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Quand la formation en entreprise joue un rôle limité dans les parcours professionnels

3.2.2 ou des pertes de salaire

3.3. Quand la formation en entreprise joue un rôle limité dans les parcours professionnels

La formation suivie en entreprise réduit-elle les risques d’une trajectoire marquée par le chômage durable ? Augmente-elle les chances de retrouver rapidement un nouvel emploi ?

Pour mieux comprendre les parcours des salariés en cas de mobilité externe, nous nous intéressons aux déterminants des trajectoires observées, ainsi qu’à la place de la formation suivie en entreprise parmi ces déterminants. Dans un premier temps, nous analysons la probabilité de suivre chaque type de trajectoire en estimant un modèle logistique multinomial (tableau 5).

Tableau 5 • Résumé des résultats des estimations du modèle logit multinomial

Principales variables significatives$

Modèle logit multinomial

Réf. Trajectoire « Emploi / indépendance » Toujours en entreprise Chômage ou inactivité durables Chaotiques et autres Formation au travail +*** -*** -** Age ns -*** ns Age2 ns +*** ns

Salariés diplômés du supérieur ns -** ns

Conjoint en emploi ns ns -**

Pb de santé ns +*** +***

Contrat en déc. 2013

CDI à temps complet Réf. Réf. Réf.

CDI à temps partiel -*** -*** ns

CDD et intérim -*** ns +**

Plan de licenciement dans

l’entreprise en 2012-15 ns +*** ns

Zone d‘emploi à taux de chômage

faible (1e quartile) ns ns -**

Source : CNEFP-France compétences-Céreq, dispositif DEFIS- enquêtes 2015 et 2016.

Champ : les salariés du champ de Défis issus des entreprises de 10 salariés et plus, âgés de moins de 56 ans, hors apprentis et formation initiale.

$ Les variables mobilisées dans le modèle : sexe, âge, âge au carré, CS, ancienneté dans l’entreprise, diplôme, situation

familiale (couple, enfants à charge, conjoint en emploi), français de naissance, problème de santé, type de contrat en 2013, taille d’entreprise, plan de licenciement ou restructuration en 2012-15, secteur d’activité, région de résidence du salarié, type de la zone d’emploi de l’établissement où travaillait le salarié, indicatrice taux de chômage de la zone d’emploi en 2015 situé dans le 1e quartile. * =significatif à 10 %, **=significatif à 5 %, ***=significatif à 1 %.

Le tableau ci-dessus illustre les principales variables qui semblent impacter les trajectoires professionnelles des salariés. On note une corrélation négative de la formation suivie dans l’entreprise avant le départ avec les trajectoires chaotiques et celles marquées par le chômage et inactivité durables. Comme attendu, la formation en entreprise est positivement associée au fait de ne pas connaître de mobilité externe. Cependant, ces corrélations n’indiquent pas nécessairement un lien de causalité. Une éventuelle présence de l’hétérogénéité inobservée et la sélection des salariés aussi bien dans la formation que dans la mobilité peuvent induire des biais dans les estimateurs de la variable formation.

Certaines caractéristiques individuelles et d’emploi sont également corrélées avec les trajectoires professionnelles observées. Ainsi, l’âge réduit d’abord la probabilité de suivre une trajectoire marquée par le chômage, mais à partir d’un point de retournement son effet s’inverse. Le fait d’avoir un conjoint en emploi diminue la probabilité d’une trajectoire chaotique, mais ne diminue pas le risque de chômage ou d’inactivité durables. À caractéristiques similaires, les diplômés du supérieur et les salariés qui étaient en CDI à temps partiel ont moins de risque de connaitre une trajectoire de chômage ou d’inactivité durables, tandis que les salariés qui étaient en CDD ou intérim risquent plus de connaitre une trajectoire chaotique.

Les caractéristiques de l’entreprise dans laquelle travaillait le salarié et celles du marché du travail local semblent aussi impacter les trajectoires professionnelles. Avoir travaillé dans une entreprise qui a connu un plan de licenciement augmente les risques d’une trajectoire marquée par le chômage ou inactivité durable. Travailler dans une zone d’emploi à taux de chômage plus faible ne semble pas

Les parcours professionnels des salariés contraints de quitter leur emploi

impacter significativement le risque de chômage durable, mais ces salariés connaissent moins souvent des trajectoires chaotiques.

