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Section II. Analyse des comportements en matière de gestion des patrimoines financiers

2. La gestion des portefeuilles de valeurs mobilières

2.1 Les faits

Pas plus en France qu’ailleurs dans le monde, il n’existe aujourd’hui d’épargnant-type. Ainsi que le rappelle Campbell (2006) dans son discours présidentiel à l’American Finance Association sur la finance des ménages, la richesse, le revenu, l’âge ou le niveau d’éducation (etc.) sont autant de facteurs discriminants. Il n’en demeure pas moins que, d’une manière générale, en matière de gestion de patrimoine financier, les ménages français ne sont pas exempts « d’erreurs », définies comme des écarts entre les conclusions d’une approche normative de la finance des ménages et celles de l’approche positive. La synthèse de nos travaux sur les comportements des épargnants français permet de faire ressortir cinq constats, dont les quatre premiers pourraient être assimilés à des « erreurs » :

- une participation encore modeste aux marchés boursiers [29][34]

Si l’évaluation de la participation aux marchés boursiers est rendue complexe par une intermédiation aux formes multiples, quelques statistiques permettent d’en rendre compte. Sur un plan macroéconomique, la détention d’actions sous toutes ses formes peut être estimée en 2007 à environ 28% du patrimoine financier des ménages (AMF, 2008). Néanmoins, pour plus de la moitié, cette proportion rend compte d’une détention de titres non cotés. Les encours traduisant naturellement très mal la diversité des comportements, il convient d’y ajouter des informations sur les taux de détentions fournis par l’Insee ou, plus fréquemment, par les enquêtes TNS Sofres. Ces dernières montrent que, malgré le soutien des différentes vagues de privatisations et les appels publics à l’épargne de grande envergure, le nombre de détenteurs en direct d’actions peine à dépasser le seuil des 7 millions, soit approximativement 15% des français de 15 ans et plus. Quant à la détention intermédiée, largement majoritaire au regard des encours, elle demeure relativement concentrée : le nombre de possesseurs de parts d’OPCVM actions oscille depuis quelques années entre 2 et 2,5 millions, celui des titulaires d’un contrat d’assurance-vie en unités de comptes représentait 9% des ménages en 2004.

- une diversification insuffisante [29][31][34]

La composition des portefeuilles est très variable selon leur taille. Une diversification satisfaisante, tant en nombre de lignes que sur un plan international, est bien davantage observée lorsque les portefeuilles sont de taille importante. Mais la grande majorité des portefeuilles est très insuffisamment diversifiée au regard de la théorie. Tel est notamment le cas pour les portefeuilles constitués au moment des vagues de privatisations ou dans le cadre de l’actionnariat salarié. Dans le premier cas, la logique de gestion ne semble pas avoir pris le relais de celle de commercialisation.

En raison du faible taux de détention d’OPCVM actions relativement à celui d’actions en direct, il est par ailleurs fort probable que le manque de diversification relevé pour les portefeuilles gérés directement n’est pas compensé par la détention concomitante d’OPCVM actions, qui conduirait pourtant à un rapprochement de la frontière efficiente.

- une faible réactivité [2][28][33]

Rappelons que sur un marché parfait, la théorie financière traditionnelle justifie une activité intense, puisque chaque modification des anticipations d’espérance de rentabilité et de risque

doit aboutir à une restructuration du portefeuille. Or, s’il convient là encore de proposer une très nette distinction entre les détenteurs de portefeuilles, fonction notamment de la taille de ceux-ci, c’est avant tout le terme « inertie » qui caractérise le mieux la gestion de ces portefeuilles par les ménages. Retenons en effet des investigations menées :

1) une durée moyenne de détention des actions bien supérieure à la moyenne de celle des autres acteurs ;

2) une inertie renforcée lorsque les cours boursiers s’inscrivent sur une tendance nettement baissière ;

3) l’existence d’une petite minorité hyper-active, pour laquelle on peut émettre l’hypothèse d’une émergence concomitante avec celle des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

- un comportement procyclique ?

