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L’évolution future du marché pétrolier

2. L’évolution du prix du pétrole

2.4. L’évolution future du marché pétrolier

Compte tenu de l’expérience récente, les prévisions de prix du pétrole ont rarement été aussi divergentes. Le tableau 11, qui indique les différen-tes prévisions, illustre la complexité des incertitudes sous-jacendifféren-tes.

2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 130

90

40 30

Notre analyse nous amène à souligner trois points :

• si la modération de la croissance de la consommation, voire une sta-gnation ou même un déclin, peut être envisagée du côté des pays industria-lisés, il faut s’attendre à une forte reprise de la demande du côté des pays émergents. La demande mondiale de produits pétroliers, qui atteint 84 mil-lions de barils par jour en 2009, pourrait augmenter de plusieurs milmil-lions d’ici 2014 si les prix restent à leur niveau actuel. La moitié de cette crois-sance viendrait de la zone Asie. Elle s’inscrit dans la perspective d’un dou-blement du parc automobile mondial d’ici 2030 et il ne semble pas que la montée des contraintes environnementales puisse contenir cet « appétit de croissance » chez les émergents ;

• du côté de l’offre, un certain nombre de facteurs se combinent pour que l’offre ne se développe pas aussi vite que la demande. On constate des retards d’investissements qui s’expliquent par un certain nombre de facteurs : crise économique, nationalisme des ressources, augmentation des coûts, diffi-cultés techniques pour le développement des nouvelles découvertes, volatilité des prix. Ceci devrait entretenir une tendance longue à la hausse des prix ;

• l’interdépendance des marchés physiques et financiers ajoute une forte dimension de complexité et d’incertitude à ces deux premières catégories de déterminants. Certains analystes, comme Daniel Yergin (2009), n’hési-tent pas à dire que sont apparus de « nouveaux fondamentaux » issus de la dynamique d’interdépendance comme les fluctuations de taux de change, le jeu des acteurs financiers, le rôle des anticipations sur les prix et l’infla-tion. Tous ces éléments sont de nature à entretenir une forte volatilité qui rend plus difficiles les décisions d’investissement, et risque ainsi d’accroî-tre encore le déséquilibre end’accroî-tre l’offre et la demande.

L’évolution du prix du pétrole pourrait donc être schématisée par le graphique 19.

19. L’évolution prévisible du prix du pétrole

Source : Auteurs.

En dollars

3. Le prix du gaz naturel

Contrairement au marché pétrolier qui est un marché mondial, les marchés du gaz naturel reflètent encore fortement des composantes régionales avec trois grandes zones :

• le marché américain alimenté essentiellement par une production locale ;

• le marché européen alimenté par une production locale (en déclin) et des importations croissantes, par tuyau ou par méthaniers en provenance de Nor-vège, de Russie, d’Algérie, du Nigeria, de Libye et d’Égypte ;

• le marché asiatique (Japon, Corée, Chine et Taïwan) essentiellement ap-provisionné par des chaines de gaz naturel liquéfié (GNL) avec du gaz en pro-venance du Moyen-Orient, de l’Asie du Sud et de la zone Pacifique.

La détermination du prix sur ces trois espaces se fait essentiellement en fonction de la valeur accordée au gaz par le consommateur final, valeur qui dépend elle-même des prix des énergies avec lesquelles le gaz est en concur-rence : charbon, produits pétroliers, électricité. En effet, comparé au pétrole qui a le quasi-monopole des carburants, le gaz peut toujours être remplacé par un substitut. Le niveau des prix n’est donc pas le même sur les trois marchés ce qui, avec le développement du GNL, permet depuis quelques années des arbi-trages entre les marchés. Un méthanier (libre de contrat) quittant l’Algérie va comparer la valorisation possible de sa cargaison sur le marché européen ou sur le marché américain.

