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L’arnaque des algorithmes d’aide à la prise de décision

Dans le document Au-delà du low-tech : (Page 64-67)

BASTIEN LE QUERREC,

DOCTORANT EN DROIT PUBLIC

L’administration, au sens public du terme, prend tous les jours un cer-tain nombre de décisions : lorsqu’elle accorde une allocation, lorsqu’elle retire un permis de conduire, lorsqu’elle accepte un·e étudiant·e dans une formation supérieure, lorsqu’elle est chargée d’appliquer une loi, etc. Décider est le quotidien de l’administration et administrer, nous dit le dictionnaire Larousse, signifie « diriger, gérer des affaires publiques ou privées ». La Constitution nous prévient également que « le Gouver-nement détermine et conduit la politique de la nation » et « dispose de l’administration » (article 20). Le rôle de l’administration dans la conduite des affaires publiques est donc fondamental. À cette fin, son pouvoir de décision l’est tout autant.

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écider est donc une fonction intrinsèque à l’administration, mais décider n’est pas toujours le fruit d’un processus entièrement humain. L’admi-nistration s’est toujours dotée de règles, de documents, de cadres, pour décider, quand bien même aucune obligation ne le lui imposerait : le pouvoir discrétionnaire dont jouit très souvent l’administration est limité par elle-même.

De plus, l’arrivée ces derniers temps d’un nouvel outil pour l’administration, l’al-gorithme, change radicalement la manière dont on peut concevoir la décision administrative. Skip Machine lave plus blanc que blanc ; l’algorithme décide plus efficacement que l’humain. Il en résulte un miracle : la décision administrative algorithmique. Le législateur est intervenu, pour répondre à un certain nombre de craintes. Mais la pratique administrative tend à contourner ces protections grâce à un nouvel outil, l’algorithme d’aide à la prise de décision.

Avant toute chose, il est nécessaire de s’entendre sur la notion de décision et celle d’algorithme. Nous entendons ici un algorithme (ou son équivalent juridique de

« traitement algorithmique ») comme une suite d’opérations mathématiques avec en entrée plusieurs paramètres et en sortie un résultat unique (mais pas forcément reproductible, comme nous le verrons plus tard). Un algorithme n’a donc pas à être compliqué : un rapport sénatorial a ainsi pu comparer une recette de cuisine à un algorithme1. Il ne s’agit pas forcément non plus d’un programme informatique ou de lignes de codes exécutables : un algorithme peut également être une série de formules dans une feuille de calcul2.

On classera toutefois les algorithmes en deux catégories : les algorithmes auto-appre-nants et les autres. Les premiers (on parlera également d’« intelligence artificielle », de

« machine learning » ou de « deep learning ») fonctionnent avec une phase

d’appren-[1] Sophie Joissains, Rapport n° 350 (2017-2018) fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, 14 mars 2018. https://www.senat.fr/rap/l17-350/l17-350.html

[2] Les algorithmes locaux de Parcoursup (ceux utilisés par les commissions de classement des vœux de chaque université) ne sont d’ailleurs qu’une feuille de calcul dont les pondérations sont laissées à l’appréciation de chaque commission.

© BEASTYDESIGN, LICENCE UNSPALSH

tissage préalable. Dans un premier temps, l’algorithme auto-apprenant s’entraîne sur un jeu de données dont le résultat attendu est connu (par exemple : « cette image est un chaton » ou « cette image n’est pas un chaton ») et s’adapte en comparant ses résultats à ceux attendus. Une fois cette phase terminée, il est utilisé alors que le résultat attendu n’est pas connu (dans notre exemple, il sera censé distinguer les images de chatons des autres). Le résultat d’un algorithme auto-apprenant n’est pas reproductible puisqu’il dépendra de la phase d’apprentissage et de la qualité du jeu de données initial. Les autres algorithmes, ceux qui ne sont pas auto-apprenants, ont un résultat reproductible puisqu’il ne repose pas sur une phase préalable d’apprentissage.

Une décision administrative, quant à elle, est un acte administratif (au sens de docu-ment émanant d’une administration3) décisoire. Lorsque l’administration constate quelque chose (ce que font beaucoup d’autorités de régulation, par exemple), elle ne fait pas de choix et son acte n’est donc pas une décision.

Enfin, nous entendrons une décision administrative algorithmique comme un type de décision administrative dans laquelle un algorithme a été utilisé durant le processus de prise de décision. L’algorithme n’a pas à être le seul fondement à la décision pour que celle-ci soit qualifiable de décision administrative algorith-mique. Il faut distinguer la décision algorithmique de l’algorithme d’aide à la prise de décision : le premier fonde la décision, le deuxième est utilisé en amont de la décision et ne la fonde alors pas.

Arrêtons-nous tout d’abord sur ce qui motive l’administration à utiliser des algo-rithmes (I). Voyons ensuite les barrières prévues par le droit pour les décisions algorithmiques (II) et comment l’administration les contourne grâce aux algo-rithmes d’aide à la prise de décision (III). Enfin, étudions les conséquences de ces algorithmes d’aide à la prise de décision sur nos droits fondamentaux (IV).

I. Un recours aux décisions algorithmiques de plus en plus important

Il est difficile – pour ne pas dire impossible – de systématiser l’utilisation d’un algorithme. L’administration n’est jamais tenue d’y avoir recours, ce n’est qu’une faculté (explicitement admise par la loi depuis 20164).

En tout état de cause, lorsqu’elle y a recours, cela peut être pour atteindre deux objectifs. Premièrement, il peut s’agir d’une situation dans laquelle l’administration doit prendre beaucoup de décisions dans un laps de temps restreint. Elle veut alors accélérer la prise de décision. Dans ce cas, l’algorithme est souvent très simple et il

[3] Sans entrer dans les débats de la doctrine administrativiste autour la notion d’acte administratif, notons simplement que cette définition n’est pas partagée pas tou·tes les juristes.

[4] Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, article 4, créant l’article L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration sur les décisions administratives individuelles prises sur le fondement d’un traitement algorithmique.

s’agit principalement de décisions administratives individuelles (c’est-à-dire dont le destinataire est une personne nommée ou un groupe de personnes individualisées).

Le cas des algorithmes locaux de Parcoursup illustre parfaitement cette situation : les universités doivent, en quelques semaines, classer des milliers de candidatures en attribuant à chaque candidat·e un rang précis ; les algorithmes locaux de Par-coursup appliquent à l’ensemble des candidat·es une même règle pour donner in fine un rang à chaque candidature. Les algorithmes locaux de Parcoursup sont une simple feuille de calcul sur laquelle les commissions de classement ont donné une importance plus ou moins grande à certains critères académiques parmi ceux trans-mis par la plateforme aux universités (notes, appréciations, lycée d’origine, etc.5).

Deuxièmement, il peut s’agir de détecter ce que l’on estime impossible à trouver par une analyse humaine : il s’agit de la recherche de signaux faibles. Dans cette situation, le recours aux algorithmes auto-apprenants est le plus souvent néces-saire. Par exemple, la surveillance algorithmique des réseaux de communication (parfois appelée « boîtes noires ») permises depuis la loi renseignement de 20156 repose sur des algorithmes auto-apprenants dont le but est de détecter des risques à caractère terroriste qu’on estime indétectable par un analyste du renseignement.

II. L’algorithme comme fondement de la décision

administrative : une protection théorique contre les abus

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