• Aucun résultat trouvé

L’approche globale : pourquoi "ça marche" ?

2.3.1. Comment sont "globalisées" des informations localisées et hétérogènes sur un bassin versant en vue de la modélisation pluie-débit globale ?

Le développement de l’approche globale a pour origine le constat qu’il est aujourd'hui impossible de représenter en détail un système aussi complexe et encore très mal connu qu’est un bassin versant. De plus, pour un grand nombre de questions du domaine opérationnel nécessitant une modélisation, on va chercher à connaître l’évolution temporelle d’une seule ou d’un nombre réduit de variables. Il est alors injustifié d’utiliser un modèle détaillé du bassin versant pour connaître uniquement son fonctionnement d’ensemble.

Avec l’approche globale, l'hydrologue représente sous une forme extrêmement simplifiée la résultante des processus qui ont lieu sur un bassin versant. Cela revient à considérer globalement les variations spatiales, à l’échelle du bassin versant, des forçages atmosphériques (précipitations, évapotranspiration) et des caractéristiques physiques (sols, végétation, géologie, topographie, etc.).

Dans le cas des modèles pluie-débit globaux dits "à réservoirs" (dont il sera question dans ce travail), le fonctionnement d’ensemble du bassin versant est représenté par un assemblage de réservoirs interconnectés qui se vident et se remplissent au cours du temps et dont certains commandent la dynamique du système (humidité du sol par exemple).

Chaque réservoir est décrit par le niveau d’eau à un pas de temps (variable) et par un ensemble de paramètres constants (souvent sa capacité maximale). Des fonctions, comme les hydrogrammes unitaires, peuvent être également associées aux réservoirs afin d'assurer un fonctionnement spécifique (pour le transfert par exemple).

Ces modèles comportent deux composantes majeures (pas forcément dissociées dans la structure du modèle) :

Un module de production responsable de la détermination des bilans en eau, c’est-à-dire de la répartition de la pluie brute, en pluie efficace (alimentant le débit), quantité évaporée et quantité stockée. Parfois présentes dans les modèles, des fonctions d’échanges en eau permettent de simuler des pertes et/ou des apports vers ou de l’extérieur du système. Elles appartiennent aussi à la fonction de production ;

Un module de routage ou transfert permettant d’assurer la répartition temporelle de la quantité d’eau transitant dans le cours d’eau.

La structure de ces modèles dépend d’un certain nombre de paramètres (variable selon le modèle utilisé) qui permettent à l’utilisateur d’adapter la structure d'un modèle donné aux

caractéristiques spécifiques du bassin versant étudié. Grâce à ce jeu de paramètres, il est possible de prendre en compte les hétérogénéités spatiales du bassin d’une manière globale. Les paramètres intègrent alors les spécificités locales du bassin.

Cependant, du fait de la structure de ce type de modèles, il est extrêmement délicat d’interpréter physiquement leurs paramètres en les reliant à des grandeurs observables sur le bassin versant. Malgré un effort important pour tenter de trouver une interprétation physique des paramètres de tels modèles, ils doivent être estimés grâce à des techniques numériques d'optimisation (Mathevet, 2005). Ces techniques permettent, lors de la phase de calage, de déterminer les valeurs des paramètres les plus adaptées au bassin étudié (nous détaillerons ces aspects d’optimisation dans la suite).

a) Photographie aérienne du bassin versant de l’Orgeval (Seine et Marne)

b) Ce qu’en "voit" le modèle GR4J

Figure 2.5 : Exemple de ce que peut "voir" un modèle pluie-débit global d’un bassin versant

a) Ce que voit l’être humain b) Ce que pourrait voir une abeille

Figure 2.6 : Comparaison entre la vision humaine et celle d’une abeille

La Figure 2.5 permet d'illustrer la réponse à la question posée en titre de ce paragraphe : Comment sont "globalisées" des informations localisées et hétérogènes sur un bassin versant en vue de la modélisation pluie-débit globale ? Elle montre ce que "voit" le modélisateur du bassin versant (à l’image de la comparaison entre la vision de l'être humain par exemple et celle d’un animal Figure 2.6).

Le bassin versant modélisé est "vu" comme une série de fonctions mathématiques permettant de simuler au mieux son comportement. On pressent des explications précédentes qu’une question-clef à laquelle est confronté le concepteur-modélisateur est de déterminer quelles fonctions mathématiques utiliser pour représenter au mieux le comportement du bassin versant.

2.3.2. Approches de développement des modèles globaux à réservoirs

Les approches de développement des modèles globaux à réservoirs s'appuient sur deux points de vue différents (Perrin, 2000) :

La grande majorité des modèles à réservoirs existants sont des modèles dits conceptuels mis au point à partir de concepts sur la manière dont se passe la transformation pluie-débit. On représente alors dans le modèle de façon simplifiée les processus jugés pertinents pour la modélisation par un certain nombre d’outils mathématiques. Le concepteur du modèle introduit des idées a priori, généralement fondées sur les connaissances physiques et l’observation du bassin. Beven (1997) qualifie d’ailleurs cette approche de "perceptuelle", soulignant qu’elle reste personnelle et dépendante de la façon dont le concepteur-modélisateur perçoit la réalité ;

Plus rares que les précédents, les modèles empiriques, eux, sont construits seulement à partir des observations hydrométéorologiques (correspondant aux entrées et sorties du modèle), sans avancer d’hypothèses a priori sur la nature des processus dominants ou d’idées préconçues sur la structuration du modèle. Le modèle est alors construit à partir d’une structure élémentaire initiale, complexifiée progressivement si nécessaire pour une amélioration de l’efficacité. Le concepteur-modélisateur cherche en fait à découvrir quels éléments doivent intervenir dans cette structure et comment les relier, non pas en fonction de la chaîne des phénomènes physiques dont il a connaissance dans le milieu naturel, mais en fonction du plus ou moins grand succès du modèle à reproduire les débits observés. Dans cette approche de développement, les données jouent un rôle primordial puisqu’elles vont guider le concepteur-modélisateur dans le choix des différents outils mathématiques et dans la détermination de leurs relations.

