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L’étalement logistique : relégation de la logistique dans les marges de la métropole

Chapitre 1 | La métropolisation logistique

3. Les enjeux de l’étalement logistique : aménager la métropole logistique

3.1. L’étalement logistique : un processus de transformation et de fragmentation de l’espace

3.2.1. L’étalement logistique : relégation de la logistique dans les marges de la métropole

On observe dès lors une multiplicité des structures métropolitaines et des modèles d’urbanisation. En France le rapport à ce nouvel espace est complexe. Le périurbain apparaît comme une forme d’urbanisation qui renvoie directement à des logiques individualistes qui rompent avec l’urbanité et ne « font plus société » (Donzelot, 2004). Avec l’émergence d’un nouveau référentiel de durabilité dans les années 2000 qui promeut le développement de la compacité, ces espaces sont souvent critiqués et opposés à un centre dense idéalisé « ouvert, progressiste et piéton » (Le Goix, 2016). Ces espaces deviennent en miroir, l’inverse d’un modèle métropolitain basé sur la densification et la mixité sociale et fonctionnelle. Au-delà de ce modèle dual, Donzelot (2004) voit dans cet espace l’avènement d’une ville à trois vitesses :

70 « la relégation des cités d’habitat social, celle de la périurbanisation des classes moyennes qui redoutent la proximité avec les « exclus » des cités mais se sentent « oubliées » par l’élite des « gagnants » portée à investir dans le processus de gentrification des centres anciens ». La métropole serait donc structurée en trois espaces : un centre dense embourgeoisé, une banlieue relativement dense qui la ceinture, composée des populations et activités exclues de ce centre, et enfin un espace périurbain homogène accaparé par des classes moyennes en rejet de ce mode de vie dans les espaces centraux.Cette lecture de l’espace métropolitain, est encore très ancrée dans le cas de la région francilienne où l’on distingue Paris de sa « petite couronne » et de la « grande couronne » et semble résister à certaines analyses empiriques. Le projet métropolitain de la Métropole du Grand Paris a d’ailleurs parmi ses objectifs de créer un espace plus homogène entre Paris et la petite couronne, ce qui reviendrait éventuellement à analyser à terme la région parisienne sous un autre angle.

Cette interprétation du territoire métropolitain pose question au développement logistique qui semble important dans les espaces périurbains. L’évolution de la géographie de la logistique semble aller dans le sens d’une localisation dans les espaces périurbains des métropoles. Un certain nombre d’études ont tendance à qualifier cette déconcentration des activités logistiques de « relégation » ou « rejet » (Donzelot, 2004) quand d’autres parlent de « fuite » (Andriankaja, 2014). Ces espaces qualifiés de « repoussoirs » viennent s’opposer à une ville « probablement idéalisée pour ses vertus de l’urbanité » (Le Goix, 2016). Raimbault (2014) montre que le développement logistique renforce la perception de certains territoires métropolitains, notamment les communes anciennement industrielles en Ile-de-France, comme des « territoires servants ». Ces communes accueillent les activités indésirables dans d’autres parties de la métropole, notamment dans le cœur, dans Paris. La perception que ces auteurs ont de l’étalement logistique renvoie à une perception de la métropole dans un rapport centre/périphérique, où les activités et les populations se desserrant seraient les victimes d’une rationalité économique qui privilégie des activités à haut niveau de service ou des populations plus aisées. On distinguerait alors une logistique périurbaine marginalisée, et mal intégrée au territoire métropolitain. Pour Offner (2016) cette permanence du concept centre/périphérie, qui renverrait presque à un couple conceptuel plus ancien (urbain/rural) développé par K. Marx, a nui à « l’analyse de la diversité des situations périurbaines et à l’autonomisation relative de ces espaces ».

Lorsque Jane Jacobs (1961) reprend les propos de R. Ratcliff dans son ouvrage, elle identifie le processus d’évolution de la localisation des activités à travers les principes de distribution spatiale des activités, de génération et de régénération du tissu urbain : « II faut considérer la décentralisation comme un symptôme de dégénérescence et de déclin (dit Ratcliff) uniquement

71 si elle laisse le vide derrière elle. La plupart du temps, certaines fonctions urbaines quittent le centre-ville pour aller dans les autres parties de la cité parce qu’elles sont expulsées du centre- ville et non pas parce qu’elles subissent l’attraction de ces autres secteurs ». Cette citation de J. Jacobs doit être replacée dans un contexte où les villes américaines connaissaient un important mouvement d’« évidement ». En ce sens, le centre ancien est concurrencé par l’émergence de nouveaux centres en périphérie. Cette lecture d’un centre opposé à une périphérie peut également être un vecteur de fragmentation. Les analyses récentes montrent que les espaces périurbains peuvent être repensés dans un esprit de complémentarité avec le centre urbain, plutôt que d’opposition.

