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DE L’AGENTIVITÉ HUMAINE

Dans le document traité de psychologie de la mo tiv a tion (Page 41-46)

La recherche et l’élaboration théorique à propos de l’agentivité humaine se sont essentiellement limitées à l’exercice individuel de l’agentivité. Pourtant, ce n’est pas la seule manière dont les gens exercent une influence sur les événements affectant leur existence. La théorie sociale cognitive distingue trois modalités différentes de l’agentivité : personnelle, par procuration et collective.

Les analyses précédentes se sont centrées sur la nature de l’agentivité personnelle directe ainsi que sur les processus cognitifs, motivationnels, émotionnels et de sélection au travers desquels elle produit des effets donnés.

Dans de nombreux domaines de fonctionnement, les individus n’exercent pas de contrôle direct sur les conditions sociales ni sur les pratiques institu-tionnelles qui affectent leur vie quotidienne. Dans ces circonstances, ils recherchent leur bien-être, leur sécurité et les résultats qu’ils valorisent par procuration. Dans ce mode d’agentivité par la médiation sociale, ils essaient de trouver des personnes ayant de l’influence et du pouvoir pour s’assurer d’obtenir les résultats qu’ils souhaitent. Personne n’a le temps, l’énergie, ni les ressources pour maîtriser tous les domaines de la vie quotidienne. Un fonctionnement réussi implique nécessairement un mélange d’efficacité par procuration dans certains domaines de fonctionnement pour libérer du temps et de l’énergie afin de gérer directement d’autres aspects de sa vie (Baltes, 1996 ; Brandtstädter, 1992). Par exemple, pour obtenir ce qu’ils désirent, les enfants s’appuient sur leurs parents, les conjoints s’appuient l’un sur l’autre tandis que les citoyens tentent d’influencer les actes de leurs représentants légaux. Le contrôle par procuration dépend d’une efficacité sociale perçue pour influencer les efforts de médiation des autres.

Les individus ont recours au contrôle par procuration dans des domaines où ils peuvent exercer de l’influence directe mais sans avoir développé les moyens pour le faire. Ils croient que les autres peuvent mieux faire qu’eux, ou bien ils ne veulent pas s’imposer le poids de certains aspects liés à l’exer-cice du contrôle direct. Le contrôle personnel n’est ni une pulsion innée ni un trait universel, comme certains le prétendent. Le contrôle personnel a des coûts qui peuvent en atténuer l’attractivité. L’exercice d’un contrôle efficace requiert la maîtrise de connaissances et de compétences accessibles unique-ment par de longues heures de travail ardu. De plus, conserver des aptitudes

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dans un contexte marqué par des conditions de vie en perpétuel changement demande un investissement permanent en temps, en efforts et en ressources pour se renouveler tout le temps.

L’exercice du contrôle personnel impose non seulement un travail consé-quent d’autodéveloppement continu, mais il génère fréquemment d’impor-tants risques, responsabilités et sources potentielles de stress. Les gens ne sont pas particulièrement avides d’avoir à porter les fardeaux de la responsa-bilité. Bien trop souvent, ils renoncent au contrôle en le confiant aux autres alors qu’il s’agit de domaines où ils pourraient exercer une influence directe.

Ils agissent ainsi pour se libérer des exigences de performance et des respon-sabilités lourdes que comporte le contrôle personnel. Le contrôle par procu-ration peut être utilisé d’une manière qui favorise l’autodéveloppement ou qui freine l’appropriation de compétences personnelles. Dans ce dernier cas, une partie du prix de l’agentivité par procuration est la vulnérabilité tribu-taire des compétences, du pouvoir et des faveurs d’autrui. Les gens ne vivent pas leur vie de façon isolée. Beaucoup de ce qu’ils recherchent ne saurait se réaliser que par des efforts socialement interdépendants. Par conséquent, ils doivent collaborer avec d’autres pour obtenir ce qu’ils ne peuvent avoir tout seuls.

