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1.2 La force dans les Principia

2.2.3 L’équation du temps

La distinction « du temps de ses mesures sensibles » est faite par l’équation du temps51. Celle-ci doit être comprise non pas comme une équation, au sens moderne, de la physique mathématique, c’est-à-dire l’égalité entre deux membres de même genre, mais comme une correction à apporter au temps relatif afin de connaître le temps vrai. Elle permet ainsi d’égaliser, ou d’uniformiser, les mouvements sensibles afin d’obte- nir une mesure exacte du temps. Elle s’inscrit dans le cadre général de réduction d’un mouvement non-uniforme à un mouvement uniforme, présent dès l’Antiquité. Cette réduction du mouvement est la conséquence d’une conviction portant sur la réalité même du mouvement : « Les cieux se meuvent régulièrement, et si les apparences sont contraires, il faut retrouver le réel au-delà des apparences ». Les Anciens avaient donc aussi leur temps absolu : la rotation de la sphère des fixes. Elle était le mouvement le plus harmonieux et le plus régulier qui soit. Elle était la norme de la régularité. Ainsi temps et ciel étaient des concepts équivalents depuis leTimée jusqu’à l’Almageste, dans lequel Ptolémée introduisit le point équant afin d’expliquer le mouvement des corps célestes sur une base de mouvement uniforme. Au Moyen-Âge, Peurbach et Regio- montanus avaient aussi développé de telles horloges géométriques pour régulariser le mouvement des astres. Mais dans ces procédés, le point équant était fictif et arbitraire. Fictif car vide de matière ; il n’est qu’un point géométrique. Arbitraire car la taille du cercle dont il est le centre est sans importance. Kepler, en revanche, fit disparaître la notion d’arbitraire avec la loi des aires. Son « équation » est fondée sur des bases phy- siques. La régularité est garantie par des considérations dynamiques. Le mouvement de

50. Newton(1966b), Tome ii, livre iii, p.129.

51. l’équation du temps, aussi appelée équation astronomique, est un angle désignant la correction à apporter à l’anomalie moyenne pour obtenir l’anomalie vraie. Il s’agit, sur la figure ci-dessous, de l’angleΨ. Voir page111

Figure 2.3 – Valeur de l’équation astronomique en fonction de la date

la planète est expliqué par la diffusion d’une force émanant du Soleil, phénomène ré- gulier, et le temps de parcours est mesuré par l’aire balayée par la ligne joignant l’astre au Soleil. Newton, en considérant l’équation astronomique comme moyen de correc- tion du temps apparent, se réfère ainsi à la pratique des astronomes de son siècle, qui voyaient une nécessité de posséder une échelle de temps plus satisfaisante que les re- pères habituels de jours et de mois, pris « communément pour une mesure égale du temps ». En pratique, ils utilisaient le temps local, ou apparent, qu’ils rectifiaient afin de mesurer avec davantage de précision le mouvement des corps célestes.

Des observations d’une comète réalisées par Flamsteed en 1680 et rectifiées par Halley, nous tirons la table2.1, qui illustre le dernier propos. De cette table, nous avons calculé l’équation astronomique (table2.2), dont nous avons tiré le graphe (figure2.3) de la variation de l’équation du temps en fonction de la date.

Nous constatons que la correction à apporter varie en fonction du moment de l’an- née. De sorte qu’il est impossible de caler une horloge sur notre Soleil. Les astronomes ont alors défini un « jour solaire moyen » donné par un soleil moyen, astre fictif, qui tourne à vitesse constante sur une orbite circulaire dans le plan de l’équateur, afin de satisfaire leur besoin de précision dans les mesures des corps célestes.

Le besoin de déterminer exactement la longitude, afin de se repérer correctement en mer, et l’exigence des physiciens ont grandement amélioré la chronométrie. La pu- blication, par Huygens, de l’Horologium oscillatorium sive de motu pendulorum ad ho- rologia aptato demonstrationes geometricæ permit un meilleur traitement théorique et pratique de l’isochronisme des oscillations, facilitant ainsi la réalisation d’horloges à pendule plus précises et plus rigoureuses capables de déceler, alors, l’inégalité du jour solaire vrai. L’apparition de nouvelles horloges, en lesquelles les philosophes et les as- tronomes espéraient trouver une régularité, tel que le mouvement des satellites de Jupi- ter découvert quelques années auparavant par Galilée, leur avait donné l’espoir d’avoir

