dans un contexte de globalisation
environnementale
Mon objet d’étude privilégié pour étudier les rapports sociaux à propos de l’appropriation, de l’usage et de la gestion de la nature sera les territoires de conservation et de développement. Dans une acception première, les territoires de conservation recouvrent l’idée d’une mise sous cloche de la nature, dans des “forteresses de conservation” (Adams, 2001), en en excluant généralement l’homme et ses activités pour préserver les services écosystémiques qu’elle offre à l’humanité. En créant des limites fixes, en appliquant des règles d’accès et de gestion uniques comme si ces territoires étaient écologiquement et socialement homogènes (Daniels et al., 2002), et en tentant de contrôler l’occupation du sol des populations locales, le processus de territorialisation sous‐jacent qui vise à contrôler les ressources et les hommes (Sack, 1986 ; Vandergeest, 1996), avec une main mise de l’État (Scott, 1998) conduit à créer des espaces abstraits (Smith et al., 1993 ; Lefèbvre, 2000 [1974]) qui modifient totalement les relations environnement‐sociétés et restreint les stratégies d’amélioration des conditions d’existence ou d’atténuation de la vulnérabilité des populations.
Cette forme d’aires strictement protégées demeurent le mécanisme de conservation le plus répandu, notamment en Afrique et en Asie (Zimmerer et al., 2004). La perduration et l’expansion de ce type de territoires de conservation s’explique par les priorités des agences nationales de conservation et des organisations internationales (Adams, 2001), mais également par le dialogue manqué entre les grandes ONG conservationnistes et les populations locales (Chapin, 2004). Ce dialogue avait démarré vers le milieu des années 1980, après que la conservation internationale soit devenue à la mode en 1986, que les fonds levés pour la conservation eussent augmenté de manière importante et que se soit établi un consensus autour de l’importance d’associer les populations locales à la gestion
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des ressources naturelles13, même si, sous des labels variés, cette association a débouché à la fin des années 80 – début des années 90 sur des programmes imaginés, labélisés et mis en œuvre par les conservationnistes et non les communautés indigènes.
L’alliance “naturelle” entre les conservationnistes et les populations locales n’a pourtant pas fait long feu. Dès le début du 21ème siècle, elle a été remplacée dans le discours des grosses ONG internationales par un nouveau focus sur les stratégies conservationnistes de large échelle, s’appuyant sur les discours scientifiques relatifs aux changements environnementaux globaux, au détriment des réalités sociales de terrain. Des voix se sont ainsi élevées pour dénoncer l’efficacité des programmes de conservation associant les communautés, contraire selon elles aux objectifs de la conservation biologique qui doit être basée sur des connaissances biologiques rigoureuses (Brandon et al., 1998)14, alors même que dans le même temps des travaux dénonçaient ce retour à des pratiques de protection autoritaire en reconnaissant la conservation comme un processus social et politique qui nécessite la prise en considération d’une large variété d’intérêts individuels et sociétaux dans les décisions de conservation (Ghimire et al., 1997 ; Brechin et al., 2002 ; Brosius et al., 2005 ; Adams et al., 2007).
Malgré cette régression des grandes ONG conservationnistes, dans une deuxième acception plus large du terme (Schroeder et al., 1995 ; Zimmerer, 2000 ; Zimmerer, 2006b), les territoires de conservation peuvent aussi comprendre ceux qui sont définis par une gestion durable des ressources naturelles, la protection de la nature et la restauration écologique. Cette acception est un produit de la globalisation environnementale qui amène la conservation à interagir de plus en plus avec l’agriculture et les autres types d’activités et d’utilisation de l’espace et des ressources (élevage, extractivisme, pêche, chasse, etc…). Ce glissement qui a abouti à l’intégration de l’agriculture et des autres usages de la ressource dans les programmes de conservation est une des caractéristiques importante de 13 Dans son rapport d’octobre 1996 intitulé “Principles and Guidelines on Indigenous and Traditional Peoples and Protected Areas,” l’IUCN‐WWF déclarait ainsi “Moreover, [indigenous peoples] should be recognized as rightful, equal partners in the development and implementation of conservation strategies that affect their lands, territories, waters, coastal seas, and other resources, and in particular in the establishment and management of protected areas.” 14 “The trend to promote sustainable use of resources as a means to protect these resources, while politically expedient and intellectually appealing is not well grounded in biological and ecological knowledge. Not all things can be preserved through use. Not all places should be open to use. Without an understanding of broader ecosystem dynamics at specific sites, strategies promoting sustainable use will lead to substantial losses of biodiversity.” (Brandon et al., 1998)
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la globalisation environnementale (Zimmerer, 2005) et fait partie intégrante de la 3ème vague de la conservation qui a émergé fin des années 1980, début des années 1990 (Guha, 1999 ; Chapin, 2004). Le pouvoir économique, social et politique des usagers de ces espaces, en lien avec les catégories de genre, d’ethnicité, de classe sociale ou de niveau de richesse, est essentiel dans cette interface avec la globalisation environnementale (Rocheleau et al., 1996 ; Zimmerer et al., 1998 ; Bassett et al., 2003). Cette interaction entre la conservation et la globalisation environnementale a engendré des arrangements spatiaux dont les objectifs de gestion environnementale varient d’une stricte protection de la nature à une utilisation durable des ressources avec des activités autorisées sous conditions et des activités interdites. Ces arrangements spatiaux inscrits dans les territoires de conservation qui renvoient à des espaces dévolus à la conservation de la nature et à la gestion durable des ressources (Zimmerer, 2000 ; Daniels et al., 2002 ; Neumann, 2004).