La théorie sociale cognitive étend le concept d’agentivité humaine jusqu’à l’agentivité collective (Bandura, 1997). La croyance qu’ont les gens de pouvoir produire collectivement des résultats souhaités est une composante essentielle de l’agentivité collective. Les réussites des groupes ne sont pas seulement générées par le partage des intentions, du savoir et des compétences de ses membres, mais également par la synergie des dynamiques interactives et coordonnées qui caractérisent leurs transactions. Étant donné que la perfor-mance collective d’un système social implique des dynamiques transaction-nelles, l’efficacité collective perçue est une propriété émergente au niveau du groupe ; elle n’est pas simplement la somme des croyances des individus en leur efficacité. Cela dit, il n’existe pas d’entité émergente qui opérerait indé-pendamment des croyances et des actions des individus qui composent le système social. Ce sont les personnes qui agissent conjointement à partir de croyances partagées, non pas un esprit de groupe désincarné qui réfléchit, vise des résultats, se motive et régule son action à cette fin. Les croyances d’efficacité collective servent des fonctions semblables à celles du sentiment d’efficacité personnelle et fonctionnent au travers de processus tout à fait analogues (Bandura, 1997).

Des études empiriques en provenance de divers champs de recherche confirment l’impact de l’efficacité collective perçue sur le fonctionnement du groupe (Bandura, 2000). Certaines de ces études ont évalué les effets de l’efficacité collective perçue quand elle est expérimentalement induite à des niveaux différenciés. D’autres études ont examiné les effets qu’exercent des croyances d’efficacité collective développées naturellement sur le fonction-nement de divers systèmes sociaux, y compris les systèmes éducatifs, les

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entreprises, les équipes sportives, les entités de combat, les communautés urbaines et des groupes d’action politique. Dans leur ensemble, les résultats montrent que plus l’efficacité collective perçue est forte, plus les aspirations d’un groupe et son investissement dans ses projets sont élevés, plus il résiste face aux obstacles et aux revers, meilleurs sont son moral, sa résilience face au stress et ses performances.

Les théories de l’agentivité humaine et collective sont émaillées de dualismes discutables que la théorie sociale cognitive rejette. Ces dualismes concernent l’agentivité personnelle contre les structures sociales, l’agentivité autocentrée contre le sens de communauté et l’individualisme contre le collectivisme. Le clivage entre agentivité et facteurs socio-structurels oppose les théories psychologiques aux théories sociologiques, suggérant qu’il s’agit de théories concurrentes du comportement humain, ou que chacune se réserve les droits exclusifs à l’égard de « son » niveau de causalité « propre ». Le fonctionnement humain est enraciné dans des systèmes sociaux. Ainsi l’agentivité personnelle opère-t-elle au sein d’un vaste réseau d’influences socio-structurelles. En grande partie, les structures sociales représentent des systèmes de règles autorisées, des pratiques sociales et des sanctions conçues pour réguler les affaires humaines. Ces fonctions socio-structurelles sont assurées par le biais d’êtres humains qui occupent ces rôles autorisés (Giddens, 1984).

Dans le cadre des règles structurelles des systèmes sociaux, on observe de fortes variations personnelles quant à leur interprétation, leur adoption, leur transgression, voire l’opposition active à leur égard (Burns et Dietz, 2000).

Ces transactions n’impliquent pas une dualité entre une structure sociale réifiée et désarticulée d’avec les personnes et leur agentivité, mais bien une interaction dynamique entre les individus et ceux qui supervisent le fonctionnement institutionnel des systèmes sociaux. La théorie sociale cognitive explique le fonctionnement humain en termes de causalité triadique réciproque (Bandura, 1986). Dans ce modèle de causalité réciproque, les facteurs personnels internes, sous la forme d’événements cognitifs, affectifs et biologiques, le comportement et les influences environnementales fonctionnent tous comme des déterminants en interaction qui s’influencent bidirectionnellement. L’environnement n’est pas une entité monolithique. La théorie sociale cognitive distingue entre trois types de structures environnementales (Bandura, 1997). L’environnement peut ainsi être imposé, choisi ou construit. Ces différentes structures environ-nementales recouvrent des degrés de modifiabilité impliquant la mise en œuvre de formes différentes d’agentivité personnelle tant en termes de périmètre que de centration.