On considère généralement que l’évolution du prix du gaz est tendan-ciellement corrélée à celle des prix des produits pétroliers(1), avec parfois des décalages temporels qui s’expliquent par des variations soudaines de tempéra-ture qui affectent fortement la demande de gaz. Cette corrélation se constate sur les marchés libres américains et britanniques (prix du US Henry Hub et du UK National Balancing Point). Elle s’explique par le fait qu’une partie de la demande de gaz est flexible et, en cas de prix élevés du gaz, peut se reporter sur des produits pétroliers, le fioul domestique ou le fioul lourd en général. Une même corrélation se constate sur les marchés européens et asiatiques mais pour des raisons différentes. En effet, ces marchés qui ne sont pas concurrentiels au sens américain, sont alimentés par des contrats de long terme (20 à 30 ans) qui engagent un vendeur et un acheteur. Ces contrats longs s’expliquent par le fait qu’un approvisionnement en gaz naturel implique des investissements gigan-tesques (le transport du gaz est sept à dix fois plus élevé que le transport du pétrole, pour une même équivalence énergétique) sous forme de gazoduc ou de chaîne de GNL. Ces contrats contiennent une « formule de prix » qui indexe l’évolution du prix contractuel sur les prix d’un « panier de produits » concur-rents, le plus souvent des produits pétroliers mais quelques fois un peu

d’élec-(1) Voir Percebois (2009), Hartley, Medlock et Rosthal (2008) et Ohana (2006).

tricité ou du charbon ou du gaz coté sur les marchés libres. Ces formules de prix, qui demeurent confidentielles, prévoient souvent un décalage, la hausse de prix des produits pétroliers n’étant répercutée sur le prix contractuel que six mois après. Cette logique contractuelle s’explique encore une fois par la subs-tituabilité. Ce mécanisme détermine le prix auquel un acheteur paye son gaz à la frontière du pays exportateur. Il faut ajouter à cela le coût du transport inter-national (pour le gaz russe à travers l’Ukraine, la Slovaquie, l’Autriche et l’Allemagne), puis le coût de stockage sur le territoire français et enfin le trans-port par tuyau chez l’utilisateur final, ce dernier coût relevant des tarifs d’un monopole naturel régulé. La loi française stipule que l’acheteur de gaz (GDF-Suez, par exemple) peut répercuter sur son client final la variation de son coût d’approvisionnement en gaz naturel.

Jusqu’en 2008, cet « attachement » du prix du gaz au prix du pétrole était admis assez communément mais la question d’un décrochage était souvent posée.

Depuis 2008, un certain nombre de facteurs nouveaux sont intervenus (Yergin, 2009) :

le marché américain du gaz naturel était jusqu’en 2008 (avant la crise) considéré comme à la fois porteur et de plus en plus dépendant des importa-tions croissantes de GNL. Or, deux événements sont venus bouleverser cette situation : le ralentissement de la demande provoqué par la crise et le dévelop-pement inattendu de la production américaine de « gaz non conventionnel », un gaz que les progrès techniques permettent de produire de façon économique à partir de gisements de charbon ou de schistes. Ces événements pourraient rendre disponibles au niveau mondial des capacités d’exportation qui étaient prévues pour satisfaire la demande américaine ;

en Europe, les années 2008-2009 semblent marquer une rupture impor-tante sur le marché du gaz naturel. Après trente ans de croissance soutenue, la consommation de gaz naturel a décliné d’une façon substantielle : – 6 % au premier semestre 2009 comparé à 2008(2). Face à ce déclin, les exportations de gaz vers l’Europe ont évolué de façon très inégale (janvier-avril 2009 compa-rées à 2008) : Russie (– 37 %), Pays-Bas (– 22 %), Algérie (– 8 %), Norvège (+ 8 % à cause du développement du champ géant d’Ormen Lange dont la pro-duction est destinée au Royaume Uni). Ce déclin de la consommation s’expli-que par la crise économis’expli-que ; il touche davantage l’industrie et les services s’expli-que les ménages. Mais, au-delà de la crise économique, d’autres facteurs ampli-fient les incertitudes que l’on peut avoir sur l’évolution de la demande dans les années qui viennent. Ces incertitudes sont d’abord liées au « paquet énergie-climat » adopté par le Parlement européen en 2009. Ce paquet est marqué par

(2) Sur le premier semestre de 2009 (par rapport à 2008) : – 9,3 % au Royaume-Uni, – 7 % en Allemagne, – 12 % en Italie, – 15 % en Espagne, – 0,4 % en France. La fai-blesse du chiffre français s’explique par la très forte contribution du nucléaire. Ce dé-clin de consommation s’est opéré malgré une vague de froid importante au début de l’année 2009.