Cette relecture de la métropole logistique au prisme de ses marges, interroge sur la centralité logistique dans la métropole. L’intégration des activités logistiques dans les métropoles apparait alors comme un enjeu de la construction de ce territoire métropolitain. L’étalement urbain ou logistique, pose la question de l’aménagement d’un territoire métropolitain hétérogène, fragmenté, segmenté. On voit donc dans la décentralisation et la dispersion une diffusion des lieux de pouvoirs dans la structure métropolitaine, ainsi qu’une perte d’intégration. Si dans le champ de la géographie urbaine la relation centre/périphérie est un principe fondateur, elle l’est tout autant en matière d’aménagement du territoire. Une activité située en périphérie est-elle moins intégrée à la métropole ?

3.2.2. Relecture des marges dans la métropole : nouveau regard sur l’étalement logistique

Il ne s’agit de remettre en question le modèle centre-périphérie qui résiste aux analyses empiriques et semble constituer une clé de lecture essentielle des métropoles. En revanche il s’agit de s’interroger sur la relation entre le centre et la périphérie souvent décrit comme des espaces den concurrence, entre un centre qui intègre et des espaces périurbains définies comme des marges. Plusieurs travaux récents (PUCA, 2016 ; Le Goix, 2016), proposent une autre interprétation des espaces périurbains de la métropole. Au-delà des territoires servants qu’ils peuvent constituer, ils constituent des lieux d’intégration dans la métropole : « Et si les marges métropolitaines étaient le lieu d’une construction contemporaine de l’urbanité, en étant devenues un lieu privilégié de l’intégration sociale en métropole ? » (Le Goix, 2016).Pour R. Le Goix (2016), ces espaces périurbains ne peuvent plus être compris comme une limite claire séparant ce qui relève de l’urbain et du non urbain. Ce nouvel entre-deux correspond à une grille de lecture sur le renouvellement de l’urbanité.

Longtemps considéré comme un ensemble de « non-lieux » (Augé, 1994), le périurbain ou « tiers-espace » a été reconsidéré dans de nombreux travaux de recherche comme un espace

72 urbain d’un autre genre. Des travaux du programme de recherche du Plan Urbanisme Construction et Architecture) (PUCA) intitulés « Du périurbain à l’urbain » et effectués entre 2011 et 2013 ont notamment permis de repenser ces espaces. Les espaces périurbains sont souvent appréhendés comme inscrits dans une relation de dépendance avec la zone centrale : espaces résiduels ou interstitiels, ils seraient « un strict produit de la dynamique urbaine, voire un de ses sous-produit » (Vannier, 2003), en lien avec un processus d’étalement urbain considéré parfois comme inexorable (Thomasin, 2001). Il n’en reste pas moins qu’un certain nombre de travaux analysent le développement périphérique des villes en termes de spécification et d’émergence d’une culture propre (Thomasin, 2001 ; Vanier, 2003 ; Charmes & Léger, 2009).

Dans la continuité de ces travaux, la recherche mise en œuvre dans le cadre du projet « Lieux et hauts lieux des densités intermédiaires » (coordonné par S. Berroir, X. Desjardins, A. Fleury et C. Queva) s’est notamment intéressée à la transformation des représentations du périurbain, au-delà de sa dimension périphérique dans un schéma centre-périphérie (Berroir, Cattan, 2005). Le périurbain y est appréhendé comme un « espace intermédiaire » entre la ville et la campagne, constituant ainsi une forme spatiale hybride, inscrite dans une double dynamique de relation avec les espaces urbains et ruraux et de différenciation vis-à-vis de ces espaces. Les auteurs se focalisent ainsi sur le cadre spatial au sein duquel le périurbain serait susceptible de s’affirmer comme territoire (PUCA, 2013). Le périurbain semble se définir comme un territoire à part entière, fort de ses dynamiques propres, il apparaît comme une nouvelle composante de la structure métropolitaine. Cette lecture des territoires périurbains permet de repenser la place de la logistique dans la métropole, non plus comme une activité reléguée dans les marges, mais comme une nouvelle centralité. La logistique participe à redéfinir la place de ces territoires dans la métropole.