Aux territoires de conservation traditionnels dont les surfaces se sont accrues se sont ainsi ajoutés de nouveaux types de territoires de conservation liés aux activités humaines (forêts communautaires ou communales, projets d’aménagement des bassins‐versants, zones tampons autour des parcs nationaux et des réserves de biosphère, « paysage » compris comme des familles d’écosystèmes en interaction qui sont associés à divers objectifs de protection et de développement, ainsi que d’arrangement institutionnels (Harvey et al., 2008 ; Garcia et al., 2010), la vulgarisation des outils de la géomatique dans les projets de conservation contribuant grandement à la prolifération de ces territoires de conservation d’un nouveau genre (Turner II et al., 1991 ; Turner, 2003 ; Binot, 2010).
Ce processus de fabrication débridée de territoires est également à l’ordre du jour dans le monde du développement (Giraut et al., 2005) : redécoupages territoriaux associés aux politiques de décentralisation (Meligrana, 2004 ; Lima, 2005) et profusion de périmètres d’intervention et de mobilisation institués par les nouveaux acteurs territorialisés de la société civile et leurs partenaires internationaux (Cox, 1997 ; Chaléard et al., 2000), sous couvert de “bonne gouvernance” et de “développement durable” (Antheaume et al., 2005). Les processus de fabrication de nouveaux territoires au nom de la conservation et ceux au nom du développement durable se recoupent ainsi pour former des territoires de
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conservation et de développement (Daniels et al., 2002 ; Larson et al., 2004 ; Ruiz‐Pérez et al., 2005).
C’est à ces territoires là, à la fois de conservation et de développement, pour lesquels la conservation implique des usages raisonnés de l’espace et des ressources mais avec un souci de durabilité, en lien avec le développement durable, que je m’intéresse tout particulièrement même si, par commodité, j’emploierai parfois le terme de territoires de conservation, même si je ne travaille plus sur les aires protégées comme au début des années 1990 mais sur les espaces où sont autorisés un certain nombre d’usages des ressources.
Mes recherches futures, centrées sur cet objet des territoires de conservation de seconde génération qui n’excluent plus l’Homme de la Nature, concernent quatre grandes questions qui seront développées ci‐après (dans les parties 3.1 au 3.4), en gardant à l’esprit que mon rôle de chercheur de terrain est de confronter les idées des États nations, des bailleurs de fonds, des développeurs, ou des environnementalistes à la « réalité de terrain » avec son histoire particulière d’occupation et d’utilisation de l’espace et les enjeux locaux autour de la gestion des ressources naturelles.
En effet, la fabrique des territoires de conservation et de développement est généralement décrétée à travers l’aménagement du territoire à l’échelle des nations. Dans la plus grande partie des pays en voie de développement cependant, cette planification est directement influencée voire dirigée par les agences internationales de développement, les institutions internationales de conservation, les organisations non‐gouvernementales et les accords internationaux, comme par exemple la convention internationale sur la diversité biologique, la convention des Nations‐Unies sur la lutte contre la désertification, les conventions cadres des Nations‐Unies sur les changements climatiques dont le protocole de Kyoto, les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les accords de libre échange, etc…). De nouvelles politiques environnementales se mettent ainsi en place dans les pays du Sud sous l’influence internationale. Elles promeuvent la fabrique de territoires de conservation et la mise en place de nouveaux modes de régulation de l’utilisation des ressources (avec des quotas), de nouvelles restrictions et incitations commerciales qui conduisent à un remodelage des politiques environnementales pré‐existantes et à des nouvelles priorités qui ne dépendent plus uniquement des Etats‐nations, mais d’intérêts mondiaux. Ces priorités
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incluent notamment la gestion de l’impact des activités humaines sur la biodiversité, la régulation de la consommation et de l’exploitation des ressources et la réduction des effets environnementaux induits en aval des bassins‐versants par des exploitations situées en amont (Schroeder, 1995 ; Batisse, 1997 ; Brandon et al., 1998). La promotion de nouveaux territoires de conservation et de développement dépend ainsi essentiellement de la gestion de processus biophysiques et de l’expansion de nouveaux marchés liés à l’environnement, même si elle est souvent associée à des considérations sur le développement durable, la “démocratisation” et la lutte contre la pauvreté, qui font également partie des agendas internationaux, rendant la situation sur le terrain particulièrement complexe du fait de la profusion d’intervenants variés aux intérêts divergents, comme Roderick Neumann l’a montré dans le cas de la Tanzanie (Neumann, 1995b).
