Chapitre 1 : Espace de modules des métriques d’Einstein 21
1.4 L’équation d’Einstein en jauge divergence
Un autre choix de jauge qui comme la jauge de Bianchi pourra être assuré globalement est la jauge divergence.
Définition 1.14 (Jauge divergence). Nous dirons qu’une métrique g0 est en jauge divergence par rapport à une métrique g si l’on a δgg0 = 0, où δg est l’opérateur de divergence.
Il est encore une fois possible de résumer le fait de satisfaire la condition d’Ein-stein tout en étant en jauge divergence à l’aide d’une seule équation, et ce sera développé dans la section 2suivante.
L’avantage de cette jauge divergence par rapport à la jauge de Bianchi est qu’il est toujours possible de mettre des métriques Ck,α-proches l’une de l’autre en jauge divergence à l’aide d’un difféomorphisme Ck+1,α, sans condition sur le signe de la courbure de Ricci, comme nous allons le voir dans le lemme suivant.
Lemme 1.15. Pour toute métrique g0 sur une variété M , et tout l ∈ N, il existe δ > 0 tel que : si une métrique g satisfait
alors il existe un champ de vecteurs X ∈ Cgl+2,α0 (T M ) tel que, si l’on définit le
difféomorphisme ϕX := expg
0X, qui à x associe expg0
x X(x), on ait,
δg0(ϕ∗Xg) = 0.
On peut de plus choisir X tel que pour une constante C = C(g0, l, α) > 0 on ait
kXkCl+2,α 6 Ckδg0gkCl,α.
Démonstration. Mettre une métrique g en jauge divergence par rapport à g0 signi-fie trouver une difféomorphisme ϕ : M → M tel que δg0(ϕ∗g) = 0. Mais l’action
par difféomorphisme
ϕ 7→ ϕ∗g
n’est pas lisse de Cl+2,α dans Cl+1,α. Cependant, comme on a ϕ∗δg0ϕ∗g = δϕ∗g0g,
et qu’il n’y a pas de problème de régularité avec le poussé en avant car g0 est de classe C∞, on résoudra donc plutôt :
δϕ∗g0g = 0,
qui impliquera bien que δg0(ϕ∗g) = 0. Pour ce faire, on s’intéresse à l’opérateur
lisse suivant : X 7→ Ψ(X, g) := δ(exp g0X)∗g0(g) où Ψ va de Cl+2,α g0 (T M ) × BCl+1,α(g0)(g0, δ) dans Cl+α g0 (T∗M ). La linéarisation de
cet opérateur au point (0, g0) suivant la première coordonnée est :
∂1Ψ(0,g0)(X) = δg0δg∗0X.
Il y a maintenant deux cas, soit cet opérateur est inversible, soit il ne l’est pas (comme dans le cas de la sphère).
Si l’opérateur δδ∗ est inversible (par exemple si Ric < 0), il suffit d’appliquer le lemme 1.12 dont les hypothèses sont satisfaites.
Si ce n’est pas le cas, alors l’opérateur δδ∗ n’est en fait pas surjectif car Ψ doit satisfaire la contrainte
Ψ(X, g) ∈ Im(δϕ∗g0) = ker(δ∗ϕ∗g
0)⊥ϕ∗g0
Mais on sait que ker(δϕ∗∗g0) = ϕ∗ker(δ∗g0). Cela implique que si ϕ est assez proche de l’identité et si g est assez proche de g0, alors δϕ∗g0g = 0 si et seulement si
πg0
Im(δg0)δϕ∗g0g = 0 où πg0
Im(δg0) est la projection orthogonale sur Im(δg0) par rapport à g0. En effet, nous avons
Im(δϕ∗g0) = ker(δ∗ϕ∗g0)⊥ϕ∗g0,
et tous les noyaux ont donc la même dimension. On peut alors appliquer le théo-rème des fonctions implicites comme dans le cas inversible à πg0
Im(δg0)◦ Ψ restreint à Im(δg0), où πg0
Im(δg0) est la projection sur Im(δg0). On en déduit l’existence d’un champ de vecteurs mettant les métriques en jauge divergence l’une par rapport à l’autre. La solution est de plus unique à un élément de Isom(g0)-près.
La condition de jauge divergence définit une tranche de métriques par le théo-rème de la tranche d’Ebin suivant.
Lemme 1.16 (Théorème de la tranche d’Ebin, [Ebi70]). Soit g0 une métrique sur une variété compacte M , et soient k ∈ N, 0 < α < 1. Notons Dk+1,α(M ) le groupe
des difféomorphismes de M dans M de classe Ck+1,α, et Mk,α(M ) l’ensemble des
métriques de classe Ck,α.