Comme nous l’avons indiqué, les estimations présentées ci-dessus ne tiennent pas compte d’éventuels effets de sélection qui peuvent influencer les estimateurs des variables, en particulier de la formation. Les salariés qui quittent l’entreprise se distinguent des salariés qui y restent par certaines caractéristiques observées, mais ils peuvent aussi se distinguer par certaines caractéristiques non observées ou inobservables. D’un côté, les salariés qui choisissent de partir peuvent posséder un réseau professionnel leur permettant de préparer leur départ en prenant des contacts avec leur futur employeur, et c’est pour ces raisons qu’ils peuvent connaitre les trajectoires les plus favorables. Dans ce cas, l’effet de la formation en entreprise sur la trajectoire professionnelle pourrait être surestimé puisque ces salariés sont par ailleurs plus nombreux et plus formés que les salariés « contraints ». D’un autre côté, on peut émettre l’hypothèse que les salariés amenés à quitter l’entreprise possèdent les caractéristiques inobservées qui, au contraire, augmentent les risques de chômage ou d’inactivité durables.

Pour tester ces deux hypothèses concernant la présence de l’hétérogénéité inobservée, nous estimons deux modèles probit à effets de sélection (Van de Ven et Van Pragg, 1981)4. L’équation de sélection

porte sur la probabilité de mobilité externe. Dans le premier modèle, l’équation principale fournit la probabilité de suivre une trajectoire la plus « sécurisée » au sens de la stratégie européenne de flexicurité (emploi quasi-immédiat dans une autre entreprise ou travail indépendant versus les deux autres types de trajectoires réunis). Dans un deuxième modèle nous estimons les risques de suivre la trajectoire la plus défavorable, marquée par le chômage ou inactivité durables (versus les deux autres types de trajectoires). Le tableau ci-dessous résume les résultats des estimations des modèles probit prenant en compte les effets de sélection dans la mobilité externe.

La valeur positive et significative du paramètre de l’hétérogénéité inobservée (rho) dans le modèle de la trajectoire dite sécurisée conforte l’hypothèse de l’existence des caractéristiques non observées des salariés qui quittent leur entreprise pour un autre emploi. Les caractéristiques inobservées influençant la mobilité externe sont positivement corrélées avec les chances d’avoir une trajectoire « sécurisée ». Le coefficient de la variable formation tenant compte de ce biais de sélection dans la mobilité n’est plus significatif, tandis que les effets des variables âge, diplôme du supérieur ou encore nationalité sont toujours observés dans le même sens que ceux obtenus par la régression logistique multinomiale. De plus, être dans une zone d’emploi à taux de chômage relativement faible semble augmenter les chances de suivre la trajectoire la plus favorable.

4 Ces estimations en deux étapes permettent de corriger les biais de sélection en introduisant dans l’équation principale (ici

trajectoire) le facteur de contrôle de biais de sélection obtenu par l’estimation de l’équation de sélection (mobilité externe). L’estimation de l’équation de sélection nécessite l’introduction d’une variable supplémentaire qui ne figure pas dans l’équation principale. Ici cette variable, corrélée avec la mobilité externe mais non avec la trajectoire qui suit, est l’indicatrice d’un chômage long avant d’entrer dans l’entreprise.

Tableau 6 • Résumé des résultats des estimations des modèles probit à effets de sélection

Principales variables significatives1

Equation principale : Probabilité de suivre la trajectoire :

Equation de sélection : probabilité de départ « Emploi / Indépendance » vs les autres « Chômage / inactivité » vs les autres Formation au travail ns ns -*** Age +** ns -*** Age2 -** ns +*** Salariés diplômés du supérieur +* -** ns Pb de santé -*** +** +** Conjoint en emploi +** ns ns

CDI temps complet Ref. Ref. Ref.

CDI temps partiel +** -*** +***

CDD et intérim +** -*** +***

Plan de licenciement ns +* +**

Taux de chômage ZE faible +* ns ns

rho +*** ns //

Source : CNEFP-France compétences-Céreq, dispositif DEFIS- enquêtes 2015 et 2016.

Champ : les salariés du champ de Défis issus des entreprises de 10 salariés et plus, âgés de moins de 56 ans, hors apprentis et formation initiale.

1Les variables mobilisées dans le modèle : sexe, âge, âge au carré, CS, ancienneté dans l’entreprise, diplôme, situation

familiale (couple, enfants à charge, conjoint en emploi), français de naissance, problème de santé, type de contrat en 2013, taille d’entreprise, plan de licenciement ou restructuration en 2012-15, secteur d’activité, région de résidence du salarié, type de la zone d’emploi de l’établissement où travaillait le salarié, indicatrice taux de chômage de la zone d’emploi en 2015 situé dans le 1e quartile.