L’approche empirique permet de réduire la part de subjectivité inhérente à l’approche de développement conceptuelle. Nous détaillons l’approche empirique au chapitre 3.

Il peut paraître surprenant que des représentations du bassin versant aussi simplifiées que celles utilisées par les modèles globaux puissent être performantes en termes de simulation de la relation pluie-débit. Cela est dû au fait que le bassin versant n’est pas un assemblage aléatoire de différents éléments mais un système dont les différentes parties sont liées par un passé commun. Ceci nous laisse espérer qu’il sera possible de décrire la transformation de la pluie en débit à l’échelle du bassin versant par des fonctions simples (Nash et Sutcliffe, 1970).

2.3.3. Vouloir prendre en compte les barrages dans un modèle pluie-débit global : une contradiction ?

Utilisant des paramètres globaux pour décrire le bassin et ses différents compartiments et ne permettant pas de tenir compte explicitement de son hétérogénéité et de sa structure spatiale, les modèles globaux semblent, pour beaucoup d'hydrologues, inadéquats pour évaluer l’impact hydrologique d’un aménagement (Sharma et Luxmoore, 1979 ; Freeze, 1980 ; Abbott et al., 1986 ; Ambroise, 1998 ; Sivapalan et al., 2002). Comme nous l'avons évoqué précédemment, la prise en compte des barrages-réservoirs dans ce type de modèles peut représenter un combat perdu d'avance. En effet, leur localisation sur le bassin et leurs caractéristiques qui, comme on l’a rappelé au chapitre 1, jouent un rôle important sur leurs impacts hydrologiques, ne peuvent pas être utilisées directement par le modèle. Les composants et les paramètres de ce type de modèles sont difficilement interprétables physiquement, ce qui rend délicate la prise en compte dans leur structure d’un élément comme un barrage-réservoir.

Cependant, en élargissant la recherche bibliographique à la prise en compte d’éléments spécifiques et localisés dans une modélisation globale, on trouve un certain nombre d’études qui ont abordé ce sujet et dont les résultats semblent prometteurs.

Il faut distinguer les approches qui visent à intégrer dans la structure d’un modèle pluie-débit des éléments spécifiques et localisés (comme on cherche à le faire avec les barrages) des approches qui cherchent à prendre en compte la variabilité spatiale de phénomènes touchant l’ensemble du bassin comme les pluies ou l’évapotranspiration. Dans le premier cas, il s’agit de prendre en compte des éléments très localisés pouvant avoir un impact sur la réponse du bassin versant alors que dans le deuxième cas, il s’agit de prendre en compte des phénomènes susceptibles d’avoir lieu sur l’ensemble du bassin mais dont l’intensité peut varier dans l’espace.

Eckert (2002) s'est intéressé à la prise en compte des couverts neigeux au sein d’un modèle pluie-débit global. Le phénomène neigeux possède une grande variabilité spatiale : à l’échelle du bassin versant, les précipitations ne sont pas uniformes et la

fonte est essentiellement contrôlée par l’altitude. Un modèle complètement global, ne

"voit" ni la répartition spatiale des précipitations ni les altitudes du bassin. Il semble alors contradictoire de vouloir tenir compte du couvert neigeux dans ce type d’approche. Eckert (2002) montre qu’un certain niveau statistique de variabilité est alors possible lors de la prise en compte du couvert neigeux temporaire au sein d’un modèle pluie-débit global. La problématique de cette étude diffère de la prise en compte des barrages-réservoirs car il s'agissait de modéliser un phénomène, certes souvent localisé mais naturel ;

Ivkovic et al. (2005) se sont penchés sur la prise en compte des prélèvements dans la nappe dans un modèle pluie-débit global afin d’en quantifier l’impact sur les débits à l’exutoire. A partir d’un modèle pluie-débit existant (IHACRES, Jakeman et al., 1990), un module prenant explicitement en compte les changements de niveaux de la nappe (dus à des prélèvements pour l’irrigation) a été développé. Un réservoir supplémentaire représentant la nappe a alors été ajouté à la structure initiale du modèle. Les volumes prélevés dans la nappe constituent de nouvelles entrées du modèle. Dans ce cas, les prélèvements et les échanges avec la nappe sont traités de manière globale.

Les deux exemples précédents, bien qu’éloignés de la problématique de la prise en compte des barrages, suggèrent que les modèles globaux sont aptes à prendre en compte des éléments dont les impacts sur le débit dépendent de leur localisation sur le bassin versant.

La prise en compte des barrages-réservoirs en modélisation pluie-débit globale n’a pas été abordée en pratique jusqu'à présent. Souvent, un modèle global est jugé a priori inadéquat pour traiter cette problématique. Face à ce constat, il nous est apparu intéressant (et stimulant !) de traiter cette question.