Les qualifications et parcours des professionnels de santé saisis par le droit
2. L’évolution des positions professionnelles
La mobilité qui accompagne la flexibilité du travail concerne aussi les professions de santé. Elles n’ont pas été exclues des débats sur l’accès à des professions réglementées et les différentes façons d’exercer une même profession les incluent également dans le mouvement normatif visant à fluidifier les parcours (2.1). Cette tendance peut répondre à des objectifs qui ne vont pas tous dans le sens d’une meilleure organisation sanitaire. La mobilité professionnelle en santé peut quoi qu’il en soit, conduire à franchir les frontières séparant les professions (2.2).
2.1. Fluidifier les parcours ?
Plusieurs modifications législatives et réglementaires, passées et en cours, visent depuis quelques années à étendre les possibilités pour une personne d’exercer une même profession de différentes manières. Pour un professionnel de santé, il peut en effet être difficile pour plusieurs raisons de naviguer entre un exercice libéral, salarié ou en tant qu’agent public de sa profession. Fluidifier ou décloisonner le parcours professionnel peut alors consister à faciliter ces changements de modes d’exercice et étendre ainsi l’autonomie du professionnel sur le choix des finalités et modalités de sa carrière. Mais l’objectif de flexibilité et de diffusion d’une culture commune de gestion du personnel qui sous‐tend ces réformes peut aussi remettre en cause cette autonomie. Compagne privilégiée d’un parcours professionnel empreint de mobilité, la formation professionnelle tout au long de la vie sert non seulement à sécuriser les parcours professionnels et faire face ainsi à d’éventuelles pertes d’emploi, mais aussi à favoriser la promotion des salariés, selon les termes de la
loi elle‐même23. La référence aux seuls salariés dans cette ouverture législative sur les principes
généraux de la formation professionnelle tout au long de la vie est restrictive en apparence mais elle peut remplir ces fonctions pour toute personne, et notamment les professionnels de santé qu’ils soient salariés, agents publics ou professionnels libéraux. Le Code du travail reconnaît un droit à la formation professionnelle continue pour les travailleurs salariés24 et pour les travailleurs
indépendants, les membres des professions libérales et des professions non salariées, y compris ceux n’employant aucun salarié ainsi que leur conjoint collaborateur ou associé25. La loi pose même pour
tout travailleur ou toute personne qui s’y engage, l’existence d’un droit à la qualification professionnelle entendu ici comme le droit de suivre une formation lui permettant de progresser d’au moins un niveau26. Sans exprimer expressément un droit à la qualification professionnelle, le
décret du 21 août 2008 relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie des agents de la fonction publique hospitalière27, modifié par un décret du 6 mai 201728, reprend la même idée en
affirmant que la formation professionnelle permet notamment aux agents de développer leurs connaissances ou compétences, d’en acquérir de nouvelles29, de parfaire leur formation en vue de
réaliser des projets personnels et professionnels30 ou encore d’accéder à des emplois exigeant une
qualification nouvelle ou à de nouvelles activités professionnelles31.
Les moyens pour faire remplir ses objectifs à la formation professionnelle tout au long de la vie sont variés. Pour les professionnels libéraux, la formation professionnelle peut se faire par la voie du compte personnel de formation et du développement professionnel continu, les obligations relatives à ce dernier pouvant d’ailleurs être en partie accomplies dans le cadre d’une mobilisation du compte personnel de formation. L’accès des salariés et agents publics à la formation professionnelle peut se faire de plusieurs manières : ‐ à l’initiative de l’employeur ou de l’établissement dans le cadre d’un plan appelé de compétences pour les salariés et de formation pour les agents de la fonction publique hospitalière ; ‐ dans le cadre du compte personnel de formation à l’initiative du salarié ou de l’agent ; ‐ dans le cadre des contrats de professionnalisation pour les salariés ; ‐ à l’initiative de l’agent public dans le cadre d’un bilan de compétences, d’une validation des acquis de l’expérience ou d’un congé de formation professionnelle d’une durée de trois ans maximum, pris en une ou plusieurs fois32.
Quel que soit le mode d’exercice, le développement professionnel continu est compatible avec les règles de formation professionnelle et les voies d’accès. Mais les dispositifs de formation professionnelle sont censés ouvrir un éventail de possibilités plus large que le cadre du DPC, laissant une part plus grande d’autonomie au professionnel.
