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De la civilisation écologique au PIB vert 2.0

Dans le document Au-delà du low-tech : (Page 141-144)

Contrairement à la plupart des pays occidentaux, en Chine les autorités politiques se sont rapidement intéressées au débat académique international sur le PIB vert et les nouveaux modes de comptabilité environnementale. Elles ont été soutenues dans cette démarche par les ONG environnementales qui ont également manifesté un vif intérêt pour la mise en place d’un PIB vert dans le pays9. Ainsi les premières expérimentations politiques du PIB vert ont été développées sous l’administration Hu Jintao dès 2004. Elles ont toutefois été abandonnées quelques années plus tard, au moment de la crise financière de 2008, pour des raisons tant politiques et économiques que techniques.

L’idée a été relancée sous Xi Jinping, avec la nouvelle loi environnementale de 2014 qui prévoit la mise en place d’un PIB vert 2.0. Ce projet cherche à rendre opéra-tionnels de nouveaux indicateurs de développement reposant sur des méthodes de calculs basées sur les big data environnementales. Il prévoit également la mise en place d’un réseau de surveillance en temps réel des écosystèmes naturels sur

[8] Sel, P. (2019). « Comprendre le système de crédit social », Esprit, (10), 25-28.

[9] Weigelin-Schwiedrzik S., « Doing things with numbers: Chinese approaches to the Anthropocene », Int. Commun review, 2018

l’ensemble du territoire, grâce au développement des technologies satellitaires. Le PIB vert 2.0 est conçu comme une solution pratique pour améliorer la protection de l’environnement et rationaliser l’utilisation des ressources naturelles, à l’aide de données considérées comme scientifiques et objectives10.

Cela implique de surveiller, quantifier et contrôler l’ensemble des activités humaines et leurs impacts sur les ressources terrestres, forestières, minérales, énergétiques et hydriques du pays. Il s’agit d’évaluer la quantité de ressources consommées par les activités économiques ainsi que les dommages environnementaux engendrés par le développement industriel et urbain, afin de les intégrer dans le système de calcul du PIB. Ce projet de croissance verte et transparente nécessite donc d’équi-per l’ensemble du territoire avec des outils numériques d’équi-permettant de capter des données sur l’empreinte écologique des activités humaines et de les centraliser dans une plateforme unique contrôlée par les autorités centrales11.

Le projet de PIB vert est ainsi étroitement lié au SCS et plus précisément aux deux sous-systèmes évoqués plus haut, à savoir le système de crédit environnemental des entreprises et le système d’évaluation des performances environnementales des fonctionnaires de l’administration. Ces systèmes ont pour objectif de résoudre le problème d’application des lois environnementales du pays, tant au niveau des entreprises que des administrations provinciales. Rappelons que, contrairement aux idées reçues, la Chine dispose d’un arsenal juridique parmi les plus contrai-gnants au monde en matière de protection de l’environnement. Mais il n’est pour le moment pas appliqué ou très peu, en raison de la corruption et du manque de transparence des entreprises et des administrations en la matière.

Sous la pression croissante du public et afin de résoudre cet épineux problème d’application des lois, le gouvernement a annoncé qu’il allait considérablement renforcer la répression à l’égard des fraudeurs et encourager ceux qui se mon-treraient honnêtes et intègres12. Pour cela, il ambitionne de recourir massivement à des dispositifs numériques d’évaluation en temps réel, des performances envi-ronnementales des entreprises et des cadres des administrations provinciales sur l’ensemble du territoire. Les autorités centrales cherchent ainsi à mettre en place des mécanismes d’automatisation des sanctions et récompenses visant à s’assurer que les lois environnementales soient respectées et les comportements considérés comme vertueux et écoresponsables récompensés.