Dans la théorie sociale cognitive, les facteurs socio-structurels opèrent au travers des mécanismes psychologiques du soi pour produire des effets comportementaux. Ainsi, par exemple, les conditions économiques, le statut social et les structures éducatives et familiales affectent le comportement non pas directement, mais en grande partie au travers de leur impact sur les aspirations des individus, leur sentiment d’efficacité, leurs standards personnels,

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leurs états affectifs et autres influences autorégulatrices (Baldwin et al., 1989 ; Bandura, 1993 ; Bandura et al., 1996a, 2000a ; Elder et Ardelt, 1992). Les déter-minants socio-structurels et psychologiques ne peuvent pas non plus faire l’objet d’une classification dichotomique parfaitement nette, répartis en influences proximales ou distales. La pauvreté, identifiée en tant que statut socio-écono-mique bas, n’est pas une affaire de causalité à multiples niveaux ni de causalité distale. Manquer d’argent pour subvenir aux besoins de sa famille a d’impor-tantes répercussions sur la vie quotidienne et ce, d’une manière très « proxi-male ». La multicausalité implique la codétermination du comportement par des sources d’influence différentes, non pas des dépendances causales entre niveaux distincts.

Le « système de soi » n’est pas seulement un conducteur des influences socio-structurelles. Bien que le soi soit socialement constitué, c’est en exerçant une auto-influence que les agents humains interviennent de façon proactive

— et non seulement réactive — pour façonner les caractéristiques de leurs systèmes sociaux. Dans ces transactions agentiques, les gens sont autant les producteurs que les produits des systèmes sociaux. L’agentivité personnelle et la structure sociale opèrent de manière interdépendante. Les structures sociales sont créées par l’activité humaine et les pratiques socio-structurelles, à leur tour, imposent des contraintes et fournissent des ressources et des opportuni-tés pour le développement et le fonctionnement personnels.

Un autre clivage discutable assimile incorrectement l’auto-efficacité à une forme d’individualisme autocentré imbué d’égoïsme, tout en l’opposant aux liens communautaires et à la responsabilité civique. Un sentiment d’efficacité n’exalte pas nécessairement le soi ni n’encourage un style de vie, une identité ou une morale ignorant bien-être collectif. À travers l’exercice inébranlable d’une auto-efficacité commandant le respect, Gandhi a mobilisé une force collective massive provoquant une vague de changements sociopolitiques majeurs. Il menait une vie ascétique, sans complaisance personnelle. Si la croyance dans le pouvoir de produire des résultats est mise au service de buts relationnels et de fins socialement bénéfiques, elle favorise la vie de la communauté au lieu de l’affaiblir. En effet, les études développementales montrent qu’un sentiment élevé d’efficacité promeut une orientation pro-sociale caractérisée par la coopération, l’entraide et le partage ainsi qu’un intérêt particulier pour le bien-être des uns et des autres (Bandura et al., 1996a, 1999, 2000b).

Une autre antithèse dualiste assimile incorrectement l’auto-efficacité à l’individualisme et l’oppose au collectivisme au niveau culturel (Schooler, 1990). Les cultures ne sont pas des entités monolithiques comme des descrip-tions stéréotypiques laissent entendre. Ces classificadescrip-tions culturelles générales masquent la diversité intraculturelle ainsi que les points communs partagés par des personnes d’horizons culturels différents. Les systèmes socioculturels tant individualistes que collectivistes se présentent sous une variété de formes (Kim et al., 1994). L’hétérogénéité générationnelle et socio-économique est

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courante parmi les individus issus de systèmes culturels différents, et l’on observe encore plus de variations intra-individuelles au sein des rapports sociaux entre membres de famille, amis et collègues (Matsumoto et al., 1996).

En outre, les gens expriment leurs orientations culturelles de manière condi-tionnelle plutôt qu’invariante, en se conduisant de façon sociable dans certaines structures incitatives et individualistes en dans d’autres (Yamagishi, 1988).

Les comparaisons biculturelles, dans lesquelles les individus issus d’un seul milieu collectiviste sont comparés sur la base d’indices globaux avec des individus issus d’un milieu individualiste, peuvent faire naître de nombreuses généralisations trompeuses.

