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L’amnésie de Korsakoff4

Dans le document Psychologie cognitive (Page 179-182)

À la fin du XIXe siècle, un neurologue russe Serguei Korsakoff remarque un trouble spectaculaire de la mémoire chez ses patients alcooliques chro-niques. En voici une description :

« Pour mieux me faire comprendre, je vais décrire sommairement un cas de cette maladie. C’était un malade de trente-sept ans, un écrivain russe, qui avait pris l’habitude dans ses voyages en Sibérie de boire beaucoup d’eau-de-vie (de grain). Bien qu’il n’eût jamais été ivre, il absorbait néanmoins une quantité considérable d’eau-de-vie (je dois faire remarquer que l‘abus des boissons alcooliques est une des causes les plus fréquentes de névrite mul-tiple). Les amis du malade finirent par remarquer que sa mémoire devenait plus faible, si bien qu’il fallait lui rappeler ce qu’il devait faire ce jour-là ou un autre… Le trouble de la mémoire était nettement visible. Le malade oubliait complètement ce qui lui était arrivé récemment ; il ne pouvait dire s’il avait mangé ce jour-là, si quelqu’un était venu le voir. Ce qui venait de se passer cinq minutes auparavant, il ne pouvait s’en souvenir… Ce qui s’était passé bien avant la maladie, le malade s’en souvenait parfaitement et en donnait des détails ; mais tout ce qui avait eu lieu vers le commencement de la maladie, le malade se le rappelait confusément. Ainsi par exemple, il avait commencé une nouvelle au mois de juin et en avait déjà écrit plus de la moitié, et, à cette heure, il ne se souvenait plus du dénouement qu’il avait voulu lui donner… » (Korsakoff, 1889, p. 501-502).

Et ainsi pour plusieurs de ses patients : ils sont capables d’un rappel immédiat (à condition qu’on ne les distrait pas) ; dans les termes actuels, ils ont donc une mémoire à court terme. De même, ils sont capables d’évoquer des souvenirs anciens, leur lieu de naissance, l’école où ils sont allés, etc. ; ils ont donc également une mémoire à long terme. Tout se

Amnésie de Korsakoff ou amnésie antérograde générale : perte de la capacité de mémorisation d’informations nouvelles.

Le malade vit dans son passé et un présent immédiat.

passe comme s’il n’y avait plus d’enregistrement à long terme. Cette amnésie est dite antérograde générale car elle empêche toute nouvelle information, mot, image, visage, d’être stockée à long terme. En l’hon-neur de son découvreur, on l’appelle l’amnésie de Korsakoff. Les malades vivent donc dans leur passé et dans un présent qui se renouvelle sans cesse. Un amnésique de Korsakoff qui met du sucre dans son café, ne s’en rappellera plus lorsque le sucre aura fondu, et en remettra sans arrêt. Tel patient ne peut jouer aux cartes, par exemple à la belote, car il ne peut se souvenir des cartes qui sont tombées sur le tapis. Mais à l’inverse, si un malade de Korsakoff savait jouer (avant sa maladie) au jeu d’échecs, il peut continuer à jouer car les pièces sont devant lui sur l’échiquier et il n’a pas à les mémoriser.

La maladie d’Alzheimer

Le syndrome de Korsakoff s’observe dans l’alcoolisme chronique mais aussi en début de maladie d’Alzheimer (qui se termine par une démence générale). Cette maladie est complexe et associée à de nombreux « accidents » sur le plan neurologique et biochi-mique. La dégénérescence neuronale est une des principales caractéristiques de cette maladie. Trois mécanismes essentiels semblent être impliqués :

• neurofibrilles et protéine Tau : la cellule meurt par accumulation de neurofibrilles (visi-bles au microscope) produites par un excès de la protéine Tau (Hugon et al., 1995).