Cette influence d’organisations variées d’envergure mondiale sur la gestion environnementale s’exerce par le biais d’activités telles que le financement de l’établissement des territoires de conservation et de leur plan d’aménagement, la coordination des activités de gestion dans et autour des activités de conservation, la participation au conseil scientifique des institutions qui gèrent ces territoires, la collecte d’informations, le lobbying et la levée de fond.
Cette influence est majeure dans la mesure où, dans un contexte de globalisation environnementale, les processus économiques et politiques mondialisées jouent sur la manière dont les territoires de conservation sont compris et discutés, introduits comme priorité dans les agendas politiques des états nations et inscrits dans leurs espaces comme des territoires à travers de nouvelles méthodes d’intervention et de régulation au nom du patrimoine commun de l’humanité (Goldman, 1998). La globalisation influence notamment les discours environnementalistes qui sont particulièrement bien reçus et populaires parmi les élites économiques et politiques des pays du Sud (Christen et al., 1998 ; Bassett et al., 2000) , dans un processus synergique qui veut que les uns adoptent les idées des autres en échange de fonds qui permettent à leur institution de perdurer. Cette globalisation des discours environnementaux ainsi que des réseaux d’influence qui les supportent sont dénoncées par des scientifiques conscients de leur impacts sur les populations qui vivent dans ou à proximité des territoires de conservation notamment, sur
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les pauvres et les personnes et groupes sociaux défavorisés (Forsyth, 1991 ; Zener, 2000 ; Peet et al., 2004).
Au‐delà de ces critiques sur l’influence des discours environnementaux et des réseaux qui les portent, l’établissement des territoires de conservation et de développement est souvent ardemment contesté du fait de la manière dont ces territoires sont conçus, de leur localisation et de leur étendue, ces caractéristiques étant toujours reliées à une “intention sociale” (Amin, 2002 ; Johnston et al., 2004) et à la mobilisation de différents acteurs potentiels de la conservation et du développement autour d’un projet territorial (Chaléard et al., 2000 ; Giraut et al., 2005).
Tout territoire de conservation et de développement peut ainsi être considéré comme le résultat d’une intention sociale qui s’inscrit dans l’espace par juxtaposition de différentes forces parmi lesquelles les idées des scientifiques sur la protection de la nature et sur la gestion durable, le pouvoir social et l’autorité de gouvernance qui s’appuient sur ces idées (ou ce qu’ils en retiennent) et leur donnent du poids, ainsi que sur les autres conditions susceptibles de configurer ce territoire tel que la localisation des éléments de paysage (habitat, ressources) et les dynamiques institutionnelles. L’espace chrorotaxique (ou l’étendue selon Roland Pourtier) et l’aire biologiquement définie sont donc à la fois centraux pour la définition d’un territoire de conservation et de développement, mais dans le même temps, il ne s’agit que d’un simple support dans la mesure où ils interagissent avec des activités humaines qui sont sous l’influence des relations de pouvoir entre les hommes (Escobar, 1999 ; Zimmerer et al., 2003a ; Paulson et al., 2004 ; Peet et al., 2004).
Les débats que génèrent l’établissement des territoires de conservation portent ainsi sur l’efficacité des techniques de gestion des ressources végétales et fauniques de ces territoires, ainsi que sur les impacts incertains de ces territoires sur les activités et les droits d’accès aux ressources des populations qui vivent dans ou autour de ces territoires, avec un risque fort de marginalisation voire d’exclusion des populations économiquement pauvres et socialement désavantagées (Neumann, 1995b ; Naughton‐Treves, 1997 ; Neumann, 1998 ; Turner, 1999c).
3.1. Territoires de conservation et de
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