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I L’altérité : fruit du désir de Dieu face à la solitude humaine

18a Yhwh Dieu dit :

b « Il n’est pas bon que l’humain soit pour lui-même. c Il faut que je lui fasse une aide comme son face-à-face ».

Jusqu’au verset 17, tout se déroule parfaitement, selon « le plan de Dieu » pourrait-on dire : Dieu agissait, les entités répondaient favorablement. Si l’on adhère à l’idée que Dieu a un projet, un plan qu’il met entièrement à exécution, la suite du récit aurait dû voir l’humain s’affairer dans le jardin, prendre en main sa vocation, comme Dieu le veut, ce que relève Vogels81 par exemple. Or, rien de tel. L’analyse processuelle montre ici un vide, un blanc dans le déroulement de l’histoire, que la prise de parole de Dieu met en relief. La création, qui semble au départ être un désir de Dieu de créer un humain et un jardin, dans une interrelation vivante et nourrissante, devient un enjeu stérile à reconsidérer. Au verset 18, la cassure du récit et la parole de Dieu nous apprennent que l’humain reste « de marbre » à cette proposition, ce qui semble même remettre en question les autres data d’héritage : boire, manger, voir, désirer… Il s’installe, certes, mais de là à vivre ? Thériault signale que le texte ne montre aucune activité, ni aucun besoin […] (Thériault p. 30). Le seul indice de

cette attitude se trouve exactement dans la cassure du récit. À cet instant, le silence du texte parle, un silence qui raconte la réaction aversative, une forme de blocage de l’humain face à la proposition de Dieu de servir et garder le jardin. La cassure du texte, rehaussée par la prise de parole de Dieu, nous montre où en est l’humain. La conclusion des commentaires est que l’humain s’ennuie (Thériault p. 30), puisqu’il ne semble pas préhender la dernière partie de sa vocation : servir et garder le jardin. On aura confirmation de cette aversion en Genèse 3, où l’on verra l’humain profiter du jardin sans s’occuper davantage de le servir ou le garder.

Cette absence de réaction produit un arrêt de concrescence de l’humain, qui interpelle Dieu pour qui tout est toujours en devenir. En effet, la parole de Dieu vient éclairer la cause de l’aversion de l’humain face à sa proposition de servir et garder la terre. Cette aversion, sous forme d’un manque de réaction de l’humain, conduit Dieu à un sentir, c’est-à-dire à évaluer la situation. Cette fois, c’est Dieu qui, face au data d’héritage qui correspond au constat de

solitude/pour-lui de l’humain, se trouve attiré par une potentialité qui, une fois sentie,

devient une occasion d’existence offerte. Le verset révèle à cet endroit à quel point la concrescence de l’humain passe par celle de Dieu. Cela passe par un « vouloir autre chose » de Dieu pour que l’humain grandisse ou entre en relation, ce que Von Rad attribue à ce qu’il appelle God’s fatherly care for man (Von Rad p. 82). On mesure une fois de plus le lien qui unit Dieu et l’humain. Le silence de l’humain « parle », et Dieu « sent » ce manque. Le sentir de Dieu l’emmène vers un premier procès de concrescence : sa nature

conséquente va évaluer la situation, comme autant de nouvelles potentialités, et préhender

ce qui peut amener la nouveauté qui va faire vivre. Or qu’est-ce que Dieu évalue ?

Bien des lecteurs sont victimes d’une idée reçue selon laquelle la création progresse par production de réalités aptes à remplir un vide, selon laquelle la femme répondrait au titre d’« objet » au manque diagnostiqué en l’homme. Les textes disent le contraire : le mouvement créateur va du tout initial indifférencié vers une profusion démultipliée. C’est effet de la différenciation et la dégradation progressive du tout qui est jugé « bon ». Ce qui affecte l’homme, sous la figure de la solitude, est identiquement le fait d’être complet, de ne pouvoir envisager l’éventualité d’une aide, d’une Autre. En jouant sur les possibilités de la langue française, disons : « il n’est pas bon que l’homme soit TOUT… seul » (Calloud p. 506)82.

Sa prise de parole nous explique ce à quoi il est lui-même confronté, ce qu’il découvre : la solitude de l’humain, une solitude qui dit en même temps le risque d’un enfermement mortifère sur soi. Comme si un ressort manquait pour que l’humain ne soit plus livré à son tout mortifère, et qu’il puisse enfin entrer en relation avec le monde. C’est ainsi que God’s

observation that it is not good for the earth creature to be alone leads to the creation of a helper corresponding to him (Clifford et Murphy p. 12). Une fois de plus c’est sa parole

qui, comme le souffle, va stimuler la vie. Dieu a soufflé une première fois pour donner vie à l’humain, il a soufflé/parlé une deuxième fois en donnant à l’humain le mode d’emploi de la vie, et là, il souffle/parle une troisième fois, cette fois pour donner vie à l’altérité.

Maintenant, peut-on affirmer comme Alter que c’est Ève qui alors est promise (Alter p. 46) ? Rien ne confirme cette hypothèse, la suite du récit va nous le prouver. Une seule chose à ce stade est sûre : pour Dieu, la non-réponse de l’humain à la proposition qu’il lui a faite de servir et garder la terre l’entraîne à trouver « quelque chose d’autre », objet de la seconde partie du récit.