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Pour le sequential finger tapping, nous avons vu que les patients étaient moins performants que les témoins pour effectuer, apprendre et restituer une séquence de 5 appuis. La plus grande différence de groupe mesurée dans cette tâche était pour la phase de restitution et concernait donc l’exécution de la séquence une fois mémorisée par les sujets. Ce score de mémorisation reflète à la fois la capacité à effectuer la séquence mais surtout la mémorisation de cette dernière. Le fait que les patients aient pour les phases d’apprentissage (P1 et P2) une performance plus faible que celle des témoins suggère qu’ils ont un problème d’exécution de séquence comme l’ont montré d’autres études dans d’autres types de tâches motrices comme avec une tâche de préhension de précision (Delevoye-Turrel et al., 2003) ou avec une évaluation utilisant les SNM (NES-Q, Kasparek et al., 2012). Cependant ce déficit dans la capacité de séquencer les mouvements des doigts reste léger et n’empêche pas les patients d’atteindre un niveau de réussite similaire à celui des témoins après une phase d’apprentissage plus longue. Le fait aussi que la performance des patients diminue et retourne à un niveau très bas pendant la phase de restitution suggère qu’ils ont un problème d’apprentissage et de mémorisation de la séquence ce qui laisse penser que c’est la partie plus cognitive de la tâche qui limite leur performance plus que le séquençage du mouvement. D’autres études ont déjà montré des déficits d’apprentissage de séquences non motrices chez des patients schizophrènes mais dans le cadre d’apprentissage implicite (Siegert et al., 2008 ; Adini et al., 2015). Plus que révéler un réel déficit d’apprentissage, ils montrent plus un ralentissement de celui-ci. Notre tâche ne mesure pas l’apprentissage implicite puisque il est explicitement demandé aux patients de mémoriser la séquence mais la courbe d’apprentissage au cours des essais successifs suggère également un ralentissement de l’apprentissage de la séquence dans notre tâche pour ces patients. Le fait est que les patients mettent significativement plus de temps pour effectuer la séquence pendant la phase de restitution va également dans le sens de ces travaux (Adini et al., 2015). Le score le plus fortement affecté chez les patients

91 schizophrènes dans notre étude est le score de mémorisation du sequential finger tapping. Il s’agit du seul de nos scores FFM qui corrèle avec l’échelle de la PANSS notamment avec la sous-échelle de la désorganisation. Ceci fait du sens puisque ce score de mémorisation est probablement le plus cognitif des scores FFM. Il semble donc cohérent que des patients ayant un plus fort degré de désorganisation soient également les moins performants pour une tâche d’apprentissage de séquence motrice. La désorganisation peut également limiter la capacité à effectuer une séquence motrice révélant encore une possible relation entre ces deux mesures. Il semble aussi cohérent que la PANSS totale corrèle avec cette mesure puisque l’importance des symptômes peut gêner la performance à cette tâche qui demande peut-être plus de ressources cognitives que les autres. Certaines études ont montré une diminution voire une absence d’apprentissage (pour des tâches de type Serial Reaction Time (SRT)) chez les patients fortement affecté (Adini et al., 2015). Cependant il faut prendre du recul par rapport à ces résultats car la capacité d’apprentissage de séquences motrices testée avec ce type de tâche concerne l’apprentissage implicite alors qu’avec notre approche nous mesurons l’apprentissage explicite d’une séquence motrice. Comme ces études, nous trouvons un apprentissage ralenti et moins efficace et ceci pourrait être dû à la désorganisation des patients comme le suggère nos corrélations.

Le timing

Pour le single finger tapping, les patients n’ont montré aucune difficulté pour effectuer la tâche. Leur vitesse moyenne de tapping était similaire à celle des témoins pour chaque condition. Ceci suggère qu’ils n’ont pas de problème pour exécuter un tapping avec les doigts et ce même à une vitesse de 3Hz. La fréquence moyenne de tapping, l’intervalle moyen entre les appuis, montrent bien qu’ils suivent correctement et maintiennent bien le rythme demandé et imposé. En revanche le fait que leur variation du temps inter appui (tap interval) soit plus importante montre que, même si leur tapping semble suivre la vitesse demandée, la variabilité de temps séparant chaque appui est plus grande chez ces patients. Ceci suggère que ces patients ont une forme d’irrégularité dans le tapping et donc une plus grande variabilité de

timing que les témoins. Ces résultats sont cohérents avec d’autres études qui par des tâches de

bissection temporelle ont aussi montré que le timing n’est pas affecté chez des patients schizophrènes mais que sa variabilité est augmentée (Capa et al., 2014 ; Bolbecker et al., 2014). Ces problèmes de timing que nous mesurons grâce à notre tâche pourraient comme le mentionnent Capa et al., 2014 et Bolbecker et al., 2014 être une mesure de l’asynchronie ou

