• Aucun résultat trouvé

L’Approche théorique et méthodologique des concepts de l'intelligence et de la résilience

L'évolution spectaculaire du tourisme, dans ses deux côtés corrélatifs: la production et la consommation, appuyée par l'amplification et la diversification de ses implications, met en évidence la réceptivité de ce champ à la dynamique de la société, son évolution dans un système complexe de facteurs, qui se distinguent entre eux par la nature, le rôle et la participation dans des proportions différentes lors de la décision du tourisme. Leur grande influence varie non seulement selon chaque contenu spécifique, mais aussi par rapport à la date et le lieu de l'action. En outre, leur interaction réciproque et simultanée potentialise leur effet final, ce qui rend difficile la quantification de chaque contribution (Kiyindou et Ţigu, 2008; Ţigu, 2012; Novelli et al., 2012; Scott, 2011).

48

Le tourisme reflète la société dans son ensemble et il peut être considéré comme un véritable baromètre de la société (Ionescu, 2004). La problématique du tourisme durable donne lieu à une série de propositions visant l’amélioration de l'infrastructure touristique au niveau régional et national, afin d'accroître l'afflux de touristes, pour assurer une utilisation durable des ressources naturelles et l'exploitation des traditions ethnico-culturelles, protéger, préserver et enrichir le patrimoine et pour augmenter la qualité des services offerts aux touristes (Zhenjia, 2008; Simao et Partidario, 2012).

Les acteurs du secteur du tourisme sont soumis à des évènements extérieurs susceptibles parfois de les déstabiliser voire de les faire disparaître. En tout cas, il est important de permettre au système de s’adapter et de faire face.

Ce travail considère que la dynamique d’un secteur dépend de deux facteurs:

 l’identification des variables du système et la compréhension de leurs interactions  la capacité d’interaction entre différentes familles d’acteurs qui doivent concourir,

ensemble, à la résolution du problème.

Il se pose ainsi l’hypothèse selon laquelle le développement de tourisme durable dépend de la capacité des acteurs d’un territoire à avoir une compréhension fine des interactions entre les variables sous jacentes et à mettre en œuvre une action collective cohérente et orientée vers le développement durable et l’amélioration de la qualité de vie de ses participants (Strickland- Munro et al., 2010). Cette hypothèse implique qu’il faille se doter d’outils et de pratiques permettant de mesurer ces interactions entre acteurs et entre variables. Ces pratiques sont appelées des pratiques interactionnistes. L’analyse des réseaux sociaux s’avère par exemple particulièrement adaptée pour rendre compte des interactions entre les acteurs territoriaux (Perrin et Boutin, 2005; Boutin, 1999).

En accord avec ce point de vue, le développement territorial dépend de la capacité des différentes parties prenantes à partager l’information, à coopérer entre eux et à faire vivre le capital formel territorial. Le capital formel territorial est défini comme ‘’l’ensemble des connaissances pluridisciplinaires qui améliorent la compréhension de la structure et de la dynamique des territoires’’. La dynamique territoriale s’apprécie donc à travers la capacité qu’aura ou non un territoire à produire une intelligence territoriale (Bertacchini, 2004; Bertaccchini et al., 2007) en mobilisant la variété des acteurs qui le constituent et en faisant preuve de résilience territoriale (Holling, 1973).

Parmi les approches du développement, l’approche micro, à travers la notion de développement local ou territorial, nous semble constituer le niveau d’analyse pertinent pour rendre compte des dynamiques territoriales à l’œuvre et des potentialités à activer. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les concepts de l’intelligence et de la résilience territoriale (Ballesteros, 2011; Quick; 2008; Walker et Salt, 2006).