Dans la période de forte variation des cours boursiers que nous connaissons depuis 1997, il est intéressant d’observer le positionnement des ménages dans le cycle, tant les écarts de rentabilité et, par voie de conséquence, de satisfaction, sont fonction des dates d’entrée et de sortie. De ce point de vue, l’analyse des statistiques de comptabilité nationale de plusieurs pays européens [52] révèle dans l’ensemble que :

1) les ménages français entrent très tardivement dans le cycle haussier, en cédant notamment aux argumentaires de la gestion collective (cf. les contrats en U.C), mais également dans la gestion directe de leur portefeuille (cf. l’augmentation du nombre de détenteurs en 1999 et 2000 révélée par les enquêtes et, globalement, la confirmation par l’estimation de Pansard (2006)) ;

2) lorsque les cours chutent, comme nous l’avons noté, c’est plutôt l’absence de réaction qui prédomine, d’où une augmentation de la durée moyenne de détention.

L’une des conséquences de ce mauvais positionnement est que les intermédiaires financiers font aujourd’hui davantage la promotion des formules d’investissement régulier qui, selon nos estimations [28], représenteraient un peu moins de 10% de la collecte totale de l’épargne de prévoyance (assurance-vie + PERP)51.

51 Des formules de ce type existent également dans le cadre de la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières.

- Une stabilité relative de l’aversion pour le risque

Il est assez courant de lire que l’aversion pour le risque des ménages évolue dans telle ou telle direction dès qu’une modification de la structure patrimoniale apparaît ou à l’occasion d’offres publiques d’achat. Bien souvent, de tels propos reflètent une confusion entre l’aversion au risque et l’exposition au risque. Si la seconde est d’autant plus variable que l’inertie rappelée précédemment a pour corollaire une forte sensibilité des encours aux phénomènes de valorisation, la première est probablement beaucoup plus stable dans le temps.

Les estimations de coefficients d’aversion pour le risque sont difficiles et, compte-tenu du vaste champ d’hypothèses, fournissent un large spectre de résultats. La plupart sont menées dans le cadre de travaux microéconomiques. (Hartog et alii, 2000, Arrondel et Masson, 2004).

Dans la lignée du modèle de choix de portefeuille développé à la CDC, nous avons choisi de mener une estimation d’un coefficient d’aversion absolue à l’égard du risque de 1990 à 2000 au niveau macroéconomique à partir du MEDAF [38]. Pour ce faire, une répartition du patrimoine financier des ménages en différentes classes d’actifs a été menée, chaque classe étant caractérisée par son espérance de rentabilité et son risque. Beaucoup des hypothèses retenues sont éminemment discutables au regard par exemple des constats établis ci-avant.

Celle d’anticipations parfaites, commode en l’absence d’études préalables sur le sujet, est évidemment la plus exposée à la critique. D’autres sont plus défendables. Ainsi, même si beaucoup de portefeuilles sont éloignés du portefeuille de marché, au niveau macroéconomique, compte tenu à la fois du poids largement majoritaire des OPCVM, détenus directement ou via des contrats d’assurance vie en unités de compte, et du biais domestique suscité en partie par la réglementation (PEA), le choix de prendre en compte les caractéristiques du portefeuille de marché (le CAC) semble être le plus adapté.

Le résultat principal de cette estimation, dont la qualité est discutée dans l’article, est l’absence de baisse de l’aversion pour le risque des ménages dans la seconde moitié des années quatre-vingt-dix. La déformation des stocks, la hausse de la collecte sur les contrats d’assurance vie en UC, seraient alors davantage le reflet de l’inertie et d’une estimation déficiente du couple rendement-risque sur les marchés boursiers en période haussière qu’un souhait de voir s’élever l’exposition aux risques financiers des patrimoines.

Les « erreurs » commises par les ménages, illustrées par les quatre premiers constats, trouvent des explications dans la théorie financière traditionnelle. Mais celles-ci sont parfois apparues insuffisantes, induisant une réflexion nouvelle sur le comportement des épargnants en univers risqué.

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