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une distinction conceptuelle nécessaire

Dans le document traité de psychologie de la mo tiv a tion (Page 87-92)

Dans l’introduction de leur article, Jellison et Green (1981) insistent sur un point essentiel : quand l’individu est confronté à un échec, il est non seule-ment victime d’un événeseule-ment négatif, mais il est en même temps confronté à un dilemme, concernant ce qu’on pourrait appeler la justification de son échec. Soit il l’explique de façon externe, c’est-à-dire non normative du point de vue de l’internalité, soit il l’explique de façon interne et il s’expose, selon les termes mêmes de Jellison et Green « à la punition potentielle pour sa responsabilité constatée ». Il y a là un glissement sémantique, de l’interna-lité à la responsabil’interna-lité, lourd de conséquences. En effet, on vient de le voir, Heider avait clairement distingué, au sein des facteurs internes, la capacité et

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l’intention, regroupant la capacité avec les facteurs externes sous l’appellation de possibilité et opposant une causalité centrée sur l’intention à une causalité scientifique, ce que plusieurs auteurs ont explicitement repris et développé.

En assimilant internalité et responsabilité, on gomme cette distinction essen-tielle et on s’empêche de comprendre les réponses des sujets face à ce dilemme.

3.2.1 La norme de responsabilité

L’internalité se réfère à l’ensemble des facteurs internes à l’individu, alors que la responsabilité fait plus particulièrement référence aux facteurs inten-tionnels au sein des facteurs internes. À la suite de Heider, un certain nombre d’auteurs ont mis l’accent sur l’intention. Ces auteurs ont mis l’accent sur deux types de causalité : une causalité centrée sur la recherche de l’intention et une causalité à caractère rationnel, scientifique. C’est, encore une fois, Heider qui a ouvert la voie, dans un de ses premiers articles.

L’origine et la cause

Dans un article datant de 1944, intitulé « Perception sociale et causalité phénoménale », Heider établit une distinction entre l’origine et la cause. Le prototype de l’origine est la personne, prototype qui s’appuie sur l’expérience originelle chez l’enfant de l’union de l’agent et de l’action. Heider se réfère à Fauconnet (1928) : l’homme est une cause première, au moins pour la qualité morale de ses actes. À l’inverse, la science ne connaît que des causes secondaires : toute cause est l’effet d’une autre cause, il n’y a pas de différence de nature entre la cause et l’effet ; il n’y a pas non plus de cause initiale, mais au contraire une régression causale sans fin. Pour Fauconnet, la recherche de la cause première personnelle s’enracine dans le besoin social de trouver une responsabilité aux délits et aux crimes pour pouvoir ensuite appliquer une sanction. La société ne peut annuler les crimes, mais en punissant les personnes déclarées responsables, elle les compense. En généralisant, on peut faire l’hypothèse que cette recherche de responsabilité s’applique non seulement aux crimes, mais à tout ce qui paraît déviant, anormal, étrange, non-familier (Moscovici, 1983). Une des fonctions de nos explications quotidiennes est la familiarisation de l’étrange.

Moscovici (1983) s’appuie sur les idées de Fauconnet et de Heider et parle d’une double causalité (ou d’une bi-causalité) :

– l’imputation : c’est une recherche de responsabilité ; la question que se pose spontanément l’homme de la rue devant un événement étrange, non familier est : « Qui est à blâmer ? ». L’attitude sous-jacente à nos explica-tions spontanées est le soupçon, la suspicion : « Il n’y a pas de fumée sans feu. » Cette recherche de responsabilité est stimulée par la perception d’un contraste entre la représentation a priori d’un phénomène (le prototype) et

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le phénomène observé, ou en d’autres termes entre la règle et l’exception, le familier et le non-familier, le normal et l’anormal. Cette perception de l’étrange déclenche spontanément en nous la recherche d’intentions cachées, de motifs obscurs. Il cite MacIver (1942) : « C’est l’exception, la dévia-tion, l’interférence, l’anormalité, qui stimule notre curiosité et semble appeler une explication. Et nous attribuons souvent à une « cause » tout ce qui nous arrive qui caractérise la situation nouvelle, non anticipée ou altérée ».