Certains travaux de la géographie urbaine sur la métropolisation se sont attachés à montrer le découplage conceptuel entre centre et centralité. La centralité devient « moins physique et géographique que fonctionnelle, elle s’apprécie comme capacité à capter, organiser, filtrer et diffuser un ensemble sans cesse croissant de flux de personnes, de biens, et d’informations » (Le Néchet, 2015). Pour reprendre les travaux de Le Néchet (2015) la conjonction entre centre et centralité est historiquement datée dans le sens où elle résulte de la localisation conjointe des activités et des équipements ayant un potentiel d’attraction. Le centre apparaît dès lors comme le résultat d’un modèle d’urbanisation historiquement daté qui a produit une superposition du centre et de la centralité. Le polycentrisme, justement, incarne le dépassement de la relation « mécanique » centre-périphérie qui a dominé dans la littérature comme clé de lecture des aires urbaines pendant des décennies (Le Néchet, 2015). La forme radioconcentrique constitue un

73 outil économique ayant émergé dans l’histoire pour résoudre les problèmes posés par le coût et la lenteur des transports en agglomérant les industries et les emplois dans et autour d’un centre unique et en accumulant la population autour du centre et le long des voies radiales de pénétration et de transport (Cosinschi & Racine, 1998)

Le développement de la logistique dans les espaces périurbains interroge ce couple centre/périphérie. Les espaces périurbains semblent gagner en importance dans la localisation des activités logistiques, ils deviennent de nouveaux centres de la logistique. La question est de savoir si ce développement logistique se fait au détriment d’un centre. Si la logistique est majoritairement localisée dans les espaces périurbains, elle emporte avec elle la centralité logistique métropolitaine. Néanmoins, les travaux que nous avons présentés dans ce chapitre, insistent particulièrement sur le phénomène de périurbanisation logistique. La question des entrepôts dans des espaces centraux est absente de ces analyses. Or, pour pouvoir statuer sur l’existence d’une centralité logistique dans les marges de la métropole, il faut pouvoir fixer la géographie logistique métropolitaine et revenir sur la localisation des entrepôts. La lecture de la métropole logistique au prisme des concepts/périphéries semble biaisée par cette absence. L’étalement apparait comme un aspect essentiel de la construction de la logistique métropolitaine mais son rapport au centre de la métropole mérite d’être remis en perspective. La lecture intéressante qui consiste à relire l’intégration métropolitaine aux prismes de ses marges résiste-t-elle à la géographie logistique ?

3.2.3. L’entrepôt : un objet d’urbanisme permettant d’éclairer l’ensemble de la structure métropolitaine

Cependant, il nous semble que la littérature ne traite que partiellement de la question de la localisation des activités logistiques dans les métropoles. D’abord, elle s’y intéresse principalement sous l’angle des facteurs de localisation des entrepôts, ce qui signifie qu’elle observe avant les causes du desserrement liés au secteur de la logistique, mais peu les causes liées au territoire, et de surcroit à la structure du territoire. L’entrepôt logistique est un objet immobilier qui s’est réinventé du fait des évolutions récentes du secteur de la logistique et du transport de marchandises. Les logiques de production de ces objets obéissent à un objectif double : proposer des solutions adaptées à la demande des logisticiens et des transporteurs, mais également assurer la rentabilité financière d’un investissement immobilier. La localisation des entrepôts sur le territoire constitue donc un enjeu financier et stratégique, mais surtout elle constitue un nouvel enjeu en termes d’aménagement et d’urbanisme qui ne doit plus seulement penser la localisation mais également leur intégration. Ensuite, la littérature insiste tout particulièrement sur le phénomène de périurbanisation de la logistique mettant en lumière les

74 marges de la métropole, sans toutefois en proposer une relecture du modèle centre-périphérie. Est-ce un phénomène dominant ? Il nous semble que les méthodes, les données et l’angle choisis par la littérature ont particulièrement mis en avant ce processus au détriment sous doute d’une géographie plus complexe, dans lesquelles les zones denses de la métropole ne seraient pas dépourvues de toute attractivité pour les activités logistiques et constitueraient des espaces de localisation privilégiés pour les entrepôts. Enfin, le peu de cas différenciés traités par la littérature nous invite à remettre en cause l’universalité de ce phénomène. Les dynamiques de desserrement et la périurbanisation logistique doivent être interrogées à la lumière d’autres structures métropolitaines dans lesquelles les dynamiques spatiales s’exercent différemment sur le territoire. Le chapitre suivant nous permet de faire la lumière sur les données et méthodes employées pour analyser ce phénomène et de proposer une méthode pour analyser la récurrence des dynamiques de desserrement dans différentes métropoles et remettre en perspective ces dynamiques par rapport au stock d’entrepôts, à l’évolution de la localisation des activités logistiques, afin de clairement identifier la distribution géographique métropolitaine de la logistique. Souvent entrepris du point de vue de l’évolution dans le temps et l’espace, donc des dynamiques urbaines, les travaux relatifs aux entrepôts se sont particulièrement intéressés aux déterminants de la localisation des activités logistiques ou aux facteurs d’évolution de cette localisation. Analyser l’intégration des entrepôts dans le tissu urbain suppose de considérer l’entrepôt comme un objet d’urbanisme, de mettre en perspective sa localisation avec le territoire, à l’échelle locale (dans les mailles du tissu urbain) et à l’échelle métropolitaine (dans la structure de la métropole).

