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1.2 La force dans les Principia

2.2.1 Le concept de temps avant les Principia

Les premières préoccupations de l’humain vis-à-vis du temps remontent à bien avant l’Antiquité et concernent essentiellement la recherche d’un repère permettant de déterminer, avec une assez grande certitude - pour les périodes dont nous parlons - un moment important de la vie de la société, comme le début des semailles par exemple. Ces recherches étaient essentiellement fondées sur le mouvement des corps célestes, notamment celui du Soleil, de la Lune ou encore celui de la sphère des fixes à partir de l’Antiquité. Les Égyptiens cependant étaient capables de déterminer le début des semailles par rapport au niveau des eaux du Nil qu’ils surveillaient attentivement.

D’un point de vue conceptuel, toutefois, la notion de temps apparaît pour la pre- mière fois dans le Timée. Platon y conçoit le temps comme « une image mobile de l’éternité42», le raccrochant ainsi au mouvement des astres, mais qui ne semble ce- pendant pas exister pour l’intelligible.

Aristote transforme le temps en une des conditions du mouvement : il est « le nombre d’un mouvement selon l’antérieur et le postérieur43». Temps et mouvement deviennent étroitement liés. Le temps est celui par lequel le mouvement peut être me- suré. Mais il est aussi celui qui nécessite du mouvement pour être mesuré. Cependant, le mouvement aristotélicien ne se limite pas au seul changement de lieu. Il inclue aussi les changements tels que ceux qui affectent un individu dans son être, la génération ou encore la corruption. Aristote privilégie, toutefois, un mouvement régulier, uniforme et invariant : celui du Soleil autour de la Terre. Un mouvement astronomique devient ainsi la mesure universelle du temps.

Au ive

siècle, Saint Augustin insiste sur la question de l’être du temps, « qu’est- ce donc le temps ? ». Seul est ce qui demeure présent. Le passé n’est plus et l’avenir n’est pas encore, nous dit-il. Il est en ce sens fidèle à Parménide pour qui « l’être est, et il n’est pas possible qu’il ne soit pas ». Mais alors, le temps, faisant intervenir un passé qui n’est plus, et un futur qui n’est pas encore, comment peut-il être ? Notre

42. Platon(2001), p.127. 43. Aristote(2002), p.252.

expérience quotidienne nous montre précisément qu’il n’est pas : nous ne sommes plus dans l’instant passé, pas encore dans l’instant à venir et l’instant présent n’est déjà plus. Pourtant nous parlons du passé, du présent et du futur. Selon Saint Augustin, le passé est, par le souvenir que nous en gardons, le futur est, par l’attente que nous en avons et le présent est, par l’attention que nous lui portons. Si bien qu’il n’y a pas trois temps : passé, présent et futur, mais « le présent du passé, le présent du présent et le présent du futur ». Ces temps n’existent que pour nos esprits et représentent la mémoire, l’attention et l’attente respectivement. Il n’y a donc que le présent qui soit. Il est car être, c’est être présent. Passé et futur ne sont que parce qu’ils sont présents . . . à l’âme. Le temps existe donc par et pour l’âme. Il est une « distension de l’âme », c’est- à-dire, une détente de l’âme reliant passé au futur.

Au xviiesiècle, la vision aristotélicienne du temps est sérieusement remise en cause. Galilée lui confère un nouveau statut en l’introduisant comme paramètre mathéma- tique central de la mécanique. Parallèlement, Descartes fait connaître sa conception de la notion de temps. Celle-ci est abordée uniquement dans le premier livre de ses Principes de la philosophie. Il ne lui accorde qu’une place secondaire. Le temps est à distinguer de la durée. Il est un nombre, une mesure divisible en autant de parties que nous le souhaitons et n’existant que dans notre esprit. La durée, quant à elle, est un temps concret et réel. Celui de la « duration » des choses qui continuent d’exister et se conservent. Descartes ne fait, de fait, aucune allusion à la mesure du temps en tant que grandeur physique.

Mais c’est Gassendi surtout, qui, outre la critique des instruments de mesure du temps, attaque la conception aristotélicienne. Le mouvement de révolution de la Terre, Kepler l’a montré, n’est pas uniforme. Le temps ne peut donc être mesuré précisément et, de surcroît, sa définition, aussi, est atteinte. C’est d’ailleurs sur ce dernier point qu’il s’oppose vivement, avec Barrow, entre autre à Aristote. Ils s’opposent à l’identi- fication du temps à sa mesure. Ils perçoivent, avant tout, dans le temps une immuabi- lité conjointe à un écoulement permanent, qui annoncent le temps absolu newtonien. Ainsi, Gassendi écrit44 :

« Tout ceci nous fait enfin voir que le temps n’est pas dépendant du mou- vement, ou n’est pas quelque chose de postérieur au mouvement ; mais seulement qu’il est indiqué par le mouvement comme la chose mesurée l’est par la mesure. Et parce que nous ne pouvons pas savoir combien il se serait passé de temps pendant que nous faisions quelque chose, ou que nous ne faisions rien ; nous nous sommes trouvés obligés de prendre garde au mouvement céleste, afin que selon sa quantité, nous puissions détermi- ner combien de temps il s’est écoulé. [. . . ] Et c’est encore pour cela que voulant prouver plus haut que le temps est indépendant du mouvement

céleste, j’ai fait prendre garde qu’on conçoit que le temps s’écoule toujours de la même façon, soit que le ciel se repose, ou qu’il se meuve. [. . . ] »

Le mouvement des corps célestes permet, certes, encore une évaluation du temps, mais celle-ci n’est qu’une image approchée de ce qu’il est réellement. Par essence, le temps s’écoule uniformément et est indépendant de toute représentation quantitative. Et selon Barrow, il ne suggère, en outre, ni le mouvement, ni le repos. Il n’est que l’expression de la permanence des choses45.

« le temps ne suppose donc pas une existence actuelle, mais seulement la capacité ou la possibilité de l’existence permanente ; juste comme l’espace exprime la capacité d’une grandeur contenue en lui. Mais vous êtes peut être surpris de mon explication du temps sans rapport au mouvement, et je dirai, le temps implique-t-il le mouvement ? Je réponds négativement, comme sa nature absolue et intrinsèque le suggère. Pas plus qu’il n’im- plique le repos. La quantité de temps, en soi, ne dépend ni de l’un ni de l’autre ; puisque si les choses se déplacent, ou restent immobiles, si nous dormons ou sommes éveillés, le temps flue perpétuellement avec une égale teneur. »

Par « nature absolue et intrinsèque », le temps, au xviie

siècle, est caractérisé par son écoulement, uniforme, indépendant des phénomènes.