* =significatif à 10 %, **=significatif à 5 %, ***=significatif à 1 %.

En revanche, les résultats des estimations de la probabilité de suivre la trajectoire « chômage et inactivité durables » versus les deux autres ne permettent pas de valider l’hypothèse de l’hétérogénéité inobservée car le paramètre « rho » n’est pas statistiquement significatif. On ne peut donc pas affirmer que les salariés qui quittent l’entreprise possèderaient des caractéristiques non observées qui augmentent les risques d’éloignement du marché du travail.

Cependant, ces résultats sont à interpréter avec précaution. Par exemple, la formation en entreprise n’est observée qu’à partir de 2014, alors que les salariés pourraient avoir suivi des formations antérieurement. De plus, la période de suivi est relativement courte pour pouvoir aborder un parcours. La mobilisation des données longitudinales de Defis 2015-2019 disponibles prochainement devrait permettre d’avoir une vision plus complète des trajectoires des salariés sur le marché du travail.

4. Conclusion

Ces résultats font ressortir trois principales conclusions. En premier lieu, ce travail met en lumière la diversité des facteurs et des contraintes qui pèsent sur les parcours des salariés. Parmi ces divers facteurs, la place de la formation en entreprise dans les parcours apparaît limitée. D’une part les entreprises privilégient la formation des salariés amenés à y évoluer. D’autre part, les salariés qui choisissent de quitter leur entreprise pour un autre emploi sont plus formés que les salariés contraints. S’agissant ici uniquement de la formation suivie en entreprise, le rôle de la formation suivie en dehors de l’entreprise ou dans le cadre du chômage devrait être étudié dans des travaux à venir.

Les parcours professionnels des salariés contraints de quitter leur emploi

En deuxième lieu, ce travail empirique montre que les circonstances de départ de l’entreprise restent un indicateur important de la différenciation des trajectoires qui s’ensuivent (Amossé et al., 2011). Le clivage entre les trajectoires selon les types de mobilités reflète les contours des différents segments du marché du travail français. D’un côté, les salariés issus du « marché primaire supérieur » qui font le choix d’une mobilité, par exemple pour une meilleure rémunération. Pour eux il s’agit de « faire

carrière », c’est-à-dire avoir un « parcours fait de mobilités choisies, joignant deux situations d’emploi entre lesquelles…la situation du salarié s’est améliorée » (Amossé et al., 2011, p. 81). D’un autre côté,

les salariés issus du « marché secondaire », passant d’un emploi à l’autre, souvent sans améliorations, et pour qui le chômage présente un caractère récurrent (Remillon, 2009). Enfin, les salariés issus du segment « primaire inférieur », pour lesquels les mobilités sont moins fréquentes, mais lorsqu’elles surviennent, il peut s’agir d’une transition critique venant « affecter le parcours attendu » (Amossé et

al., 2011, p. 82). Pour eux, le chômage « prend la forme d’une brusque rupture de trajectoire »

(Remillon, 2009, p. 116), souvent de nature à aboutir à un chômage durable et une insécurité des revenus.

En troisième lieu, nos résultats interrogent l’articulation entre la sécurité du parcours et la flexibilité visée par les politiques d’emploi européennes et nationales. En effet, la flexicurité, telle qu’elle a été définie au niveau européen, envisage non seulement de faciliter les transitions sur le marché du travail, mais également de « faciliter la progression des travailleurs vers de meilleurs emplois, de favoriser la

mobilité ascensionnelle et le développement optimal des talents » (CE, 2007, p. 5, cf. Caillaud et

Zimmermann, 2011). Or les mobilités contraintes ne sont que rarement associées à une amélioration de la situation professionnelle.

Nos résultats interrogent enfin les modalités d’accompagnement des salariés contraints à quitter leur emploi par exemple suite à des restructurations. Plutôt qu’une gestion des conséquences des restructurations « à chaud », c’est une logique d’anticipation qui est à privilégier. Les dispositifs publics, tels que le conseil en évolution professionnelle (CEP) et le compte personnel de formation (CPF) pourraient permettre d’avancer dans cette direction, mais les entreprises ont aussi un rôle à jouer dans l’accompagnement des transitions professionnelles en lien avec les transformations qu’elles connaissent.

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