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Épilogue : une nudité à deux, dans une saine égalité

V Analyse textuelle et syntaxique : un récit en 11 tableau

11- Épilogue : une nudité à deux, dans une saine égalité

25a Ils sont tous les deux nus1, l’humain2 et sa femme3,

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b ils n’ont pas honte3 l’un envers l’autre.

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1- Être nu : Thériault note que le mot

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(‘aroumim) est le même utilisé dans le verset suivant pour qualifier le serpent, souvent traduit par rusé (Thériault p. 16). Mais il n’est pas sûr que les deux racines aient la même provenance. Sans doute l’auteur profite-t-il du jeu de mots que cette homonymie provoque entre l’innocence de la nudité qui vit dans la vérité, et la ruse qui s’inscrit dans le mensonge, qui conduira l’adam à mentir à Dieu comme à lui- même, au chapitre suivant.

2- Humain : Comme je le signale au point 7-7 (p. 34), la plupart des versions traduisent

adam par « homme » et non par « humain »… trahissant là de façon évidente le texte : en lui

donnant un caractère masculin sexué, ils introduisent une autre sorte de confusion, car ils ne rendent pas les subtilités du mouvement qui se construit au fil du récit entre les personnages humains du texte. Examinons de plus près comment sont « nommées » les entités « humain », homme et femme tout au long du texte. Au début du récit, il est question de « l’humain ». Puis vient la question d’une « aide pour l’humain », qui aboutit à « une femme » tirée de « l’humain ». Enfin, il y a « homme » et « femme », qui à la fin du texte sont « l’humain et sa femme ». Ce qui donne schématiquement ceci :

1-17 humain/-

18c-20b humain/aide

22a-c humain/femme

23 e-24 homme/femme

25a humain/femme

En traduisant indifféremment « humain » par « homme », il devient impossible de relever qu’à un moment particulier du texte, il est question précisément de l’homme, et qu’ensuite le texte rebascule vers l’humain. Cette confusion que créent les traductions gomme littéralement le cheminement de l’humain. Si, en revanche, on conserve la nuance que le texte hébreu fait, alors l’humain devient le lieu de la différenciation : ni homme, ni genre, juste individu, l’un par rapport à l’autre.

3- Femme : Wenham, Westermann et Von Rad traduisent ce mot par « wife » c’est à dire épouse, et non « woman », femme. Je ne suis pas cette variante, qui oriente le texte vers le mariage, ce qui est une possibilité, mais certainement pas la seule lecture. Il faut cependant

reconnaître qu’en hébreu, il n’y a pas de mot spécifique pour l’épouse : la femme est aussi une épouse…

3- Ils n’ont pas honte : Le verbe est au Htd/Hithpael, qui est la marque d’une action réflexive ou réciproque : la réciprocité est évidente, mais on peut tout aussi bien envisager une réflexivité engendrée par la réciprocité.

Conclusion

Comme on a pu le voir, ma traduction met en valeur certains points particuliers. Ainsi, j’insiste sur la participation de la création, à travers les différents protagonistes que sont les éléments, l’humain, les animaux et la femme, à son propre devenir. Ce sont les formes verbales au H/Hiphil, qui permettent cette participation, dont la nuance est encore trop souvent négligée. Toutes ces formes existent au G/Qal, preuve qu’il s’agit d’un choix délibéré du rédacteur, destiné à faire ressortir le potentiel de réponses et de participation déjà à l’œuvre dès que Dieu propose. La persuasion de Dieu trouve une réponse dans une action qu’il est dommage de réduire, d’autant que cette interaction traduit profondément la pensée juive pour qui la relation entre Dieu et le monde est une donnée essentielle.

J’ai également voulu faire ressortir la nuance qu’il me semble essentiel de conserver entre « humain » et « homme ». Conserver cette distinction permet de nourrir la réflexion sur l’évolution de l’humanité vers une complexité croissante, qui la rend à la fois semblable à l’animal (ils sont tous deux issus de la terre), et cependant, dès le départ, fondamentalement différente (seul l’humain est insufflé du souffle de Dieu).

Enfin, je propose une traduction à l’encontre de toute la tradition, en choisissant de faire parler le narrateur, là où, de tout temps, il est admis que ce soit l’humain qui parle. Cette hypothèse ouvre à d’autres possibles, dont on verra, au chapitre 3, quelles peuvent en être les incidences. Il faut cependant savoir qu’il m’aurait été impossible d’oser proposer une nouvelle hypothèse de lecture de ce récit plusieurs fois millénaire sans l’apport de l’analyse syntaxique. Cette grille oblige le lecteur à serrer de près le texte.

C’est de cette lecture rapprochée que peut émerger de nouveaux sens toujours à reconsidérer. L’analyse systématique du vocabulaire et de la syntaxe du texte biblique offre au lecteur qui s’y aventure une source incroyable de finesse, surtout dans une langue comme l’hébreu, qui joue sur les différents niveaux de sens de chaque mot. Ouaknin rappelle à ce sujet que, pour

les hassidim, chaque homme est une lettre ou une partie de lettre. Le livre est terminé quand il ne manque plus aucune lettre. Chacun doit écrire la sienne, s’écrire lui-même pour créer le livre et en renouveler le sens. Cela implique que le lecteur sorte de sa passivité, en croyant qu’il n’a qu’à « absorber » le sens et n’a aucune part à son élaboration (Ouaknin

p. 86). C’est donc à partir de cette traduction, pour prendre à mon tour part à l’écriture du livre, que le commentaire processuel, tel qu’il est développé dans les trois chapitres suivants, s’est déployé.

Chapitre 2