’encontre du tribunal pour enfants.

Or, à la fois le tribunal pour enfants et la cour d’assises sont autorisés à écarter le principe de l’excuse de minorité. Dans la mesure où la cour d’assises des mineurs a vocation à juger des faits plus graves que le tribunal pour enfants et que les réponses apportées seront généralement plus « sévères », pourquoi ne pas exiger une motivation spéciale de la part de la cour d’assises des mineurs ? A cela on peut avancer l’idée selon laquelle l’excuse de minorité est retenue ou écartée par le jury,186 manifestation de la souveraineté populaire. Dans la mesure où il représente le peuple souverain, peut-on réellement lui imposer une exigence de motivation ?

185 Op.cit voir note 183

Un lien doit être fait avec le débat concernant l’abaissement de la majorité pénale à seize ans. Un mineur de seize ans doit-il encore être considéré comme un « enfant » au sens de l’ordonnance du 2 février 1945 ?

La majorité pénale était, avant la loi du 12 avril 1906, fixée à l’âge de 16 ans néanmoins, à cette époque, les juridictions n’étaient pas encore spécialisées (elles ne l’ont été qu’en 1912). Ainsi, abaisser la majorité pénale à 16 ans, à notre époque, reviendrait pour cette catégorie de mineurs à ne plus relever des juridictions spécialisées mais des juridictions de droit commun et donc d’encourir les mêmes peines, sanctions, que les adultes ce qui semble contraire au principe fondamental reconnu par les lois de la république à savoir « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l'âge ».187 Pour autant, les juridictions pour mineurs ont connu quelques changements ces dernières années qui ont principalement affecté cette catégorie de mineurs.

2 - Des juridictions aux compositions non spécialisées

Une juridiction particulière a été créé par la loi du 10 août 2011188. L’article 8 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquant disposait alors que « lorsque le délit [était] puni d'une peine

égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement et qu'il [avait été] commis en état de récidive légale par un mineur âgé de plus de seize ans, le juge des enfants ne [pouvait] rendre de jugement en chambre du conseil et [était] tenu de renvoyer le mineur devant le tribunal correctionnel pour mineurs »

Leur création avait notamment été préconisée par la commission Varinard pour éviter un passage brutal entre la justice des mineurs189 et celles des adultes. Cette juridiction était, à l’origine considérée par certains auteurs comme « la meilleure illustration de l’application en matière processuelle du principe de

progressivité »190. Supprimée par une loi du 18 novembre 2016191, cette juridiction a suscité, au cours de son existence, de vives réactions. Notamment quant au critère légal régissant l’accès à cette juridiction : la récidive. La récidive est appréciée, en matière délictuelle, dans un délai de 5 ans. Or, ce délai apparaît extrêmement long pour un mineur, dont la personnalité peut évoluer. L’acte infractionnel du mineur était- il signe d’enracinement du mineur dans la délinquance ou bien s’agissait-il d’une nouvelle « erreur de parcours ». Dès lors, renvoyer le mineur devant le T.C.M, de façon systématique, en cas de récidive pouvait donner l’impression de durcir de la réponse pénale à leur égard.

187 C.Constitutionnel, n°2002-461 DC, 29 août 2002 relative à la loi d’orientation et de programmation pour la justice

considérant n°26.

188 Loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des

mineurs

189 DAADOUCH Christophe. « Justice des mineurs : un nouveau seuil bientôt franchi dans la punitivité », Journal du droit des

jeunes, 2011/5, n° 305, p. 24-29.

190 Op.cit voir note 127, p.144

Selon, Marie Ciabrini192ces T.C.M servaient donc à garder l’apparence d’un relèvement éducatif. Affirmer explicitement que ces T.C.M avaient pour vocation de punir plus sévèrement les mineurs, aurait, si ce n’est entraîné une censure de la part du Conseil Constitutionnel, empêché la rétroactivité de la loi.

En réalité leur fonction première était davantage d’impressionner le mineur, de le dissuader.193

Pour autant, des membres de la commission Varinard avait remarqué à juste titre et avant même leur création que « le caractère dissuasif de cette juridiction risquait de s’émousser dès lors que les mineurs

auront intégré l’idée que ce tribunal n’est pas en mesure de prononcer d’autres sanctions ou peines que le tribunal pour enfants. »194

Il faut cependant nuancer ces propos, car rien n’atteste que ces T.C.M aient sanctionnés les mineurs plus sévèrement que ne le font les tribunaux pour enfants.

