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L’application de la théorie de la faute pour les droits de propriété intellectuelle

Section I La prise en considération de la bonne foi en matière civile

A- L’application de la théorie de la faute pour les droits de propriété intellectuelle

propriété intellectuelle

145. Contrairement à la France, les textes concernant le traitement civil de la contrefaçon font référence à un élément intentionnel, et ce notamment en matière de contrefaçon de brevets, de marques, et en matière d’obtention végétale

287Ibid.

288 PIBD 1993 N° 544-III-314 ; voir également: Cour de cassation, Ch. commerciale, 13 février 1985

(PIBD 1985, N° 371-III-181)

« (. . .) Les courriers qui lui ont été adressés, à partir du 29 septembre 1988, par Kimberley

Corporation ou son conseil en brevet, l'informaient sans ambiguïté de l'existence des droits de Kimberley Clark Corporation. (. . .)

Stockvis ne pouvait, sans mauvaise foi, continuer à commercialiser des produits dont elle savait qu'ils étaient brevetés, et que le titulaire dans des droits s'opposait à leur commercialisation, en France par d'autres que ses distributeurs. (. . .)

A partir de cette date, la société Stockvis a agi en connaissance de cause,. elle sera donc déclarée contrefacteur. »

289 Le Stanc, Christian. « L' Acte De Contrefaçon De Brevet D'invention. » Collection Du Ceipi. Paris:

1° La théorie de la faute

- Ce principe a déjà été énoncé au XVIIe siècle par Domat290. Initialement, les articles 1382 et 1383 du Code civil français, en tant que dispositions générales de la responsabilité délictuelle, se fondent explicitement sur ce principe. Il en va de même pour une disposition générale en Thaïlande à savoir l’article 420 du Code civil thaïlandais. La différence entre l’article 1382 français et l’article 420 thaïlandais est que le terme de « faute » apparaît visiblement dans le texte français alors qu’il ne figure pas dans le texte thaïlandais. Mais on peut tout de même en déduire que la responsabilité de l’article 420 découle également du principe de faute291.

Ainsi l’article 420 du Code civil Thaïlandais (

ประมวลกฎหมายแพงและพาณิชย

) dispose-t-il que « Celui qui cause, d’une manière illicite, un dommage à autrui, soit

intentionnellement, soit par négligence, est tenu de le réparer. » Il traduit la simple

idée qu’un élément moral est en principe requis pour être qualifié de contrefaisant. Cependant la doctrine 292 affirmait déjà que la contrefaçon sur le plan civil doit être traitée en délit intentionnel où elle devait nécessairement être pris en considération, tout en estimant que la bonne foi se présumait. Lorsque la victime s’insère dans le procès pénal pour réclamer réparation de son préjudice, elle doit prouver non seulement l’existence d’un dommage mais aussi l’existence d’une faute. Toute la question est dès lors de savoir si l’on est en présence d’une unité ou d’une dualité des fautes.

2° Le principe de la dualité des fautes

- Le principe retenu est celui de la dualité des fautes. Les fautes civile et pénale doivent être distinguées. D’un point de vue théorique, les fautes civile et pénale diffèrent par leur domaine, leur gravité, leur rôle et leur modalité d’appréciation. Pourtant, d’un point de vue pratique, il semble que la faute d’imprudence soit exclue293. Il en va de même en Thaïlande où le

290 Légier, Gérard. « Les Obligations Droit Civil. » Mémentos Dalloz Série Droit Privé. 19e éd. ed.

Paris: Dalloz, 2008, p.108.

291 L’article 420 du Code civil thaïlandais dispose que « Celui qui cause, par une manière illicite, un

dommage à autrui, soit volontairement, soit par négligence, est tenu de le réparer ».

