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III Quand le végétal devient signifiant pour la vie humaine

8a Yhwh Dieu plante un jardin en Eden, vers l’est. b il place là l’humain

c qu’il a modelé.

9a Yhwh Dieu fait en sorte que surgisse du sol tout arbre, désirable à la vue et bon comme nourriture b et l’arbre de la vie au milieu du jardin

c et l’arbre de la connaissance du bon et du mauvais.

Disons-le tout de suite. Pour plusieurs auteurs historico-critiques, la suite du v. 8 se trouve au v. 18. Tout ce qui se passe entre, soit les vv. 9-17, est issu d’une autre source, ajoutée postérieurement66. C’est possible, mais puisque le texte existe sous cette forme, plus longue, comment en rendre compte, si l’on ne veut pas admettre que les auteurs soient des hommes distraits qui n’ont pas vu qu’ils se répétaient ?

À la fin du v. 7, l’humain est vivant, habité du souffle de Dieu. C’est seulement à ce moment-là que Dieu s’occupe du reste du vivant. Dieu crée l’humain avant de stimuler la végétation, inversant l’ordre que le début du récit et Genèse 1 supposent. Le v. 5 nous en donne la raison : il faut un humain pour servir la terre. Mais dès le v. 8, dès que l’humain est façonné, l’entité végétale est perçue comme essentielle à sa vie. Le végétal est d’une

65 W. Vogels p. 82 : toute l’histoire de Genèse 2 est centrée sur l’homme.

66 C. Westermann p. 211 parle longuement des sources J (la plus ancienne) et P, en précisant que la reconstruction des sources d’origine n’est ni possible, ni nécessaire.

part un havre, un lieu de vie, symbolisé par le jardin, et source de subsistance, nourriture67, objet de désir, symbolisé par les arbres désirables à voir et bons à manger d’autre part. C’est au cœur de cette inversion que l’on prend la mesure de l’interrelation qui commence à se tisser entre les entités entre elles, et avec Dieu. Entre le moment où l’humain est placé et celui où il s’installe, Dieu a réagi aux besoins de l’humain, aussi bien dans son pôle primordial que dans son pôle conséquent, en proposant à l’humain ce qu’il lui faut pour assurer sa subsistance.

De quoi est constitué ce végétal destiné à assurer la vie de l’humain sur terre ? D’arbres essentiellement, comme le note Thériault (Thériault p. 26), dont la vocation est précisée :

toutes sortes d’arbres désirables à la vue, et bons comme nourriture. Ils doivent être

nombreux, variés, et répondre à deux impératifs : du bon pour se nourrir, du beau pour le désir. Plus que la simple subsistance physique et énergétique du corps, il est fait ici appel à l’esthétisme, porté au rang de l’indispensable, tout aussi nécessaire à la vie. La rencontre entre le désir de Dieu et la réponse adversative des plantes a eu lieu : c’est le jardin. Il est le fruit de la rencontre entre la terre et le végétal, un lieu qui devient davantage que ce qu’en dit Brueggemann, an act of utter graciousness (Brueggemann p. 45), à moins d’entendre cette grâce comme la rencontre du désir de Dieu et celui de ses créatures, ici le végétal qui accepte de contribuer à la proposition divine. De son côté, l’humain a pris position, comme acteur de sa vie, en acceptant de s’installer dans ce jardin prêt à lui apporter ce dont il a besoin. La végétation et l’humain ont préhendé la proposition de Dieu et se sont mis en route, devenant ainsi participants à leur création et à celle des autres entités, l’un en poussant, l’autre en s’installant. Ils sont entrés en concrescence. L’interrelation se creuse : l’humain est appelé au verset 5 à servir la terre, le végétal accepte au verset 9 de lui assurer sa subsistance.

Enfin, deux autres arbres sont aussi convoqués, eux aussi appelés à remplir un rôle dans le développement de l’adam. En poussant, ils préhendent à leur tour la proposition divine, et deviennent, comme le reste du végétal, partenaires de la création, acteurs de et sur cette terre. Je ne reprendrai pas le débat qui a occupé de nombreux auteurs historico-critiques, qui se demandent s’il y a un ou deux arbres, et s’ils sont placés tous les deux au milieu du

67 C. Westermann précise p. 208 que 2:8 is not a narrative about the creation of plants, but about the provision of nourishment for human creatures. Son affirmation vient renforcer l’idée énoncée plus haut que Dieu n’a pas créé les plantes, mais a servi de moteur pour que la végétation pousse.

jardin, j’en parle au chapitre 168. Puisque je m’occupe de la synchronie du texte, je ne vais travailler que sur la forme finale actuelle du texte, avec les ajouts que les auteurs finaux de ce récit ont délibérément conservés, qui, selon mon analyse syntaxique, montre qu’il y deux arbres, dont l’arbre de la vie au milieu du jardin. Il est en revanche important et nécessaire de se demander en quoi ces deux arbres sont signifiants. Cela nous avertit, d’après Thériault, que la vie et la mort ne sont pas à lire en opposition simple, comme le bien et le

mal, mais sont à comprendre sur des plans distincts (Thériault p. 26). Et, comme le signale

Marchadour, même s’il a été rajouté plus tard, l’arbre de la connaissance du bien et du mal

est devenu le point où le récit rencontre le risque (Marchadour p. 65). Moi, je dirai plutôt la

limite.