Celle-ci est naturellement un des constituants des microtubules (rampes sur lesquelles glissent les protéines nouvellement fabriquées) ; produite en trop grande quantité elle génère ces neurofibrilles qui étouffent la cellule ;

• plaques séniles et protéine amyloïde : le deuxième mécanisme caractéristique de la dégénérescence dans la maladie d’Alzheimer est la présence de plaques séniles entre les cellules. Celles-ci sont constituées de la protéine amyloïde (A4) résultant d’une mutation d’un gène ; produite de façon anarchique, elle perturbe ou bouche les espaces intersynaptiques ;

• perte d’acétylcholine : la maladie d’Alzheimer a surtout été connue par le déficit grave en acétylcholine, neurotransmetteur fondamental (mais non unique) de l’hippocampe, d’où une nécrose aboutissant à l’amnésie de Korsakoff ; le manque d’acétylcholine est provoqué par la lésion de noyaux de la base du cerveau qui la fabrique, les noyaux de Meynert ; la dégénérescence des neurones des noyaux de Meynert est due à l’accumu-lation des plaques et neurofibrilles (communication d’André Delacourte, colloque en hommage à Hervé Allain, Rennes, nov. 2007.

Hippocampe : structure du cerveau (au niveau temporal) dont la lésion produit l’amnésie de Korsakoff.

Maladie d’Alzheimer : décrite par le médecin viennois Alzheimer, cette maladie dégénérative commence par une amnésie de Korsakoff, due à une nécrose de l’hippocampe.

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Voir le site d’un grand spécialiste français André Delacourte, neurologue à Lille : www.alzheimer-adna.com

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C’est le neurologue Sergueï Korsakoff (1889) qui observa en détail l’amnésie alcoolique, mais ce n’est qu’au milieu du XXe siècle que

le neurochirurgien William Scoville et

la neuropsychologue canadienne Brenda Milner montrèrent que l’opération des deux

hippocampes déclenchait l’amnésie de Korsakoff (merci à Stephan Saikali, anatomo-pathologiste au CHU de Rennes pour la photo de l’hippocampe).

Hippocampes d’un cerveau atteint par l’amnésie de Korsakoff (source : H. Allain et A. Lieury, « Mémoire ou mémoires ? », Euro RSCG Audience, réf. 00A 10942).

Ces dégénérescences expliquent l’apparition de troubles mnésiques très importants.

En début de maladie, les malades sont caractérisés par une amnésie de type Korsakoff et ils perdent la capacité d’enregistrer les événements récents, ne se remémorant que de souvenirs anciens, antérieurs à la maladie (Piolino, 2003) ; puis par accentuation des nécroses dans différentes parties du cerveau, la maladie aboutit à des troubles variés en fonction des zones cérébrales atteintes, jusqu’à la démence.

Cependant, les lésions étant multiples dans la pathologie alcoolique, c’est la neurochirurgie associée à des tests de mémoire qui permit d’iden-tifier clairement la zone responsable de l’amnésie de Korsakoff. Ce sont les Canadiens William Scoville, neurochirurgien, et Brenda Milner, neuropsy-chologue, qui montrèrent que l’amnésie était systématiquement provo-quée lors de la destruction au niveau temporal d’une zone appelée

« hippocampe » en raison de la forme ressemblant au petit poisson en forme de cheval (Scoville et Milner, 1957). En particulier, Brenda Milner (1970) a décrit le cas spectaculaire de H. M., un jeune homme opéré des deux hippocampes pour arrêter des épilepsies graves. Depuis son opéra-tion, il est incapable d’apprendre des informations nouvelles, il lit les mêmes journaux, ne se souvient pas de la nouvelle adresse de ses parents, etc., mais son intelligence et ses souvenirs antérieurs restent intacts.

Cependant l’amnésie de Korsakoff est le plus souvent provoquée, comme dans sa description initiale, par l’alcoolisme chronique. L’alcool est donc l’ennemi n° 1 de la mémoire en créant des lésions de l’hippo-campe ; mais beaucoup de drogues, cocaïne, cannabis (réputée à tort

« douce »), ainsi que le stress (cf. chap.10, p. 341), provoquent également des lésions de l’hippocampe. Il est indispensable de respecter une « éco-logie » de la mémoire en modérant sa consommation d’alcool et en évitant les drogues et le tabac.

Comme l’observait sagement le médecin italien de la Renaissance, Guillaume Grataroli dans son célèbre traité Discours notables des moyens pour conserver et augmenter la mémoire (1555) : « Avant de chercher à augmenter la mémoire, il faut déjà ne pas la perdre… »

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Qu’est-ce que l’hippocampe ? Zone

hippocampique

Dans le document Psychologie cognitive (Page 179-182)

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