292 Hamarajata Chaiyos, «Propriété Intellectuelle.» ; op. cit.

293 V. Bonfils, Philippe, and Institut d'études judiciaires. L'Action Civile Essai Sur La Nature

législateur a envisagé ce problème dès l’entrée en vigueur des Codes. En effet, la dualité des fautes en Thaïlande a été affirmée par l’article 424 du Code civil thaïlandais294 ainsi que par l’article 47 du Code de procédure pénale thaïlandais295. Il résulte de ces deux dispositions que la décision civile ne doit pas être subordonnée au jugement de l’infraction pénale. Pourtant, il existe des controverses concernant la nature des fautes civile et pénale tant en doctrine qu’en jurisprudence. Tel est le cas par exemple de la contrariété entre la dualité des fautes et la règle de « l’autorité du criminel sur le civil ». 296En effet, l’application stricte de la disposition législative pourrait heurter la règle de « l’autorité du criminel sur le civil » dont la juridiction thaïlandaise est obligée de tenir compte. La solution retenue en Thaïlande, laquelle correspond à l’hypothèse de la doctrine française297, est que la juridiction civile, dans sa décision sur la responsabilité délictuelle, est tenue d’appliquer « une identité matérielle des faits », alors qu’elle n’est pas soumise à « une identité juridique des fautes » au regard de la décision déjà rendue par la juridiction répressive. C’est notamment en ce qui concerne la faute intentionnelle que le législateur thaïlandais confirme sa volonté de retenir la dualité des fautes civile et pénale. Il convient de se référer au texte général relatif à la nature de la faute intentionnelle : c'est-à-dire l’article 59 alinéa 2 du Code pénal thaïlandais lequel parle d’« intention

เจตนา

» alors que l’on utilise le terme « volonté

จงใจ

» dans l’article 420298 du Code civil. Au regard des deux termes précités, la doctrine thaïlandaise explique que « la volonté » est plus large que « l’intention » dans la mesure où « la volonté » signifie simplement un acte commis en connaissance de cause alors que « l’intention » suppose qu’il existe une

Marseille, Faculté De Droit Et De Science Politique D'Aix-Marseille, Institut D'études Judiciaires Préf., Sylvie Cimamonti. Aix-en-Provence: Presses universitaires d'Aix-Marseille, 2000. Print.n° 350.

294 L’article 424 du Code civil thaïlandais dispose que « dans le jugement de la responsabilité

délictuelle et la fixation de compensation, la juridiction ne tient pas compte de la disposition en matière pénale ainsi que du jugement en ladite matière ».

295 L’article 47 du Code de procédure pénale thaïlandais dispose que « le jugement en matière civile

se soumet aux dispositions du droit civil en ce qui concerne la responsabilité délictuelle. La condamnation pénale ne doit pas être prise en compte par le juge civil ».

296Infra note n° 470

297 V. Bonfils, Philippe, et Institut d'études judiciaires., « L’action civile », op. cit., n° 350.

298 L’article 420 du Code civil thaïlandais dispose que « Celui qui cause, d’une manière illicite, un

volonté et un espoir de causer un dommage299. En ce qui concerne la faute non

intentionnelle, il en va différemment. Malgré l’application du principe de la dualité des fautes, la doctrine et la jurisprudence thaïlandaise ne consacrent pas de distinction entre matière pénale et matière civile. La juridiction qui statue sur la matière civile s’attache toujours à la notion de faute non intentionnelle en matière pénale. Cette technique prétorienne est également appuyée par la doctrine thaïlandaise300. Cette dernière estime notamment que puisqu’il n’y pas de définition de faute non intentionnelle dans le Code civil, il faut se référer à la notion de faute non intentionnelle en matière pénale. La dualité des fautes a théoriquement été analysée. Elle sera mise en application par la pratique judiciaire.

3° L’application pratique du principe de la dualité de la faute en

Thaïlande.

- En dépit d’une disposition claire tant en matière civile (l’article 424 du Code civil thaïlandais) qu’en matière procédurale (l’article 47 du Code de procédure pénale thaïlandais), la jurisprudence applique ces dispositions.