Le choix des actions de formation professionnelle n’est cependant pas totalement libre, y compris lorsqu’elles sortent du seul cadre du DPC et pourraient tendre à une mobilité professionnelle. Non seulement cette mobilité peut ne pas avoir été voulue par le professionnel mais qui plus est, lorsqu’il est salarié ou agent public, l’accord de l’employeur ou de l’établissement est nécessaire si la formation est prise sur le temps de travail. Pour les agents de la fonction publique hospitalière, l’article 2 du décret de 2008 prévoit même que l’agent mobilise son compte personnel de formation, avec l’accord de l’employeur, et le statut général de la fonction publique ajoute que les actions effectuées à ce titre ont lieu en priorité sur le temps de travail33. 23 Art. L 6111‐1 c. trav. 24 Art. L 6312‐1 c. trav. 25 Art. L 6312‐2 c. trav. 26 Art. L 6314‐1 c. trav. 27 D. n° 2008‐824, 21 août 2008, JORF 23 août 2008, p. 13285. 28 D. n° 2017‐928, JORF 10 mai 2017. 29 Art. 1, 2°, c. 30 Art. 1, 6°. 31 Art. 1, 5°. 32 Sur ces formations à l’initiative des agents, v. D. 2008, art. 29 à 36. 33 Loi n° 83‐634 du 13 juill. 1983, art. 22 quater.
Les qualifications et parcours des professionnels de santé saisis par le droit
Les perspectives d’évolution professionnelle doivent être exprimées pour prendre vie. Les salariés disposent pour cela notamment d’un entretien professionnel, légalement distinct d’un entretien d’évaluation, avec l’employeur tous les deux ans34. Tous les six ans, cet entretien doit être destiné à
faire un état des lieux du parcours professionnel accompli. Dans la fonction publique hospitalière, les agents disposent d’un entretien annuel de formation professionnelle, dont le champ est plus restreint et un entretien professionnel a été créé par le décret de 2008 mais il conserve encore aujourd’hui un caractère expérimental dans les textes. L’entretien de formation professionnelle pour les agents publics laisse certes une ouverture professionnelle puisqu’il comprend une discussion sur les actions de formation apparaissant nécessaires en fonction des missions de l’agent et de ses perspectives professionnelles. Il a par ailleurs l’avantage d’être annuel. Mais il ne vise pas à évoquer sur l’ensemble du travail et des perspectives de l’agent, à la différence de l’entretien professionnel biennal prévu par le Code du travail pour les salariés. Le projet de loi de transformation de la fonction publique prévoit bien un entretien professionnel annuel mais qui s’apparenterait plus à un entretien d’évaluation, ce que n’est pas l’entretien professionnel, puisqu’il fonderait l’appréciation de la valeur professionnelle de l’agent. Il semblerait toutefois que l’impact de l’entretien professionnel dont bénéficient les salariés sur l’évolution professionnelle puisse être relativisé puisque celui‐ci ne permettrait que peu d’évolutions professionnelles en dehors de l’entreprise où il a lieu (Cereq, 2018).
Dans la fonction publique hospitalière, la mise à disposition ou le détachement peuvent représenter un prélude à un changement de corps ou de cadre d’emploi. L’expérience professionnelle et la façon de travailler n’ont toujours que peu d’influence sur la carrière des fonctionnaires. La fonction publique est dans son ensemble l’objet de nombreuses transformations depuis quelques années, plusieurs textes ayant réformé le statut général, en 2016 et 2017 notamment35. Les textes en la
matière poussent à une gestion individualisée des carrières misant sur l’impact des performances et différenciations promues dans le nouveau management public (Taillefait, 2018 ; Fitte‐Duval, 2011). La mobilité et la formation professionnelle en sont les principaux leviers et le projet de loi de transformation de la fonction publique prolonge cette démarche. Le projet de loi prévoit notamment un remplacement de la notation des agents par une appréciation de leur valeur professionnelle, ainsi que l’élaboration par l’autorité investie, du pouvoir de nomination de lignes directrices de gestion fixant des orientations générales en matière de promotion et de valorisation des parcours. La mobilité professionnelle est en ligne de mire dans tous ses aspects puisque le projet prévoit aussi la possibilité d’une rupture conventionnelle entre l’administration et le fonctionnaire.
La contractualisation des emplois publics est justement une autre illustration de la gestion individualisée et flexible des carrières dans les emplois publics. Ce phénomène met l’accent sur les missions de l’emploi public plus que sur la répartition par corps propre à une vision institutionnelle de la fonction publique centrée sur le lien hiérarchique entre l’administration et l’agent (Aubin, 2018). Une compréhension des emplois publics en métiers et non en corps est alors possible et favorise la mobilité professionnelle. Mais lorsqu’il est question de santé publique, la pertinence d’une gestion individualisée et flexible des carrières doit être questionnée. La création d’un statut unique de praticien hospitalier à laquelle le gouvernement envisage de procéder par ordonnance vise elle aussi à favoriser les changements de trajectoire professionnelle en développant un exercice mixte, hospitalier et libéral. Des craintes s’élèvent cependant de voir se développer une mobilité à sens unique à savoir hors de l’hôpital public. Par extension, c’est même tout le sens, voire l’effectivité même de la mobilité professionnelle permise par ces règles visant à fluidifier les parcours professionnels, qui peut être mise en doute au regard d’autres évolutions. La force juridique croissante accordée aux accords collectifs de travail, impulsée par le législateur depuis plusieurs années et dont la jurisprudence a pris acte, pourrait aboutir à la création de micro ordres juridiques,