Cette causalité est une causalité primaire, non réfléchie, spontanée, qu’il appelle aussi une causalité « à la première personne » ;

– l’attribution : c’est une causalité secondaire, « à la troisième personne », c’est-à-dire qu’elle n’est pas spontanée mais apprise au cours de l’éduca-tion ; l’apprentissage du langage et du discours ral’éduca-tionnel de la science nous dicte cette forme de raisonnement. Cette causalité est celle qui a été prise comme modèle, comme référence, par les principaux théoriciens de l’attribution : c’est la démarche de l’historien, du psychologue, ou plus généralement de l’homme de science. À l’inverse de la première, elle minimise dans les phénomènes, conduites ou événements, la part d’inten-tion ou de responsabilité et cherche au contraire à les étudier d’une manière impartiale.

Le point important est que pour cet auteur, dans la causalité primaire, c’est l’explication qui domine ; elle est dominée par le pourquoi et il y a passage automatique de la description à l’explication. Dans la causalité secondaire, au contraire, c’est la description qui domine, la question essentielle est le comment ; elle cherche à éliminer le pourquoi.

En se centrant sur les causes « rationnelles », les théories de l’attribution n’ont pris en compte qu’un seul type de causalité, la causalité scientifique.

Or bien souvent, dans la vie de tous les jours, l’individu ne se comporte pas comme un statisticien, mais bien plutôt comme un juriste.

La responsabilité : le modèle du « juriste naïf »

Les théoriciens classiques (Heider, Kelley ou Weiner par exemple) mentionnent principalement des raisons intra-individuelles pour lesquelles les gens font des attributions : le besoin de contrôle, le besoin de compréhension et le besoin de sauvegarder l’estime de soi. Le besoin de compréhension explique que les gens fonctionnent comme des « statisticiens naïfs », le besoin de contrôle ou de sauvegarde de l’estime de soi explique qu’ils commettent quelques « erreurs », cumulant paradoxalement le double handicap de la naïveté et de la mauvaise foi. Ces interprétations s’appuient explicitement sur le sens commun, sur des dichotomies qui nous sont familières : la raison et l’affect notamment.

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Fincham et Jaspars (1980) prennent comme point de départ la distinction entre attribution causale et attribution de responsabilité. Dans l’attribution de responsabilité, le sujet responsable doit rendre compte de quelque chose devant quelqu’un (responsable vient du mot latin respondere : répondre).

Une personne est rendue responsable par une demande qui lui est faite de repousser des accusations qui, si elles étaient établies, conduiraient à la sanction. Les auteurs font le parallèle, en s’appuyant notamment sur les travaux de Hart et Honoré (1959) entre l’explication quotidienne et la démarche juri-dique : pour établir la responsabilité pénale de l’accusé, deux éléments sont nécessaires : la réalité de l’acte (actus reus) et la réalité de l’intention (mens rea). Si l’acte est établi, il convient de se demander s’il y a eu intention et si cette dernière est établie, on applique la sanction. Dans les situations quoti-diennes, les éléments pris en compte sont les mêmes, mais le raisonnement qui leur est appliqué est inverse : puisqu’un individu ou un groupe sont victimes d’une sanction pénale (prison) ou sociale (situation d’exclusion, de minorité ou de dominé, d’échec scolaire), c’est donc qu’ils sont coupables ; le raisonnement sous-jacent à nos explications quotidiennes est : « Il n’y a pas de fumée sans feu. »

L’ordre de la démarche légale est :

Cause + Intention Æ Blâme Æ Punition Celui de nos explications quotidiennes est :

Punition Æ Blâme Æ Cause + Intention

Malgré l’inversion du raisonnement, dans les deux cas, il s’agit de mettre en relation un comportement déviant avec une intention coupable. En présence d’un événement anormal, la pensée de sens commun sélectionne parmi l’ensemble des causes possibles celle qui correspond à ce schéma avec le double avantage de simplifier le problème et de pouvoir le contrôler en agissant sur lui.

Responsabilité et normes sociales

Pour Hamilton (1980), le point important dans l’attribution de responsabilité est de déterminer si l’acteur aurait pu faire autrement, en fonction de la situa-tion. Si dans une situation donnée, tout homme raisonnable aurait agi de façon identique, l’acteur n’est pas coupable. Si, à l’inverse, il avait la possi-bilité de résister aux pressions de la situation extérieure, alors il est considéré comme responsable du point de vue légal ou moral.