146. Dans le cas d’une faute intentionnelle, la jurisprudence, en s’appuyant sur le principe de la dualité des fautes, reconnaît que la juridiction civile est toujours compétente pour ordonner la réparation selon les règles civiles même si la juridiction répressive a décidé qu’il n’existait pas de faute pénale. Tel est le cas, par exemple, d’un arrêt de la Cour suprême thaïlandaise où une personne avait été mise en accusation pour vol de la chose d’autrui. Le Ministère public demanda la restitution de ladite chose, au nom de la victime, en vertu de l’article 43 du Code de procédure pénale, ce qui est considéré comme une demande en matière civile. La juridiction répressive, après avoir apprécié toutes les preuves, a considéré que cette personne n’était pas coupable de vol dès lors qu’il n’y avait pas de preuve qui démontrait l’existence d’un vol frauduleux301. La question se posait donc de savoir si la juridiction répressive pouvait ordonner la restitution malgré l’acquittement de l’accusé ? La Cour suprême thaïlandaise a estimé que « malgré l’acquittement de

299 Supanit Sutee, « La responsabilité délictuelle » ; Bangkok, Nitibannakarn, 2000.p. 75.

300Punnayapan Prijit, « Droit comparé, tome I introduction générale et tome II la responsabilité

délictuelle » ; Bangkok, Winyuchon, 2001., p. 26.

301 Selon le droit pénal thaïlandais, « le dol général » ne suffit pas à condamner l’accusé au vol, il faut

l’accusé, le pouvoir du Ministère public, en ce qui concerne la demande de restitution de chose, ne cesse jamais, la juridiction du fond étant compétente pour ordonner la restitution de la chose »302. Cette jurisprudence distingue clairement entre « la faute pénale

ความผิดทางอาญา

», selon laquelle la faute frauduleuse est un élément indispensable pour la condamnation de certaines infractions, et « la faute civile

ความผิดทางแพง

», selon laquelle seule la volonté de prendre le bien d’autrui suffit à assurer la réparation du préjudice subi par la victime par la voie de restitution.

147. Dans le cas de la faute non intentionnelle, il en va autrement. Puisque l’on considère que la faute d’imprudence en matière civile et en matière pénale est absolument identique, la règle de « l’autorité de la chose jugée au criminel sur le civil » est fermement respectée par la jurisprudence thaïlandaise. Il est vrai qu’on ne devrait prendre en considération dans le jugement pénal que « des faits jugés », ainsi qu’on l’a vu dans le paragraphe précédent. Mais la jurisprudence thaïlandaise considère que la question de l’existence d’une faute d’imprudence est une « question de fait

ปญหาขอเท็จจริง

» et non « de droit

ปญหาขอกฎหมาย

». Par conséquent, la juridiction qui statue en matière civile ne peut plus statuer sur la responsabilité civile différemment de ce qu’a jugé la juridiction répressive. Par exemple, si la juridiction répressive a décidé que l’accusé a commis une faute d’imprudence, la juridiction civile ne peut en décider autrement303. À l’inverse, si la juridiction répressive relève qu’il n’existe pas de faute d’imprudence, la juridiction civile ne saurait allouer d’indemnité à la victime304.

148. On peut à cet égard proposer la solution suivante. Il faudrait un changement dans la manière d’appréhender les fautes, de « question de fait » en « question de droit ». La juridiction qui statue en matière civile n’est tenue de respecter que les faits jugés par la juridiction pénale alors qu’elle demeure compétente pour statuer sur la faute dans l’optique du droit civil. Cette solution pourrait assouplir la règle de l’unité des fautes : c'est-à-dire qu’en cas de non condamnation pénale, le juge civil pourrait

302 Cour suprême thaïlandaise, arrêt numéro 1039/2516, rendu en 1972.

303 Cour suprême thaïlandaise, arrêt numéro 1364/2514, rendu en 1970 ; 2731/2522, rendu en 1979. 304 Cour suprême thaïlandaise, arrêt numéro 276/2520, rendu en 1977.

accorder une réparation appropriée à la victime si une faute civile était retenue. En outre, l’application de cette solution permet d’éviter « la dénaturation de l’autorité du criminel sur le civil » dès lors qu’il n’existe plus de pression conduisant le juge pénal à condamner pour une faute minime dans le seul but de permettre la réparation du préjudice de la victime. En définitive, on applique le principe de la dualité des fautes pour les fautes intentionnelles. Cependant, en cas de faute non intentionnelle, ce principe n’est pas pris en considération par la jurisprudence thaïlandaise qui est en train de consacrer progressivement le principe de la dualité des fautes non intentionnelles.

B- L’application de la théorie du risque pour les droits de propriété

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