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Conclusion du chapitre 1

Dans ce chapitre nous avons pu identifier les mécanismes d’une métropolisation logistique, qui repose sur la croissance des activités logistiques concentrées dans les métropoles à grande échelle, et sur le développement de la logistique des franges métropolitaines à plus petite échelle. Plus généralement la croissance et la concentration des activités et des populations dans les métropoles, ont donné lieu à des dynamiques de desserrement et de déconcentration qui ont repoussés les frontières des métropoles. « Sur le front de la métropole », pour reprendre l’expression de R. Le Goix (2016), se retrouve des activités logistiques, et plus particulièrement les entrepôts logistiques qui viennent structurer le tissu urbain métropolitain. Les entrepôts apparaissent comme des objets nouveaux, nés des mutations du secteur de la logistique qui font émerger à la fois une nouvelle demande foncière et un nouveau marché immobilier.

Ces dernières années, différents travaux académiques ont mis en avant la relation entre les flux de marchandises et les régions urbaines, mettant à jour une nouvelle géographie du fret et de la logistique à différentes échelles. Une tendance renforcée à l’échelle des métropoles qui concentrent plus particulièrement ce type d’activités. A l’échelle locale cette concentration se traduit par des forces centrifuges et un développement des activités logistiques dans les marges métropolitaines (Dablanc et Rakotonarivo, 2010, Frémont, 2012). La question de la déconcentration des activités logistiques est de plus en plus étudiée, si on en juge par le nombre croissant d’études publiées sur le sujet dans différentes régions du monde. L’étalement logistique qui combine une dynamique de desserrement et une périurbanisation logistique, est perçu comme une des facettes du phénomène d’expansion métropolitaine et de l’étalement urbain à l’origine de mutations morphologiques et fonctionnelles du territoire métropolitain. De ce fait, la logistique participe à la métropolisation.

A travers la littérature nous avons pu identifier une dynamique commune à plusieurs métropoles : le desserrement logistique. Cette déconcentration des entrepôts dans les marges des agglomérations révèle à la fois un processus de transformations du secteur de la logistique lui-même, que l’on peut analyser à travers l’évolution des facteurs de localisation des entrepôts. Ainsi, les entrepôts se localisent aujourd’hui en priorité dans des espaces où le foncier est disponible, peu cher et dispose d’une bonne accessibilité routière. Mais cette déconcentration traduit également l’existence d’une offre territoriale nouvelle. Le périurbain semble particulièrement attractif pour la localisation des entrepôts. La périurbanisation logistique participe de ce fait à la construction de ces territoires métropolitains. L’existence d’une dynamique de desserrement et une transformation notable des espaces périurbains sous l’effet de cette localisation des entrepôts, constituent l’étalement logistique.

76 Dans le processus de construction des métropoles, l’étalement urbain est un élément essentiel. Il correspond à la fois à une dynamique de déconcentration des populations et des activités en périphérie mais également à l’essor de nouveaux territoires : des espaces périurbains. Longtemps interprétés par la doctrine et les politiques publiques comme des espaces de relégation dans une lecture centre-périphérie qui privilégie le centre, ces territoires ont fait l’objet d’une réinterprétation intéressante. Forts de leurs propres dynamiques, les espaces périurbains constituent un élément essentiel au fonctionnement de la métropole. La localisation des entrepôts dans ces espaces en témoigne. Ces territoires deviennent les lieux privilégiés dans les métropoles de leur localisation et permettent l’intégration fonctionnelle de ces espaces à la métropole. De ce fait, il semble que la logistique remette en question une lecture centre- périphérie de la métropole.

Cette analyse de la littérature nous a permis d’éclairer la structuration des métropoles par les dynamiques spatiales au prisme des activités logistiques. Les entrepôts sont des marqueurs spatiaux qui permettent d’identifier les formes métropolitaines. Principalement observés au prisme de l’évolution de leur localisation, et non d’une analyse en stock, le desserrement logistique, la périurbanisation et l’étalement logistique constituent les principales clés de lecture de la métropole logistique. Pourtant il nous semble, que ces dynamiques devraient être discutées au regard de structures urbaines différenciées. Par ailleurs, il nous semble que ces dynamiques ont pu gommer l’existence d’entrepôts localisés dans les zones denses, limitant de fait leur intégration dans les politiques publiques et l’inconscient collectif. L’étalement logistique nous apparait donc comme un des phénomènes majeurs constitutifs de la métropole logistique. Il s’agit à présent de déterminer l’ensemble des dynamiques pour mettre au jour toute la géographie de cette métropole logistique. Dans les chapitres suivants (2 et 3) nous reviendrons sur les méthodes et les données permettant d’aboutir à une compréhension exhaustive de cette géographie.

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