Ces T.C.M, ont également alimenté les débats au regard de leur composition. Alors même que la Commission Varinard s’enquérait de la spécialisation de cette juridiction (« il importe alors que des

magistrats spécialisés siègent dans ce tribunal correctionnel pour mineurs »), certains auteurs, les

considéraient comme étant « une illustration de la despécialisation de la justice des mineurs ».195 En effet, la présence du juge des enfants y était minoritaire.

Le Conseil Constitutionnel n’a pourtant pas déclaré leur création inconstitutionnelle196. Il énonce même, dans une décision de 2011, que les mineurs devront être soumis à des « juridictions spécialisées ou une

procédure appropriée ». Cette appréciation relevant du Conseil Constitutionnel, il semblerait toutefois,

que le caractère de juridiction spécifique concernant les T.C.M puisse être débattu (deux magistrats non spécialisés auxquels il n’a pas été demandé de démontrer « un intérêt porté aux questions de

l’enfance 197» et un juge des enfants chargé de présider cette juridiction), la procédure appropriée semble quant à elle respectée, puisque c’est le juge des enfants qui était chargé de renvoyer le mineur devant le T.C.M. Ce renvoi semblait donc suffisant pour être qualifié comme étant une « procédure appropriée ».

192 CIABRINI Marie Madeleine, MORIN Anne. « Les tribunaux correctionnels pour mineurs ou la poursuite du

démantèlement de la justice des mineurs » , Actualité Juridique du droit pénal, 2012, p. 315. 193 Op.cit voir note 24

194 Op.cit voir note 127, p.147

195 BRISSET Claire. « Défense des mineurs, défense mineure !», Revue Après-demain 2011/3, n° 19, p. 33-35

196Décision du C.Constitutionnel. n°2011-635 DC du 4 août 2011 relative à la loi sur la participation des citoyens au

fonctionnement de la justice pénale des mineurs, considérant n°33 et 44

La composition de la Cour d’assises des mineurs pose encore question à l’heure actuelle. Composée d’un conseiller à la cour d’appel, de deux assesseurs (juge des enfants), et de six jurés198. Ce sont ces derniers qui méritent réflexion. La composition de la Cour d’assises des mineurs, outre la présence des juges des enfants ressemble presque traits pour traits à celle d’une cour d’assises de droit commun. Or, compte tenu de la spécificité de la délinquance des mineurs, ne devrait-elle pas être entièrement spécialisée ? La démocratisation de la justice pénale des mineurs doit-elle primer sur la spécificité des juridictions, qui plus est en matière criminelle ?

D’autant qu’il semblerait compte tenu de l’article 20 de l’ordonnance que le jury est chargé de répondre à la question suivante : « y a-t-il lieu d'exclure l'accusé du bénéfice de la diminution de peine prévue à

l'article 20, 2° de l’ordonnance du 2 février 1945 ? ». Leur implication est donc totale. Or, le jury peut

non seulement ne pas connaître les enjeux quant à l’application ou l’écart de l’excuse de minorité mais aussi être soumis à l’influence médiatique199. Cette décision ne devrait-elle pas, compte tenu de sa portée relever du président de la Cour d’assises qui en connaît les enjeux (à savoir une répression plus sévère à l’encontre du mineur). Ou à tout le moins s’assurer que le jury soit suffisamment informé des enjeux.

Après avoir étudié de quelle manière le législateur a entendu rapprocher la composition des juridictions chargées de juger les mineurs de seize à dix-huit ans, de celles du droit commun, il nous faut aborder le rôle joué par le Conseil Constitutionnel quant au durcissement de la réponse pénale des mineurs âgés de seize à dix-huit ans.

§ 2- Le Conseil Constitutionnel : institution sous influence ou véritable garante des libertés indivi- duelles ?

Le Conseil Constitutionnel est, presque systématiquement saisi en amont lorsqu’il s’agit de modifier l’ordonnance du 2 février 1945.200