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Section I « L’enfermement » du mineur délinquant : paradoxe existant entre volonté affichée et possibi-

1- Une alternative à la détention

L’ordonnance du 2 février 1945 évoque à de nombreuses reprises la possibilité de placer le mineur. Ce peut-être en institution, établissement public ou privé à caractère éducatif ou professionnel habilité315, établissement médical ou médico psychologique habilité316, établissement scolaire doté d’un internat (le

313 LENZI Catherine, MILBURN Philippe. « Les centres éducatifs fermés : de la clôture institutionnelle à l’espace éducatif », Revue Espace et société 2015/3, n° 162, p. 95-110. Dans ce texte, un jeune affirme préférer la prison aux C.E.F.

314 JAMET Ludovic, LE GOFF Jean-Louis. « Pratiques et autorités des surveillants face aux jeunes détenus : entre sentiment de malaise et devoir d’agir », in Les jeunes et la loi : nouvelles transgressions ? Nouvelles pratiques ? Sous la direction de ABDELLAOUI Sid, L’Harmattan, 2010, p. 147-157.

315Art. 15, 2°, 15-1, 7°, 16, 2° de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 316Art. 15, 3° et 16, 3° de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945

but étant d’éloigner le mineur de son milieu, susceptible de l’influencer)317 ou dans des centres gérés par la P.J.J318.

La diversité des modes de placement offert aux magistrats par le législateur souligne l’objectif de ce dernier à savoir, ne recourir à l’emprisonnement qu’en dernier recours.

Alors même que les prisons doivent être dotés de « programmes éducatifs », elles sont bien souvent qualifiées de « pourrissoirs319 » et ne concourraient pas à une amélioration de la personne du mineur. Elles seraient, a priori, responsables d’un taux de récidive élevé320. La finalité éducative de l’incarcération semble également, compte tenu du manque de personnel ou faute d’établissements spécifiques consacrés aux mineurs, négligée. Ainsi, la prison n’apparaît pas ou que très peu propice à favoriser une prise de conscience chez le mineur. C’est pourquoi, se sont notamment développés les premiers internats de l’éducation surveillée (ancienne P.J.J) en 1945, remplacés par la suite par des centres et des foyers. 321

L’aspect éducatif d’un placement en établissement scolaire doté d’un internat ou dans un établissement public ou privé de formation scolaire ou professionnelle n’a pas été contesté et ne le sera pas en notre espèce. En revanche les débats se sont cristallisés en 2002, à la création des centres éducatifs fermés322 Les C.E.F sont à distinguer des C.P.I et des C.E.R. Les C.E.R sont des centres destinés aux mineurs multirécidivistes, l’objectif étant de leur proposer des activités et de les influencer pour adopter un nouveau mode de vie323. Les C.P.I sont des lieux de placements temporaires destinés à évaluer le mineur afin de lui proposer des solutions éducatives à long terme324.

Les C.E.F tels que définis à l’article 33 de l’ordonnance relative à l’enfance délinquante sont réservés aux mineurs placés en application d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis avec mise à l’épreuve. Les mineurs

317Art. 15, 5° et 15-1, 10°de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 318Art. 10, 2° et 16, 4° de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 319MADELIN Alain, sur LCI le 22 mai 2018

320Question écrite n°00008 de ASSASSI Eliane, publiée au JO Sénat du 6 juillet 2017, p.2124 « «(…) aboutissent à un taux de

récidive de 70 % soit, 7 % de plus que pour les majeurs ».

321 SALLEE Nicolas. « Enfance délinquante : l’enfermement et au-delà », Revue Délibérée 2017/2, n°2, p. 49-54, évoque une circulaire de la direction de l’éducation surveillée 1980 : « dès lors qu’elles conduisent à l’enfermement, les notions de sécurité et d’ordre public polluent et rendent inefficace le processus éducatif »

322Loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002 dite, Loi Perben I

323 Circulaire de la direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, « Centres éducatifs renforcés et centres de placements

immédiats », 13 janvier 2000

324 DESLOGES Philippe. « Vivons-nous un retour à l'enfermement des mineurs délinquants ? », Actualité juridique du droit pénal, 2004, p.27

placés au sein de ces C.E.F « font l'objet des mesures de surveillance et de contrôle permettant d'assurer

un suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté à leur personnalité. »

La priorité éducative est cependant variable d’un C.E.F à un autre. La C.N.C.D.H a par exemple, constaté dans un C.E.F de Marseille que les mineurs ne bénéficient que de quatre à cinq heures de cours par semaine. Cela semble peu compte tenu de la vocation éducative a priori, souhaitée par les pouvoirs publics. Les C.E.F étant une alternative à l’emprisonnement, la formation devrait être une priorité dans la lutte contre la réitération, récidive. Or, dans un C.E.F situé en Seine-Maritime325, les mineurs bénéficient d’un apprentissage scolaire personnalisé, d’un emploi du temps adapté et d’une scolarité fidèle à la scolarité classique, les heures de travail étant environ comprises entre 8h45 et 16h. Cela signifie donc qu’il existe une discrimination entre les mineurs selon leur lieu de placement (on retrouve la même difficulté qu’en matière de détention), la dimension éducative n’est pas assurée égalitairement dans tous les C.E.F. Ne faudrait-il pas remédier à cela, et imposer aux C.E.F un nombre d’heures de formation scolaire minimum, pour ne pas défavoriser des mineurs se situant dans un C.E.F dépourvu de moyens éducatifs ? Quelle utilité donner à un C.E.F si une formation n’y est pas ou peu assurée, le recours au placement était-il en ce cas « éducatif » ?