92 dysmétrie qu’on soupçonne être responsable d’une part de la symptomatologie observée en schizophrénie notamment dans les hallucinations ou la déréalisation. Alors que ces études suggèrent que ce timing interne perturbé chez les patients schizophrènes pourrait expliquer la plus part des symptômes cognitifs de la maladie (Brown et al., 2004) nous ne trouvons aucune corrélation entre le SD tap interval et les mesures cliniques et neuropsychologiques. Même si cette altération du timing est présente chez ces patients, il est possible que nous ne trouvions aucune relation entre ce dernier et les autres mesures du fait qu’il puisse s’agir d’un déficit de fond (Palmer et al., 2009) et que les patients stabilisés qui ont des hauts niveaux cognitif et moteur utilisent des stratégies compensatrice pour maintenir un certain degré d’efficience.

L’indépendance des doigts

Concernant le multi-finger tapping, les patients montrent une moins bonne performance pour les configurations à un et deux doigts que les témoins. Dans cette étude les patients ne montrent pas de problèmes pour sélectionner et activer les doigts demandés, avec un index de sélectivité proche de 1. En revanche, leur capacité à individualiser les mouvements des doigts semble plus poser problème avec un index d’individualisation de 0,80. Ceci suggère une indépendance des doigts diminuée chez ces patients. Des problèmes d’indépendance des doigts n’ont pas été rapportés dans la littérature chez des patients atteints de schizophrénie. Cependant comme mentionné plus haut, l’indépendance des doigts peut-être liée à l’inhibition corticale latérale (Sohn et Hallett, 2004) et il a été montré dans d’autres études que cette inhibition latérale pourrait être diminuée chez des patients schizophrènes (mesurée par la

Short latency IntraCortical Inhibition (SICI) en Stimulation Magnétique Transcranienne

(TMS), Bridgman et al., 2016 ; Takahashi et al., 2013 ; Liu et al., 2009) et ce déficit pourrait être dû à une diminution du nombre de récepteur GABAA chez ces patients. De plus, il a été

montré que cette inhibition latérale affectée corrèle chez les patients schizophrènes avec les performances mesurées en mémoire de travail (Bridgman et al., 2016). Nous trouvons justement une corrélation entre notre mesure de l’individualisation des doigts et la mémoire de travail mesurée avec la WAIS-III ce qui conforte à la fois notre hypothèse de lien entre l’inhibition latérale impliquée dans l’indépendance des doigts mais aussi que ce serait cette dernière qui serait affectée chez les patients schizophrènes. Comme évoqué plus haut, nous trouvons une relation entre l’individualisation et la mémoire de travail de la WAIS-III. Ceci est intéressant car cohérent avec des résultats d’autres études (Bridgman et al., 2016) mais il reste difficile de comprendre pourquoi la mémoire de travail entre en jeux dans une tâche de

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tapping. Il est vrai que le « digit span » utilisé pour mesurer la mémoire de travail s’apparente à une tâche de tapping, et nécessite l’activation sélective de certains doigts ainsi que l’inhibition et l’immobilisation des autres doigts. Au-delà de ça, on peut émettre l’idée qu’il faut apprendre et stocker le mapping des doigts et des cibles visuelles dans la mémoire de travail et ensuite pour effectuer la tâche, maintenir ce mapping et l’utiliser. Ceci expliquerait que les patients avec une meilleure mémoire de travail mesurée avec d’autres tâches soient ceux ayant la meilleure réussite à la tâche et une meilleure indépendance des doigts. Le fait que la performance à cette tâche corrèle également avec l’attention (D2) chez ces patients va également dans ce sens.