Janvier 2007 Juillet 2007 Janvier 2008 Juillet 2008 Janvier 2009 16

10

6 4 2 0 14 12

8

1. Le prix du gaz naturel

En MBtu

EU contract

UK NBP

Japan LNG

US Henry Hub

Base 100 en janvier 2007

Janvier 2007 Juillet 2007 Janvier 2008 Juillet 2008 Janvier 2009 250

150 100 50 0 300

200

3. Le prix de l’énergie

Charbon (Europe du Nord-Ouest)

(Henry Hub)Gaz Pétrole

(brent)

Production Consommation

100

60 40 20 0 120

80

OCDE Non-OCDE

2. Croissance du marché du gaz naturel en 2008

Source : BP (2009).

En bcm

les « 3 vingt pour 2020 » : accroître de 20 % l’efficacité énergétique, réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre et monter la part des renouvelables à 20 %. La réalisation, même partielle, de ces objectifs dans les 27 pays de l’Union impacte directement la demande de gaz naturel. Les actions qui seront notamment entreprises dans les bâtiments sont de nature à réduire assez forte-ment la consommation. Par ailleurs, l’évolution de la production nucléaire en Europe affecte aussi directement la demande de gaz : la décision allemande de sortir du nucléaire sera-t-elle confirmée ? Combien de centrales vont être cons-truites d’ici 2020 au Royaume-Uni, en Italie, en Pologne, dans certains pays de l’Est et en Turquie ? Ainsi, les prévisions de la demande européenne de gaz naturel à l’horizon 2030 vont elles de 520 à 740 milliards de mètres cube (IHS-CERA). Jamais un tel écart n’avait été vu.

La conjonction de ce qui se passe sur le marché américain et le marché européen a une implication directe sur les modes de détermination des prix.

D’une part, on constate un excès d’offre, de la part des pays producteurs ou/et exportateurs, à la fois pour le gaz tuyau et pour le GNL et, d’autre part, une diminution de la demande européenne qui pourrait être durable. Les prix de contrats, alignés sur les cours du pétrole, deviennent non compétitifs par rap-port aux prix sur les marchés libres qui reflètent davantage l’équilibre entre l’offre et la demande à court et moyen termes. En Europe, le National Balancing Point, au Royaume-Uni, tend à jouer un rôle de leadership par rapport aux autres marchés spot : Zeebrugge en Belgique et le Title Transfer Facility (TTF) aux Pays-Bas. Cette situation impose sur les prix une forte pression à la baisse.

Par ailleurs, les opportunités d’arbitrage et de couverture de risques se multi-plient car les contrats présentent toujours des clauses, limitées, de flexibilité des volumes enlevés. Ces opportunités d’arbitrage existent sur le marché euro-péen mais aussi entre l’Europe et les États-Unis, ceci allant dans le sens d’une globalisation progressive du marché du gaz naturel. Dans ces conditions nou-velles, on constate, en Europe notamment, qu’il s’opère une déconnexion entre, et pour une période de temps limitée, le prix du gaz naturel et celui du pétrole.

Et il serait marqué, lui aussi, par une forte volatilité. Cette déconnexion s’ob-serve dans la renégociation des grands contrats d’approvisionnement. Il est difficile de dire si cette déconnexion est durable à cause de l’interdépendance des multiples causes qui ont présidé à cette évolution mais elle pourrait offrir à court et moyen termes des opportunités intéressantes de substitution du gaz à certains produits pétroliers (mazout et fioul). À plus long terme cependant, on peut anticiper une convergence des prix de l’énergie en prenant en compte ce que sera le prix du carbone. Cette convergence s’explique par les flexibilités existantes (substituabilité énergétique), par les opportunités sans cesse renou-velées d’arbitrages qui utilisent les marchés physiques et les marchés finan-ciers. Cette mécanique complexe est de nature à entretenir la volatilité puisque celle-ci ne fait qu’amplifier les opportunités d’arbitrages.