La volonté affichée des pouvoirs publics était de faire de ces lieux de placements des lieux de résidence326 et non des lieux de détention. Pour autant, il convient de rappeler que ce sont les émeutes de Toulouse en décembre 1998 qui ont conduit le Gouvernement à créer cinquante centres de placement « non fermés

mais strictement contrôlés » pour mineurs327. Aujourd’hui, l’article 33 de l’ordonnance relative à l’enfance délinquante fait également référence à cette notion de « contrôle » au sein des C.E.F. Réapparait donc, la notion évoquée en première partie, à savoir l’éducation contrainte. Nicole Belloubet a par ailleurs, annoncé le 8 mars 2018, la création d’une vingtaine de C.E.F supplémentaires « en réponse à la

forte demande sociale de contrôle et de sécurité ». Dernière alternative avant la prison, ne peut-on pas

considérer que le placement, notamment en C.E.F (seul cas que nous aborderons la présente sous partie), pourrait déjà constituer une forme d’enfermement ?

2 – Le CEF : véritable institution privative de liberté

325 C.N.C.D.H. Avis sur la privation de liberté des mineurs, 27 mars 2018, p. 56 et 69

326 Nicole Belloubet, séance publique du Sénat, 8 mars 2018

Projet de loi de finances 2018, Protection judiciaire de la Jeunesse, II, A, 1.

Alors que les murs ne devraient y être que symboliques328, certains auteurs ont souligné avant même leur création, le danger que ces centres pouvaient représenter.

En les présentant comme des alternatives éducatives, le risque était que l’on « banalise » la restriction de la liberté d’aller et venir et de mouvements des mineurs.

Catherine Lenzi et Philippe Milburn évoquaient une « emprise mentale et symbolique de l’institution sur

ses membres » faisant ainsi référence au sentiment d’enfermement ressenti par les mineurs au sein des

C.E.F329. Certains éléments présents au sein des C.E.F, comme les espaces verrouillés à clefs, l’arrivée au centre où leurs effets personnels leurs sont retirés, la présence d’un règlement intérieur ne sont pas sans rappeler le régime disciplinaire de la prison. Ce ressenti éprouvé par le mineur est également corroboré par l’interdiction de sortir du centre et les sanctions assorties. La C.N.C.D.H330 emploie même le terme

« évasion du lieu clos » qui fait explicitement référence à la prison.

Bien qu’autrefois, le placement avait pour ambition de protéger le mineur de son milieu, il a aujourd’hui une dimension coercitive. En effet, le spectre d’un placement en détention provisoire ou d’un enfermement plane sur le mineur dès son arrivée, en cas de non-respect du placement ou du règlement du C.E.F. Cette crainte va ainsi l’obliger à se comporter de manière conforme à ce qui est attendu de lui par l’institution. 331

Peut-on pour autant analyser le placement en C.E.F, comme une forme d’enfermement ? La mission du contrôleur général des lieux de privation de liberté est de saisir les autorités compétentes lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.332

328C.Constitutionnel, n°2002-461 DC, 29 août 2002 « le caractère fermé des centres était de nature juridique et résidait

uniquement dans la sanction du non-respect des obligations auxquelles le mineur est astreint ». 329 Op.cit voir note 314

330 C.N.C.D.H. Avis sur la privation de liberté des mineurs, 27 mars 2018, p. 5 « S’évader de ce lieu clos est durement sanctionné au point que de nombreuses personnes auditionnées par la C.N.C.D.H n’hésitent pas à qualifier les C.E.F d’antichambres de la prison »

331Art. 33 de l’ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 « La violation des obligations auxquelles le mineur est astreint en vertu

des mesures qui ont entraîné son placement dans le centre peut entraîner, selon le cas, le placement en détention provisoire ou l'emprisonnement du mineur. »

332Loi n°2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, art. 9 « S'il constate

une violation grave des droits fondamentaux d'une personne privée de liberté, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté communique sans délai aux autorités compétentes ses observations, leur impartit un délai pour y répondre et, à l'issue de ce délai, constate s'il a été mis fin à la violation signalée. S'il l'estime nécessaire, il rend alors immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues. »

Le contrôleur des lieux de privation de liberté est compétent concernant les C.E.F.333 En conséquence, la compétence du contrôleur en matière de C.E.F, traduit indirectement la nature de ces centres. Certains témoignages recueillis par la C.N.C.D.H présentent les C.E.F comme des « antichambres de la prison ». On peut dès lors s’interroger sur la notion d’intérêt de l’enfant, qui semble en perte de vitesse. Bien que le placement en C.E.F, C.E.R ou institutions, établissements précités, n’ont pas pour ambition de ressusciter les anciennes colonies agricoles ou pénitentiaires, leur exclusion de la société aura probablement des conséquences similaires sur leur resocialisation future. Comment envisager une réinsertion réussie alors même que le mineur a été écarté de la société ? Les directeurs des C.E.F mentionnent un nombre trop élevé de « sorties sèches » c’est à dire une sortie du brutale centre qui pourrait conduire le mineur à réitérer.

Il nous faut à présent terminer cette démonstration par l’évocation de moyens offerts par le législateur aux magistrats mais qui ne sont pas ou très peu utilisés.