Pour que les gens puissent mettre en commun leurs ressources et collaborer avec succès, il faut que les membres d’un groupe jouent leurs rôles et coor-donnent leurs actions avec un sentiment d’efficacité élevé. Une collectivité ne peut être efficace avec des membres qui abordent les problèmes de la vie rongés par le doute sur leur capacité à réussir, ou à persévérer en face des difficultés. Si l’on valorise l’efficacité personnelle, ce n’est pas pour honorer l’individualisme, mais parce qu’un fort sentiment d’efficacité est vital pour un fonctionnement efficace, qu’il s’agisse de celui d’un individu ou de membres d’un groupe qui collaborent. En effet, un sentiment d’efficacité personnelle robuste dans la gestion de ses circonstances de vie et la participation à la mise en place de changements sociétaux durables, contribue substantiellement à l’efficacité collective perçue (Fernandez-Ballesteros et al., 2000).

Les recherches interculturelles mettent en évidence la valeur fonctionnelle générale des croyances d’efficacité. L’efficacité personnelle perçue contribue au fonctionnement productif d’individus issus de cultures collectivistes, de même qu’à celui de personnes élevées dans des cultures individualistes (Barley, 1993, 1994). Cela dit, l’enracinement culturel façonne la manière dont les croyances d’efficacité se développent, les fins qu’elles servent et les dispositifs socio-structurels au travers desquels elles sont mises en œuvre. Les gens issus de cultures individualistes se sentent plus efficaces et obtiennent de meilleures performances dans un système orienté vers l’individu, tandis que ceux issus de cultures collectivistes s’estiment efficaces et travaillent plus productivement dans un système orienté vers le groupe. Un faible sentiment d’efficacité en matière de coping rend vulnérable au stress autant dans des cultures collectivistes qu’individualistes (Matsui et Onglatco, 1991).

Il existe des personnes de sensibilité collectiviste qui vivent dans des cultures individualistes et vice versa. Quelle que soit leur culture d’origine, les gens atteignent leur degré d’efficacité et de productivité le plus élevé lorsque leur orientation psychologique coïncide avec la structure du système social (Barley, 1994). Tant au niveau d’analyse sociétal qu’individuel, une forte efficacité perçue favorise l’effort collectif et le niveau de performance.

Les cultures ne sont plus insulaires. Les interdépendances transnationales et les forces économiques mondiales affaiblissent les systèmes normatifs

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sociaux et culturels, restructurent les économies nationales et façonnent la vie politique et sociale des sociétés (Keohane, 1993 ; Keohane et Nye, 1977).

Les liens sociaux et les engagements communautaires éloignés des lois du commerce sont particulièrement vulnérables à l’érosion par les forces d’un marché mondial qui se dégage de toute obligation sociale. L’interconnectivité mondiale généralisée fait que ce qui se produit sur le plan économique ou politique dans une région peut affecter le bien-être de vastes populations à l’autre bout du globe. En outre, les technologies de télécommunication avan-cées diffusent des idées, des valeurs et des styles de comportement à travers les nations à un rythme sans précédent. L’environnement symbolique alimenté par les satellites de communication transforme les cultures nationales tout en homogénéisant notre conscience collective. Avec le développement accru du cybermonde, les gens seront encore plus fortement enveloppés dans des environnements symboliques mondialisés. De plus, les migrations de masse sont en train de modifier les paysages culturels. La diversité ethnique crois-sante donne une fonctionnalité à l’efficacité biculturelle pour « naviguer » à travers les doubles exigences de sa subculture ethnique et de la société dans son ensemble.

Ces nouvelles réalités impliquent d’élargir le cadre des analyses inter-culturelles, en passant de l’étude des forces sociales opérant au sein de sociétés données, à celle des forces extérieures qui agissent sur elles. Étant donné l’enracinement international croissant, l’interdépendance des sociétés ainsi que l’adhésion toujours plus forte à la culture symbolique de l’Internet, les questions d’intérêt portent sur la manière dont les forces nationales et mondiales interagissent et façonnent la nature de la vie culturelle. À mesure que la mondialisation affecte de plus en plus profondément la vie des individus, un fort sentiment d’efficacité collective apte à créer des systèmes transnationaux qui fonctionnent dans l’intérêt des citoyens devient indispensable à l’amélioration de l’intérêt commun.

6 LES INFLUENCES QUI MINENT

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