49

Le concept d'intelligence territoriale a été défini en 1999 par Girardot comme un ensemble de connaissances interdisciplinaires qui contribue à la compréhension de la dynamique d'un territoire, d'une part, et, d'autre part comme un instrument qui se veut à être au service des parties impliquées dans le développement durable d'un territoire. De cette façon, l'intelligence territoriale suppose de placer la gestion de projets et les techniques de la société informationnelle au service du développement durable (Girardot, 2005; Bertacchini et al., 2007). L’intelligence territoriale s’appuie sur le paradigme de la complexité (Morin, 1992) ainsi que sur la dynamique des systèmes complexes.

L’intelligence territoriale pose l’hypothèse que le développement d’un territoire est entre les mains des acteurs territoriaux. Faire de l’intelligence territoriale c’est comprendre le maillage entre différentes familles d’acteurs poursuivant chacun leur objectif propre. C’est aussi mobiliser les acteurs de terrain autour d’un projet partagé. Au delà des discours et des incantations sur le bienfondé d’une approche par l’intelligence territoriale, certains travaux se sont penchés sur les outils au service de l’intelligence territoriale (Boutin et al., 2008).

Une équipe de recherche de Besançon (Girardot et Masselot, 2008) a proposé une méthode (Catalyse) qui permet de co-construire un projet d’intelligence territoriale. Cette méthode s’appuie sur un outil logiciel mais le cœur de la démarche est qu’elle mobilise des acteurs de terrain qui s’approprient l’outil et construisent ensemble le projet de territoire. Cette approche méthodologique s’est diffusée grâce à un projet européen qui l’a fait connaître au delà des frontières françaises.

Selon les principes de l’intelligence territoriale, la résilience territoriale, telle qu'elle a été définie en 1973 par le chercheur Holling C.S. représente la capacité d'un système à résister aux perturbations socio-économiques susceptibles d'interférer, de s'adapter à des circonstances adverses et de se réorganiser en fonction des conditions existantes, de sorte qu’il conserve toujours son essence. Dans sa recherche l’auteur avance l’idée selon laquelle l’exposition passée à des chocs joue un rôle important pour construire et renforcer la capacité de résilience d’une communauté (Holling, 1986).

Le concept de résilience est issu des travaux dans le domaine des sciences de l’ingénieur. On parle de résilience des matériaux pour désigner le temps mis par un matériau pour revenir à sa position initiale suite à un choc. Ce concept de résilience a fait l’objet d’une transposition dans le domaine des sciences humaines et sociales (Walker et al., 2009; Walker et Salt, 2006). Pour bien comprendre la nuance qui existe entre approche en sciences et approches en sciences humaines, Strickland-Munro et al. (2010) considèrent qu’il est nécessaire d’introduire la notion de dynamique des systèmes. Une communauté, un système socio-écologique peut être considéré comme un ensemble d’éléments en interaction.

Les systèmes évoluent dans des espaces multidimensionnels et se situent à un moment donné dans une zone appelée bassin d’attraction. En cas de perturbation, le système quitte son

50

bassin d’attraction et suit une trajectoire qui va le conduire vers un autre bassin d’attraction (Gallopin, 2006). La Figure 1.8 illustre ces concepts.

Figure 1.8 La dynamique des systèmes complexes

Source: Gallopin (2006)

Cette approche par la dynamique des systèmes permet de distinguer la résilience en ingénierie de la résilience en sciences humaines et sociales. En ingénierie ou dans le domaine de l’écologie, la résilience correspond à la magnitude d’une perturbation qui peut être absorbée tout en restant dans le champ d’un même attracteur. En sciences humaines et sociales, la résilience est un processus qui associe des capacités d’adaptation à une trajectoire positive après un choc (Norris et Stevens, 2008).

Au fil du temps le concept de résilience a suscité l’intérêt, fait démontré par le nombre des publications existant depuis 1973 sur ce sujet. En 2013, Xu et Marinova montrent dans leur étude bibliométrique, réalisé à travers trois corpus (Scopus, Google Scholar et Web of Science), que cette thématique connaît un développement évident depuis moins de cinq ans (Figure 1.9).