Pour le moment, des projets pilotes sont développés par les grandes entreprises d’État et certaines administrations. Celles-ci doivent renforcer leurs systèmes de monitoring environnemental et divulguer les informations récoltées via des

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] « Green Policy in focus as China’s rise to an ecological civilisation continues apace », China South Morning Post, 2017, http://www.scmp.com/comment/insight-opinion/article/2114748/green-policies-focus-chinas-rise-ecological-civilisation

plateformes gouvernementales dédiées, montrant ainsi l’exemple. Au-delà de la divulgation volontaire des données par les acteurs, l’État central a de plus en plus massivement recours à l’utilisation des technologies spatiales. Il s’agit pour ce dernier de récolter des données sur les entreprises et les administrations, indépen-damment de leur volonté. Ce faisant, le gouvernement peut contrôler la validité des données présentées par ces acteurs, en les comparant avec les données satellitaires, et sanctionner ceux qui auraient trafiqué leurs données.

Outre les technologies satellitaires, le gouvernement central compte aussi sur les citoyen·nes, les ONG et les médias pour prendre part aux mécanismes d’évaluation des entreprises et des administrations du pays, forçant ces dernières à faire atten-tion à leur réputaatten-tion environnementale. Les agences de recouvrement de crédit et les banques sont également incitées à recueillir des informations sur le crédit environnemental des entreprises et à les transmettre aux autorités.

Notons, par ailleurs, que l’ensemble des informations environnementales collectées par le ministère de l’Écologie et de l’Environnement sont divulguées sur « Credit China »13 une plateforme publique nationale gérée par la National Development and Reform Commission (NDRC)14. Le gouvernement cherche ainsi à répondre au désir de transparence que réclament les citoyen·nes et les ONG vis-à-vis des entreprises et de l’administration en matière environnementale. C’est une façon pour le gouvernement de rendre des comptes à sa population, tout en orientant les mécontentements populaires vers les potentats locaux ou les entreprises non stratégiques et fortement polluantes, sans que cela ne vienne remettre en cause la centralité du pouvoir.

Il est intéressant d’observer qu’à l’heure actuelle, il n’existe pas de système officiel de surveillance de l’éco-responsabilité des citoyen·nes. C’est-à-dire qu’aucune administration publique n’est officiellement mandatée par le pouvoir central pour contrôler les modes de vie des citoyen·nes et s’assurer de leur conformité avec les normes environnementales du pays. En revanche, la surveillance des citoyen·nes en matière d’écologie est assurée par les plateformes privées, notamment Alibaba qui a développé une application, Ant Forest, visant à promouvoir des modes de vie respectueux de l’environnement à travers une version gamifiée et dépolitisée de l’écologie, dans laquelle les usager·es reçoivent des récompenses ou des sanc-tions en fonction de leur comportement plus ou moins écoresponsable15. Notons que rien n’oblige les citoyen·nes à utiliser Ant Forest, leur participation à cette plateforme repose uniquement sur leur désir de faire partie de la communauté des utilisateur·rices et de gagner des points sur Alipay, l’application en charge de noter les citoyen·nes ayant recours à la plateforme Ant Financial d’Alibaba. Ant

[13] http://www.creditchina.gov.cn/chengxinwenhua/chengshichengxinwenhua/

[14] Liang, F., Das, V., Kostyuk, N., & Hussain, M. M. (2018). « Constructing a Data‐Driven Society: China's Social Credit System as a State Surveillance Infrastructure », Policy & Internet, 10(4), 415-453.

[15] Chong, G. P. L. (2019). « Cashless China: Securitization of everyday life through Alipay’s social credit system—Sesame Credit », Chinese Journal of Communication, 1-18.

Forest est présenté comme un jeu en ligne permettant de gagner des avantages dans la vie réelle, notamment un accès avantageux au crédit en ligne pour acheter des biens de consommation.

Reste à savoir si Alibaba et le gouvernement projettent d’exploiter ces données pour s’assurer que les modes de vie des citoyen·nes soient bien conformes au projet de civilisation écologique du PCC. Jusqu’à quel point l’État, aidé par les géants des télécommunications, sera-t-il capable de modifier le comportement des individus pour les mettre en adéquation avec ses rêves de renouveau écologique ?

Vers de nouvelles normes de gouvernance des écosystèmes

Dans le document Au-delà du low-tech : (Page 141-144)