Temps apparent Temps vrai Longitude du Soleil Longitude Latitude boréale de la comète (h m) (h m s) (h ’ ”) (h ’ ”) (h ’ ”) 1680. Déc. 12? 4. 46 4. 46. 0 1.51.23d?? 6.32.30d 8.28. 0 21 6. 32.1 2 6.39.59 11.06.44 5. 8.12e 21.42.13 24 6. 12 6.17.52 14.09.26 18.49.23 25.23.05 29 7. 55 8.03.02 19.19.43 13.10.41f 28. 9.58 30 8. 02 8.10.26 22.01. 9 17.38.20 28.11.53 1681. Janv. 5 5. 51 6. 1.38 26.22.18 8.48.53 26.15. 7 9 6. 49 7. 0.53 0.29. 2e 18.44. 4 24.11.56 10 5. 54 6. 6. 10 1.27.43 20.40.50 23.43.52 13 6. 56 7.8.55 4.33.20 25.59.48 22.17.28 25 7. 44 7.58.42 16.45.36 9.35. 0] 17.56.30 30 8. 07 8.21.53 21.49.38 13.19.51 16.42.18 Fev. 2 6. 20 6.34.51 24.46.59 15.13.53 16. 4. 1 5 6. 50 7. 4.41 27.49.51 16.59. 6 15.27. 3

Table 2.1 – Éphémérides de la comète de Halley calculées à partir d’observations ef- fectuées par Flamsteed. Tirées de Newton(1966b), livre iii ; p.129.? Les dates corres- pondent à l’ancien style. La réforme du calendrier instaurée par le pape Grégoire xiii en 1582 ne fut pas suivie immédiatement par les Anglais, qui pensaient qu’il s’agis- sait avant tout d’une superstition du pape, de sorte qu’il existe, en 1680, un décalage de 11 jours entre le calendrier anglais et notre calendrier. Ils appliquèrent le nouveau calendrier en 1701 après une année considérée comme transitoire ; ?? Les symboles apparaissant dans les colonnes des longitudes correspondent au signe de la constella- tion du zodiaque dans laquelle se trouve l’astre au moment de l’observation, selon la légende suivante :d : Capricorne ; e : Verseau ; f : Poissons ;  : Bélier ; ] : Taureau.

Date Équation astronomique (m s) 1680 Déc. 12 0 21 4.29 24 5.52 29 8.20 30 8.26 1681 Jan. 5 10.38 9 11.53 10 12.10 13 12.55 25 14.42 30 14.53 Fev. 2 14.51 5 14.41

Table 2.2 – Calcul de l’équation astronomique d’après les éphémérides de la comète de Halley réalisées à partir des observations de Flamsteed en 1680.

enfin trouvé l’horloge universelle. Les mouvements des satellites, malheureusement, sont tout aussi imparfaits que ceux de la Terre, et ne peuvent « servir de mesure exacte du temps », ni fournir aux géographes et aux navigateurs le recours à une « heure universelle ». Le xviie

siècle, à la recherche d’une horloge infaillible, n’a donc pas pu supprimer le recours à l’équation astronomique, dont « la nécessité [. . . ] se prouve assez par l’expérience des horloges à pendule, et par les observations des éclipses des satellites de Jupiter ».

Mais l’« équation astronomique » est aussi une nécessité à la justification de l’exis- tence du temps absolu. En permettant la correction d’un temps « apparent » en un temps « vrai », elle rend possible le passage du domaine des phénomènes, c’est-à-dire du domaine dans lequel les données empiriques sont relevées, au domaine de l’inter- prétation, soit le domaine réservé aux mathématiques. De sorte que nous devons ad- mettre que ces deux temps ne peuvent être totalement disjoints. C’est cette coexistence temps absolu et temps relatif qui est à l’origine de notre considération de « ces quan- tités que par leurs relations à des choses sensibles » et qui nous a fait « tomber dans plusieurs erreurs ». Dès lors, comme nous le rappelle Marc Lachièze-Rey52, la confron- tation des visions astronomique et métaphysique nous amène à confondre temps et mesure du temps, malgré les recommandations newtoniennes. Enfin elle confirme, de façon détournée, la pensée selon laquelle le temps absolu répond à un besoin physico-

mathématique.