34 Art. L 6315‐1 c. trav.
35 V. not. Loi n° 2016‐483, 20 avr. 2016, JORF 21 avr. 2016 ; D. n° 2016‐1804, 22 déc. 2016, JORF 23 déc. 2016 ; Ord. n° 2017‐
corrélativement à des différences de traitement entre professionnels et à autant de freins à la mobilité d’une entreprise à l’autre.
Ce sont aussi les frontières entre professions qui peuvent parfois faire obstacle à des évolutions professionnelles. Promouvoir ces dernières peut ainsi impliquer une reconfiguration des champs d’activité des professions de santé.
2.2. Reconfigurer les professions de santé pour faire évoluer les parcours
Les compétences juridiquement attribuées aux professionnels de santé sont définies par les textes légaux et réglementaires de manière limitative, hormis pour les médecins. Cette définition, parfois très stricte, est liée à la qualification professionnelle reconnue par le titre. Les tâches concrètement accomplies par certains professionnels peuvent pourtant excéder ce domaine légal de compétence, ce qui expose les professionnels concernés à une sanction (d’exercice illégal de la médecine par exemple) sans pour autant que leurs compétences professionnelles réelles ne soient reconnues. Des évolutions professionnelles peuvent s’en trouver empêchées. Une redéfinition des professions de santé davantage axée sur leurs missions, et pas uniquement sur les actes que les professionnels sont autorisés à accomplir, semble nécessaire pour que les perspectives professionnelles et la prise en charge des patients évoluent (Moret‐Bailly, 2008). La réforme des formations en santé pourrait y contribuer, mais les effets sur la division du travail ne seront visibles qu’à moyen ou long terme, compte tenu à la fois de la durée des études et de l’ancienneté des vieilles pratiques professionnelles construites sur une segmentation du travail et des corps professionnels (Marié, 2019).
La loi Hôpital Patient Santé et Territoires a ouvert une brèche dans cette stricte répartition des compétences en créant la faculté de mettre en place des protocoles de soins interprofessionnels. Le rapport Rolland sur le projet de loi HPST mentionnait notamment le cas des sages‐femmes qui pourraient, par ces protocoles, faire certains examens de routine dans des territoires manquant de gynécologues. L’article L. 4011‐1 du Code de la santé publique prévoit à cet effet que « les
professionnels de santé peuvent s'engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d'opérer entre eux des transferts d'activités ou d'actes de soins ou de réorganiser leurs modes d'intervention auprès du patient ». Le parcours déjà accompli par les professionnels a son
importance puisque, selon le même texte, ces protocoles « interviennent dans les limites de leurs
connaissances et de leur expérience ». L’initiative des protocoles est laissée aux seuls professionnels,
ce qui est destiné à garantir leur adhésion et leur pleine implication mais peut aussi constituer une limite du dispositif, d’autant plus que la procédure de mise en place est parfois jugée trop lourde36.
Leur domaine est par ailleurs limité puisque les protocoles précisent, notamment, les disciplines ou les pathologies, le lieu et le champ d'intervention des professionnels de santé concernés. Les protocoles de soins interprofessionnels représentent malgré tout une voie de transformations dans la pratique professionnelle en conduisant à envisager d’une manière nouvelle les domaines d’intervention des professionnels. La configuration des compétences attribuées aux professions de santé n’en est pas bouleversée pour autant. Comme l’a précisé le Conseil d’État saisi par un syndicat infirmier inquiet de voir les prérogatives des infirmiers grignotées par des aides‐soignants, « les
protocoles de coopération ont pour seul objet d’organiser la prise en charge des patients, en opérant des transferts d’activité ou d’actes ou en réorganisant les modes d’intervention des professionnels. Ils ne modifient en rien les conditions juridiques d’exercice des professionnels. Ils n’instituent dès lors, pas une nouvelle forme d’exercice d’une profession dont le champ de compétences serait atteint de manière générale »37. 36 Article L 4011‐2 CSP : « Après avoir vérifié que les protocoles répondent à un besoin de santé constaté au niveau régional, le directeur général de l'Agence régionale de santé en autorise la mise en œuvre par arrêté pris après avis conforme de la Haute Autorité de santé et, pour les protocoles impliquant un financement dérogatoire, après avis du collège des financeurs prévu à l'article L. 4011‐2‐1 ». 37 CE, 20 mars 2013, n° 337577.