Alors, il existe ε > 0 pour lequel l’ensemble Sε:= BCk,α(g0, ε) ∩ ker(δg0) est une
tranche de l’action par Dk+1,α(M ), c’est-à-dire que :
— si ϕ ∈ Isom(M, g0), alors ϕ(Sε) ⊂ Sε,
— si ϕ ∈ Dk+1,α(M ) et ϕ(Sε) ∩ Sε 6= ∅, alors ϕ ∈ Isom(M, g), et
— soit une section σ : Dk+1,α(M )/Isom(M, g) → Dk+1,α(M ), alors, F : Dk+1,α(M )/Isom(M, g) × Sε → Mk,α(M ) défini par F (ϕ, g) = σ(ϕ)∗g est un homéomorphisme d’un voisinage de (Id, g0).
2 Espace de modules des métriques d’Einstein
Étant donnée une variété différentielle compacte M de dimension n, on définit M(M ), l’ensemble des métriques riemanniennes de classe C∞ sur M qui est un sous-ensemble des 2-tenseurs symétriques sur M , S2(M ). Parmi celles-ci, nous serons particulièrement intéressés par l’ensemble des métriques d’Einstein sur M que l’on notera E (M ) ⊂ M(M ).
La condition d’Einstein étant stable par changement d’échelle et par l’action du groupe des difféomorphismes de classe C∞(qui est de dimension infinie) d’après la section précédente. Définissons alors l’espace de modules des métriques d’Einstein
sur M comme le quotient de E (M ) par ces deux actions,
E(M ) :=ng | ∃Λ ∈ R, Ric(g) = Λg, Vol(M, g) = 1o/D(M ),
où D(M ) est le groupe des difféomorphismes de M agissant par tiré en arrière sur les métriques.
Décrivons maintenant la structure locale de E(M ) au voisinage d’une métrique d’Einstein lisse sur M , que l’on notera g0. Nous étudions un espace quotient (par changement d’échelle et par difféomorphismes), et il convient de considérer des représentants de classes d’équivalence, c’est-à-dire des métriques dans une tranche au voisinage de g0 qui satisfait Ric(g0) = Λg0 pour Λ ∈ R.
Définition 1.17 (Pré-espace de modules). Soit M une variété différentielle et
g0 ∈ E(M ). Le pré-espace de modules au voisinage de la métrique g0, noté Eg0(M ), est l’ensemble des métriques g,
1. qui sont d’Einstein avec la même constante, Ric(g) = Λg, ce qui fixe l’échelle pour Λ 6= 0,
2. qui ont le même volume que g0,
Vol(M, g) = Vol(M, g0), ce qui fixe l’échelle,
3. qui sont en jauge divergence par rapport à g0,
δg0g = 0,
ce qui fixe l’action des difféomorphismes à isométrie près.
La troisième propriété donne effectivement une tranche de métriques et fixe l’action des difféomorphismes de M à isométries-près par le théorème de la tranche d’Ebin, lemme 1.16.
Remarque 1.18. Les deux premières conditions sont cohérentes (et redondantes)
dans le cas où Λ 6= 0 si l’on reste dans une même composante connexe de l’es-pace de modules. En effet, les métriques d’Einstein sont des points critiques de la fonctionnelle d’Einstein-Hilbert,
Z
M
qui est donc constante sur chaque composante connexe de l’espace de modules. Il n’est cependant pour le moment pas clair qu’il n’y ait pas d’accumulations d’éléments composantes connexes différentes de métriques au voisinage d’une mé-trique donnée. Nous verrons a posteriori, dans la proposition 1.50 que dans le cas compact, au voisinage d’une métrique lisse, la constante d’Einstein est en réalité Λ.
Pour cette raison, nous relâcherons la première contrainte en E(g) = 0 où
E(g) := Ric(g) −R(g)2 g +n−22n R(g)g. Cet opérateur est adapté à la jauge divergence
car il satisfait δgE(g) = 0 pour toute métrique g, et il ne fixe pas a priori la
constante d’Einstein de la métrique.
Remarque 1.19. Nous faisons un choix différent
— de [Koi83] et [Bes87], où l’opérateur considéré est Ric(g) −R(g)n g. Bien qu’il
soit adapté à la jauge de Bianchi et qu’il ne fixe pas la constante d’Einstein a priori, il n’est pas adapté à la jauge divergence, et
— de [And10], où l’opérateur Ric(g) −R(g)2 g +(n−2)Λ2 g est considéré. Il est bien
adapté à la jauge divergence, mais fixe a priori la constante d’Einstein.
Remarque 1.20. Pour effectivement étudier des tranches de l’espace de modules
E(M ), nous devrions encore quotienter par l’action du groupe d’isométries de g0
(qui est de dimension finie). Pour ne pas nous préoccuper des singularités orbi-folds de l’espace de modules E(M ) dues à l’action du groupe d’isométrie, nous restreindront aux questions de structure sur le pré-espace de modules Eg0(M ).
Pour s’assurer de ne pas manquer de métrique d’Einstein de constante d’Ein-stein différente et pour coller à la définition de l’espace de modules des métriques d’Einstein, nous préférons fixer le volume égal à 1.
Lemme 1.21. Soit (Mn, g0) une variété d’Einstein compacte et de volume 1, et
définissons Φg0(g) := E(g) + δ∗gδg0g = Ric(g) − R(g) 2 g + n − 2 2n R(g)g + δ ∗ gδg0g.