L’attribution de responsabilité met donc en jeu une norme sociale (« l’homme raisonnable ») en relation avec une situation. Fincham et Jaspars (1980) vont plus loin en avançant l’idée que selon la position sociale et les normes qui y sont attachées, la responsabilité n’est pas la même. Autrement dit, il ne s’agit plus seulement de l’homme raisonnable, mais de l’homme raisonnable ayant une position sociale déterminée et des normes attachées à cette position. Ces

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auteurs reprennent la notion avancée par Hamilton (1978, 1980) de responsa-bilité de rôle, en utilisant la distinction faite par Heider entre 5 niveaux de responsabilité1. Ils avancent l’idée que, si du point de vue légal ou moral, la possibilité théorique existe d’être responsable à chacun de ces cinq niveaux, dans les faits, seuls certains individus assumant certains rôles sociaux peuvent être tenus pour responsables aux niveaux les plus élevés (les plus exigeants).

Selon les normes attachées aux positions sociales, le niveau de responsabilité de la personne sera donc très différent. La notion de responsabilité de rôle peut même être précisée, en distinguant les attentes de rôle des observateurs et de l’acteur. Des conflits entre ces diverses représentations du rôle peuvent évidemment entraîner des divergences concernant le niveau de responsabilité afférent au rôle.

Un dernier point important : si la notion d’intention est indispensable pour établir la responsabilité au plan légal ou moral, l’absence d’intention peut aussi être une condition suffisante pour établir la responsabilité (voir par exemple la notion légale de non-assistance à personne en danger). L’absence d’effort est ainsi une cause fréquemment invoquée par les enseignants pour expliquer l’échec de leurs élèves.

En bref, l’explication quotidienne entretient un lien de similarité étroit avec la recherche légale de responsabilité, beaucoup plus qu’avec la démarche du statisticien ou du psychologue expérimental. Les résultats expérimentaux classiques doivent être rapportés aux conditions dans lesquels ils ont été produits et analysés, c’est-à-dire en dehors du contexte socio-normatif dans lesquels ils sont produits. Il n’empêche que les processus mis à jour fonctionnent

1. Les cinq niveaux distingués par Heider (1958) sont les suivants :

– 1er niveau (le plus exigeant) : une personne est tenue responsable pour chaque événement qui est d’une manière ou d’une autre relié à elle ; par exemple, un ministre peut être tenu pour responsable de toute faute commise par l’un de ses subordonnés, ou une personne peut être tenue pour responsable des crimes de ses ancêtres ;

– 2e niveau : tout ce qui est causé par la personne lui est imputé, même si elle ne l’avait pas prévu. Par exemple, le conducteur d’un véhicule ayant causé un accident de voiture peut être déclaré responsable de cet accident. C’est ce que Piaget appelle la responsabilité objective ; – 3e niveau : une personne est perçue responsable pour chaque événement dont elle est la cause

et qu’elle peut avoir prévu, même si cet événement n’est pas le résultat d’une intention, car elle aurait pu l’éviter, mais ne l’a pas fait, « par stupidité, négligence ou faiblesse morale » (Heider, 1958, p. 113) ;

– 4e niveau : une personne est perçue responsable pour ce qu’elle a eu l’intention de faire : c’est ce que Piaget appelle la responsabilité subjective ;

– 5e niveau : une personne n’est pas forcément perçue comme entièrement responsable de son intention, car celle-ci est vue comme ayant sa source dans l’environnement. En dernière analyse, la responsabilité de l’action appartient à la situation externe.

Par exemple, un chef d’entreprise pourra être tenu responsable d’un accident survenu dans son entreprise, alors même que cet accident a été causé par la faute d’une autre personne (niveau 1).

Un élève peut ne pas être tenu pour responsable de son échec, même s’il s’avère qu’il n’a fait aucun effort pour réussir, dans la mesure où l’on considère que son absence d’effort vient de conditions familiales, affectives ou socio-économiques handicapantes (niveau 5).

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aussi sans doute dans des conditions sociales « réelles ». Mais leur inter-prétation nécessite de les replacer dans le cadre dans lequel ils sont habituel-lement utilisés : c’est ce qui a été fait au moyen du parallèle entre la démarche juridique et l’explication de sens commun.

Plusieurs travaux ont montré l’importance de la prise en compte du contexte pour comprendre nos explications sociales. Ces travaux montrent que des processus tels que le biais de complaisance, la divergence acteur-observateur ou le biais d’internalité, sont profondément modifiés selon le contexte.

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