Les qualifications et parcours des professionnels de santé saisis par le droit
L’exercice en pratique avancée constitue une nouvelle voie d’évolution des compétences au‐delà des frontières initiales. La pratique avancée concerne des professionnels qui ont atteint un niveau d’expertise et de technicité qui peut les conduire à mettre en pratique des compétences professionnelles dépassant celles initialement attachées à leur profession et les amenant notamment à disposer d’une expertise, d’une capacité de prise de décision dans des situations complexes et à réaliser des activités cliniques. La loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 a fini par reconnaître légalement, la possibilité pour les auxiliaires médicaux d’exercer en pratique avancée38. À ce jour, seule la profession infirmière est concernée par les premiers décrets
d’application des dispositions législatives39. Le professionnel exerçant en pratique avancée travaille
nécessairement en collaboration avec un médecin, soit dans le cadre d’une équipe de soins primaires ou d’une équipe de soins d’un établissement, équipe coordonnée par un médecin, soit en assistance d’un médecin spécialiste en ambulatoire. Les domaines d'intervention en pratique avancée peuvent comporter des activités d'orientation, d'éducation, de prévention ou de dépistage ; des actes d'évaluation et de conclusion clinique, des actes techniques et des actes de surveillance clinique et paraclinique ; des prescriptions de produits de santé non soumis à prescription médicale obligatoire, des prescriptions d'examens complémentaires et des renouvellements ou adaptations de prescriptions médicales40. La pratique avancée représente à la fois une reconnaissance du parcours
accompli, une durée minimale d’activité de trois ans équivalent temps plein de la profession d’infirmier étant requise, et une perspective de changement pour la pratique professionnelle à venir. L’expérience ne suffit cependant pas et l’obtention d’une qualification professionnelle matérialisée par un diplôme d’État de niveau master délivré par l’université est nécessaire. Indubitablement, la pratique avancée opère une jonction entre un parcours professionnel évolutif et un franchissement des frontières légales et réglementaires de compétences professionnelles des auxiliaires, et plus particulièrement des infirmiers.
L’infirmier en pratique avancée reste soumis aux décisions d’un médecin. C’est le médecin qui détermine, après concertation avec le ou les infirmiers exerçant en pratique avancée, les patients auxquels un suivi par un infirmier exerçant en pratique avancée est proposé. La conduite diagnostique et les choix thérapeutiques sont également définis par ce médecin, l’infirmier agit toujours dans le respect du parcours de soins du patient coordonné par le médecin traitant41 et doit
adresser immédiatement le patient au médecin, lorsqu’il constate qu’une intervention nécessaire excède son champ de compétences42. L’exercice en pratique avancée nécessite en outre,
l’établissement entre le ou les médecins et le ou les infirmiers concernés, d’un protocole d’organisation précisant notamment le ou les domaines d’intervention et les modalités de prise en charge des patients, par le ou les infirmiers43. Le professionnel n’en conserve pas moins son
indépendance professionnelle et un champ de compétences élargi. Il restera à voir si la délimitation des domaines d’intervention des professionnels exerçant en pratique avancée par l’article R 4301‐2 du Code de la santé publique ne se révèle pas trop restrictive en pratique. Il semble également nécessaire, pour que la pratique avancée prenne tout son sens, que les conditions soient réunies pour qu’elle soit fondée sur un savoir infirmier approfondi et non sur de simples fonctions déléguées (Morin, Ramelet & Shaha, 2013). L’article R 4301‐7 du Code de la santé publique impose à cet effet à l’infirmier exerçant en pratique avancée, de « contribuer à l’analyse et à l’évaluation des pratiques
professionnelles infirmières et à leur amélioration, ainsi qu'à la diffusion de données probantes et à leur appropriation […], à la production de connaissances en participant aux travaux de recherche relatifs à l'exercice infirmier ».
Pratique avancée et protocoles de soins interprofessionnels se rejoignent dans leurs finalités qui sont d’améliorer la prise en charge des patients, envisagée de manière globale et caractérisée par une 38 Art. L 4301‐1 et s. CSP. 39 D. n° 2018‐629 et n° 2018‐633, 18 juill. 2018, JORF 19 juill. 2018. 40 Art. L 4301‐1. 41 Art. R 4301‐1 al. 2 et 3 CSP. 42 Art. R4301‐7 CSP. 43 Art. R 4301‐4 CSP.