Alors, il existe δ > 0 (celui de la proposition 1.15) tel que
Φ−1g
0 ({0}) ∩ BC1,α(δ) ∩ {g, Vol(M, g) = 1}
soit exactement l’ensemble des métriques d’Einstein de volume 1 et en jauge di-vergence par rapport à g0 dans BC1,α(δ).
Démonstration. En appliquant δg à Φg0, on obtient δgΦg0(g) = δg E(g) + δgδg∗δg0g = 0 + δgδg∗δg0g,
par l’identité de Bianchi. Ainsi, si Φg0(g) = 0, en particulier, δgδg∗δg0g= 0, or en intégrant par parties δgδg∗δg0g = 0 contre δg0g, on en déduit qu’en fait δg∗δg0g= 0 car δgδg∗ est inversible sur l’image de δg0 d’après la preuve du lemme 1.15. En réécrivant Φg0(g) avec cette nouvelle information, on obtient
E(g) = 0,
et donc une métrique d’Einstein.
Lemme 1.22. Soit (M, g) une variété riemannienne et soit h un 2-tenseur sur
M . Alors, la variation infinitésimale du volume de (M, g) dans la direction h est :
dgVol(M )(h) = 1 2
Z
M
trghdvg. (1.11)
Comme nous travaillerons toujours à volume constant ici, nous ne nous in-téresserons qu’aux déformations infinitésimales préservant le volume, c’est-à-dire satisfaisant R
Mtrghdvg = 0 avec les notations du lemme ci-dessus.
Les métriques proches en jauge divergence et de même volume que g0 au voi-sinage de g0 sont donc exactement Φ−1g
0 ({0}). Il se trouve que pour une métrique d’Einstein g0, la linéarisation de Φg0 en g0 appliquée à un 2-tenseur h satisfaisant R Mtrg0hdvg0 = 0 est 1 2 ∇∗g0∇g0h − 2 ˚Rg0(h) − ∇2g0trg0h − (δg0δg0h)g0+ (∆g0trg0h)g0 + Λ(trg0h)g0
qui est un opérateur autoadjoint et elliptique (et donc Fredholm). Il a donc en particulier un noyau de dimension finie. On appelle son noyau l’ensemble des
déformations infinitésimales d’Einstein de g0.
Remarque 1.23. Koiso caractérise de plus ces déformations d’essentielles car elles
sont transverses aux déformations triviales de changement d’échelle et d’action par le groupe des difféomorphismes.
Lemme 1.24. L’ensemble des déformations infinitésimales de g0 est l’ensemble des 2-tenseurs symétriques h sur M tels que dg0Φg0(h) = 0 et R
Mtrg0hdvg0 = 0
— trg0h = 0 — δg0h = 0 — Pg0(h) := 1
2∇∗
g0∇g0h − ˚Rg0(h) = 0.
Démonstration. La linéarisation de l’opérateur Φg0 en g0 d’Einstein et dans la direction de h satisfaisant R Mtrg0hdvg0 = 0 est (dg0Φg0)(h) = 1 2 ∇∗∇h − 2˚R(h) − ∇2trh − (δδh)g0+ (∆trh)g0+ Λ(trh)g0 ,
où toutes les opérations sont faites par rapport à g0.
Intéressons-nous à son noyau et linéarisons g 7→ δg(Φg0(g)) = δgδg∗δg0g en g0 dans la direction h du noyau de dg0Φg0, cela donne 0 = δg0dg0Φg0(h) = (δg0δg∗0)δg0h car Φg0(g0) = 0. Par inversibilité de δg0δg∗0 sur l’image de δg0 on obtient
δg0h.
L’équation (dg0Φg0)(h) = 0 se simplifie donc en
∇∗∇h − 2˚R(h) − ∇2trh + (∆trh)g + Λ(trh)g = 0.
Si Λ 6 0, en prenant la trace de cette expression, comme Ric(g0) = Λg0, on obtient
∆g0trg0h + Λtrg0h = 0. (1.12)
Il est alors clair par intégration par parties contre h sur notre variété compacte sans bord que si la moyenne de la trace de h est nulle, alors trg0(h) = 0.
Si Λ > 0, quitte à effectuer un changement d’échelle, on peut supposer que Λ = n − 1. La première valeur propre de −∆, λ1 satisfait alors λ1 > n avec égalité sur la sphère seulement. En effet, si ∆f + λ1f = 0, alors ∆df + λ1df = 0. Par la
formule de Bochner, on a alors
(∇∗∇ − λ1)df + Ric(df ) = 0, et donc, en prenant le produit scalaire avec df ,
k∇df k2− λ1kdf k2 6 −(n − 1)kdf k2.
Maintenant, comme ∆f = tr(∇df ), on a l’inégalité k∇df k2
> 1
nk∆f k2 = λ1
n kdf k2.
3 Structure de l’espace de modules autour
d’une métrique lisse
Le pré-espace de modules des métriques d’Einstein au voisinage de g0, définition 1.17, Eg0(M ) a une structure analytique au voisinage de g0.