51

Figure 1.9Le nombre annuel de publications de la recherche sur la résilience citées dans Web of Science, Scopus et Google Scholar, entre 1973-2011

Source: Xu et Marinova (2013)

Leur recherche identifie aussi quatre contextes dans lesquels, la résilience est abordée: le contexte écologique (Eco), économique (Econ), social (Soci) et celui de systèmes intégrés complexes (Sust) (Figure 1.10).

Figure 1.10Les contextes des travaux sur la résilience Source: Xu et Marinova (2013)

Un certain nombre de travaux se sont attachés à mesurer le niveau de résilience d’une communauté. Ces mesures sont souvent réalisées sur un territoire spécifique et sont issues d’une approche qualitative conduite auprès de représentants de la communauté étudiée. Certaines des

52

marqueurs de la résilience sont aisément mesurables (les ressources économiques), d’autres beaucoup plus difficilement (le capital social, le réseau organisationnel, l’exposition au risques passés) (Walker et al., 2009).

Après avoir défini les deux concepts d’intelligence et de résilience territoriale, nous allons nous attacher à montrer l’intérêt de la transposition des concepts au domaine de tourisme.

On observe que la caractéristique principale de ces deux concepts est la participation (Ballesteros, 2011) par planification et implication. Cela permet d’élaborer un cadre de décision et d'évaluation des actions concernant le développement d’un système. Partant de ce constat, des nombreuses recherches ont prouvé la nécessite d’une nouvelle culture de la gestion des ressources sous la forme des capacités et des possibilités (Milman et Short, 2008). Le rôle de la communauté locale devient essentiel dans l'évaluation et la mise en œuvre du potentiel de développement (Sherrieb et al., 2010).

Le succès de la mise en œuvre de ces deux concepts pourrait être fourni par la réalisation des synergies (Figure 1.11) entre le domaine économique, social, administratif et éducatif, à condition de partir des besoins de chaque participant impliqué dans le développement et de générer de la confiance par cohérence, transparence et crédibilité (Plummer et Fennell, 2009; Boutin et al., 2013, Pomeanu et al., 2013).

Ces concepts indiquent un processus comprenant la participation de tous les facteurs impliqués, la proximité globale des situations, des accords de partenariat et l'accessibilité aux technologies de la Société Informationnelle pour le développement (Girardot, 2007; Pomeanu, 2013).

53

Figure 1.11 Les principes de l’intelligence et de la résilience territoriale dans le tourisme durable

et le développement régional Tourisme Durable et Développement Régional Ressources en place Conjuguer performances économiques, sociales et environnementales Faisabilité Demande d’engagement Fiabilité Demande de transparence Souplesse

Assurer une cohérence entre les valeurs locales

et les objectifs du développement proposés

Partenariats publics et privés

54

La puissance de ces concepts interactionnistes ne s’arrête pas seulement à la révélation du potentiel d’action. Cette approche repose sur l’hypothèse sous-jacente que le développement territorial se construit sur la dynamique des réseaux d’acteurs qu’il s’agit de mobiliser. Cela consiste en une vision très endogène du développement territorial (Fernandez Quintanilla et al., 2007). L’opposition entre les pratiques classiques de développement et celles interactionnistes cache donc une différence de fond entre développement territorial descendant (de haut en bas) et développement territorial ascendant (de bas en haut). Derrière le principe du développement territorial descendant, on trouve en filigrane l’idée de rationalisation, de performativité: le projet se traduit en stratégie; la stratégie se décline en objectifs, l’objectif se mesure par un ensemble d’indicateurs. L’indicateur fixe donc le cadre de l’action de terrain et lui permet de répondre à la stratégie. L’indicateur est la déclinaison opérationnelle de la stratégie, différentes stratégies génériques devant se traduire par différentes familles d’indicateurs (Maxim, 2010; Quick, 2008). Une stratégie descendante se décide en haut et s’opérationnalise au niveau local par la satisfaction d’indicateurs descriptifs. Les indicateurs descriptifs mesurent une réalité observable là où les indicateurs interactionnistes révèlent des potentialités d’action (Boutin et al., 2013).

