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Section II. Analyse des comportements en matière de gestion des patrimoines financiers

2. La gestion des portefeuilles de valeurs mobilières

2.3 L’apport de la finance comportementale

L’étude commandée par l’AMF a été l’occasion d’intégrer les apports de la finance comportementale à l’analyse des « biais » comportementaux des épargnants français. Trois approches ont été privilégiées : la théorie des perspectives, la théorie du regret et l’aversion pour l’ambiguïté. Elles ont en commun un rejet de la fonction d’utilité quadratique, bien souvent en raison du non-respect de l’un au moins des 5 axiomes Von Neuman -Morgenstern.

Due à Kahneman et Tversky [1979], la théorie des perspectives a reçu un écho important auprès de la communauté scientifique, au point de valoir au premier nommé le prix Nobel d’économie en 2002. Les tests menés dans le cadre de loteries ont principalement révélé d’une

53 Voir également [11] sur ce point.

54 Cf. 1.2

part une sensibilité à la performance (gain ou perte) et non, contrairement à l’approche markowitzienne, au niveau de la richesse et, d’autre part, une asymétrie des comportements selon le signe du résultat caractérisant notamment une aversion pour la perte. Cette dernière observation se traduit par la convexité de la fonction d’évaluation55 côté pertes, alors que cette même fonction est concave côté gains, ce qui est synonyme d’une conservation de l’hypothèse d’aversion au risque sur cette dernière partie.

Cette approche est particulièrement éclairante pour les constats précédents, en apportant une explication potentielle à la quasi-totalité des biais observés. Tout d’abord, l’épargnant de la théorie des perspectives tend à surpondérer les risques de perte. Ceci est valable à court-moyen terme où il observe à peu près autant de jours de gains que de pertes (Myopic Loss Aversion, Benartzi et Thaler, 1995), mais également à long terme puisque la perte maximum envisageable ne cesse de s’élever avec le temps [29]. En raison de l’aversion pour la perte, il s’agit d’une explication possible au phénomène d’absence de participation aux marchés boursiers. Notons que tombe alors le principe de diversification temporelle puisqu’il n’y a pas d’entrée sur le marché, quel que soit l’horizon de placement.

Pour expliquer l’absence de diversification des portefeuilles, il faut compléter la théorie des perspectives par la notion de segmentation mentale proposée par Thaler (1999). L’objectif prioritaire de l’individu se positionne dans un premier compartiment : il s’agit de sécuriser le patrimoine à l’échéance. Pour cela, l’épargnant privilégie des actifs sans risque. Le second compartiment est beaucoup plus petit. Envisagé comme une loterie, il peut être extrêmement risqué. Le portefeuille se compose en effet de quelques titres pouvant provenir des mêmes secteurs d’activité, avec un risque bien supérieur au risque du marché. Une telle segmentation du patrimoine est la base de la théorie comportementale du portefeuille (Statman et Shefrin, 2000).

Sur un autre plan, il convient de noter que la théorie des perspectives semble représenter jusqu’ici la seule justification de l’asymétrie des comportements selon l’orientation des places boursières. En période de baisse des cours, les épargnants conserveraient leurs titres pour éviter d’enregistrer des pertes, d’où par exemple la grande inertie observée en France en 2000-2002 [28][2]. Le revers de la médaille est cependant que cette théorie ne peut être

55 Equivalent de la fonction d’utilité.

avancée seule pour expliquer la conservation des portefeuilles dans la mesure où cette inertie, quoique moins prononcée en période de hausse des cours, n’en est pas moins importante alors que l’épargnant de la théorie des perspectives est prompt à réaliser ses gains.

Enfin, à plus long terme, la théorie des perspectives permet de justifier l’emploi d’une stratégie d’investissement régulier. En effet, selon Statman (1995), un individu ne détenant que des liquidités et désirant acquérir des actions tentera de limiter le risque encouru en entrant progressivement sur le marché. S’il détient au contraire un portefeuille d’actifs risqués et qu’il souhaite le céder, il le fera progressivement pour limiter l’ampleur de la perte par rapport au benchmark que représente le portefeuille initial.

La seconde théorie, celle du regret (Bell, 2002, Loomes et Sugden, 2002), propose une alternative également intéressante. L’individu réagit par rapport à un point de référence. Si son placement ne parvient pas à faire aussi bien que cette référence, alors il éprouve le regret d’avoir effectué le mauvais choix. Il cherche donc à maximiser une satisfaction décrite par la fonction d’utilité U à double composante :

U(x,y) = v(x) + f(v(x)-v(y)) Avec :

x : richesse finale résultant du choix d’investissement opéré

y : richesse finale qui aurait été obtenue avec le placement de référence v() : fonction d’utilité Von Neuman – Morgenstern

f() : fonction de regret (croissante et concave)

La principale interrogation porte naturellement sur le benchmark choisi par l’individu. De ce point de vue, il semble que peu de certitudes existent encore. Néanmoins, quelques-uns des faits stylisés rappelés précédemment sont susceptibles de découler d’un comportement d’aversion pour le regret. Nous en avons recensé trois. D’abord, l’investisseur peut être tenté de répliquer son indice de référence sans jamais modifier sa position : ceci expliquerait l’inertie des portefeuilles, composés par exemple d’une seule SICAV. Ensuite, Solnik (2006) considère que si la référence est un indice domestique - par exemple le CAC40 pour la France - alors l’aversion pour le regret est source de biais domestique. Enfin, sur un plan dynamique, afin de ne pas regretter d’avoir pris une décision d’achat ou de vente au mauvais moment, l’investisseur peut être incité à adopter des pratiques de diversification temporelle ou d’investissement régulier (Statman, 1995).

La troisième approche ayant retenu notre attention est celle de l’aversion pour l’ambiguïté (Frisch et Baron, 1988), née de l’observation d’une préférence pour les loteries dont les probabilités sont connues avec certitude sur celles qui ne le sont pas. Cette analyse est à rapprocher du manque de connaissances financières d’une grande proportion d’épargnants [11][28], probablement peu à même d’attribuer des probabilités aux cours boursiers envisageables, contrairement aux principes proposés par Savage (1954). Il s’ensuit deux types de conséquences. Pour la majorité des épargnants, l’ambiguïté associée aux placements boursiers les tiendra éloignés des marchés. Pour d’autres, une partie de l’ambiguïté peut être levée sur quelques secteurs d’activité pour lesquels leur niveau de connaissance est plus élevé (une société ou un secteur d’activité dans lequel ils travaillent par exemple). Cela les conduit à privilégier une ou quelques lignes de titres et ainsi à constituer des portefeuilles largement sous-optimaux. Une illustration de ce principe aurait été donnée avec le secteur des TMT56 à la fin des années quatre-vingt-dix. Une autre peut être évoquée : la place de l’actionnariat salarié au sein de l’épargne salariale [31].

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