Recourons à l’exemple pour comprendre cette différence. Considérons la progression du nombre de nuitées passées par les touristes sur un territoire. Cet indicateur est purement descriptif d’une réalité mais ne fournit aucune clé de compréhension ni d’interprétation du monde. Cet indicateur en reste à la surface des choses. Il ne permet pas de comprendre la dynamique qui a conduit à ce résultat. Serge Gagnon (2007) décrit le territoire comme un ensemble composé de trois couches. La couche la plus profonde est de nature anthropologique. La couche intermédiaire rend compte des interactions. La couche de surface correspond aux manifestations économiques.

Les indicateurs interactionnistes s’intéressent aux déterminants des phénomènes. Ils considèrent que la réalité observée est le fruit d’un jeu d’acteurs qui se manifeste par des alliances, oppositions entre acteurs d’un territoire. Il s’agit de reconstituer ce jeu d’interactions entre acteurs qui permet de mieux comprendre les résultats économiques et environnementaux (Gagnon, 2007; Priego et al., 2011; Wearing et al., 2010). L’indicateur interactionniste permet donc de remonter au niveau deux de l’approche de Gagnon. Il permet de comprendre le résultat économique comme le résultat d’un processus humain d’interactions entre acteurs. Illustrons l’indicateur interactionniste. On s’intéresse à l’évolution des interactions hypertextuelles entre les sites web des maisons d’hôtes sur un territoire donné. Ces interactions peuvent être mesurées par des indicateurs issus de l’analyse réseaux (Boutin et al., 1999c). Ces indicateurs ont un pouvoir interprétatif. Si le nombre de nuitées a augmenté, cela peut être dû au fait que les sites web du territoire ont de plus fortes interactions entre eux, de plus fortes interactions avec des sites web externes (Perinn et Boutin, 2006). L’indicateur interactionniste a donc un pouvoir explicatif. Il permet de mieux comprendre le contexte qui se traduira ensuite sur le plan des

55

manifestations économiques. Il considère, dans une logique de bas en haut, que le développement local est le fait d’acteurs de terrain et qu’un terrain disposant de différentes familles d’acteurs interagissant a un potentiel de développement plus fort qu’un autre (Blanco et al., 2009).

L’État peut fixer à un territoire un contrat d’objectifs et de moyens qui s’appuie sur la réalisation d’objectifs économiques quantitatifs qui doivent être justifiés pour obtenir un financement (Janicke, 2012). Pour autant le territoire peut mettre en œuvre une approche ascendante pour y parvenir.

Les indicateurs descriptifs classiques et interactionnistes apparaissent alors complémentaires, le second ayant un pouvoir interprétatif plus fort que le premier pour guider le développement local du territoire.

Les décideurs du secteur du tourisme ont besoin de connaître les liens entre le tourisme et les milieux naturels et culturels, y compris les effets des facteurs environnementaux sur le tourisme et les impacts du tourisme sur les données existantes (Karakosta et al., 2009; Najdeska et Rakicevik, 2012; Ţigu, 2012). En utilisant des données recueillies, les changements dans les structures environnementales, sociales et économiques peuvent être détectés. La prise de décision dans la planification et gestion du tourisme peut, par conséquent, être améliorée. L'objectif est de réduire les futurs risques pour l'industrie du tourisme et vers les destinations.

Le tourisme et le développement local étant deux domaines extrêmement vastes, il est instructif de changer d’orientation en ce qui concerne les pratiques classiques pour l’évaluation d’un certain territoire, en adoptant une grille de lecture interactionnistes. Une telle grille interactionniste peut constituer un outil de planification et concourir à la viabilité économique et environnementale du territoire, á long terme.

56