• Aucun résultat trouvé

L’émergence d’une voie sceptique

66

Bien que la triple confiance en l’être, en la connaissance et dans le logos soit reconduite à l’issue du parricide, l’ébranlement et les réaménagements qu’elle subit libèrent désormais la possibilité du questionnement sceptique. Il advient, selon nous, comme une ultime retombée de cette voie inédite ouverte par Platon à l’issue d’une épreuve sceptique à l‘égard de la tradition philosophique, éléate en particulier. Le parricide platonicien libère les conditions philosophiques du scepticisme pensant. Sous cet angle, l’orientation ultérieure prise par l’Académie ne serait pas une simple donnée d’histoire de la philosophie mais prendrait un relief proprement philosophique.

Procédant à l’examen des philosophies constituées en écoles, les sceptiques anciens n’ont eu de cesse de dénoncer leur précipitation et leur prévention comme

une expression de leur dogmatisme127. Si le scepticisme se pense lui-même

comme un résultat, seule issue de la recherche philosophique, les dogmatiques le tiennent, au contraire, pour une impasse théorique et pratique de sorte qu’il cristallise le combat contre le nihilisme tant d’un point de vue gnoséologique que moral voire politique. Dès lors, qu’est-ce qui singularise l’émergence d’une voie sceptique pour susciter des jugements si contrastés tant sur sa nature que sur sa valeur ?

Le conflit des interprétations sur le scepticisme atteste, malgré tout, de l’adhésion tacite à une typologie dualiste dans laquelle toute philosophie serait, de fait, enserrée. Consécutive à la formation d’une tradition sceptique, elle fut accréditée par les uns et les autres, l’un étant toujours pour l’autre l’adversaire et la figure repoussoir, une sorte d’« épouvantail philosophique ». Pris dans les filets de cette interprétation, ont-ils dégagé la singularité du scepticisme ? Sans écarter la manière dogmatique et sceptique de comprendre de quoi le scepticisme marque l’avènement, nous nous demanderons si elles ne s’enferment pas dans l’unilatéralité de leur point de vue.

La difficulté rencontrée s’accroît si l’histoire et les avatars de la transmission de la double tradition sceptique, tradition et héritage pyrrhonien d’une part, tradition et héritage académicien d’autre part, ne sont pas négligés. Au gré des vicissitudes de la transmission, ce fut tantôt l’une, tantôt l’autre qui reçut la dénomination de sceptique, et incarna cette tradition pour les autres écoles128. Dès l’Antiquité, la question de leur rapport ne manqua pas de se poser au point de devenir un lieu commun. Aulu-Gelle s’en fait l’écho :

Mais c’est une vieille question traitée par de nombreux écrivains grecs que de savoir s’il y a

une différence entre les philosophes pyrrhoniens et les académiques et quelle est son importance129.

Philosophes et historiens de la philosophie sont eux-mêmes pris dans cette double tradition et ses méandres. A charge pour eux de démêler les filiations, de discerner les transformations voire les trahisons. Nous savons, par la doxographie

127

Bien qu’il fût admiré par Epicure, Pyrrhon se détourna de la compagnie de ses contemporains dialecticiens. Timon, son familier, parodiait Homère avec le récit d’une joute mettant aux prises les différentes sectes philosophiques dogmatiques, joute que Pyrrhon contemple de manière impassible. Ce fut un élève particulièrement virulent comme nous le signale Diogène Laërce : « Il y a trois livres de Silles, dans lesquels, de son point de vue de sceptique, il injurie et brocarde tous les dogmatiques sous formes de parodies. » Vies et doctrines des philosophes

illustres, Livre IX, 111.

128

La mise au point effectuée par J.P. Dumont dans Le scepticisme et le phénomène (Paris, Vrin, 1995) est précieuse de ce point de vue.

129

67

de Diogène Laërce, que Timon s’est violemment opposé à Arcésilas, fondateur de

la Moyenne Académie130 . En même temps, il s’adonne à son éloge dans Le

banquet funéraire d’Arcésilas. Au-delà de l’anecdote, Sextus Empiricus s’est

attaché à distinguer le pyrrhonisme de l’Académie131, pourtant, ne soutient-il pas, contre toute attente, à propos d’Arcésilas « […] que sa voie et la nôtre n’en font presque qu’une.132 » ?

L’ambiguïté se retrouve parmi les historiens de la philosophie. Ainsi, V. Brochard reprend les deux héritages en insistant d’entrée de jeu sur la « dualité de

leur origine133» tout en concluant que « les deux écoles ne diffèrent que comme les

espèces d’un genre134». Voilà contre quoi Jean-Paul Dumont nous met en garde

tout au long de son ouvrage Le scepticisme et le phénomène. Prenant acte de cette double tradition, il nous confronte à la nécessité d’un choix, au lieu de privilégier ce qui relève, selon lui, d’un parti pris de confusion : « […] il s’agit en matière de scepticisme historique comme en fait de scepticisme tout court, de choisir entre Cicéron et Sextus Empiricus, entre l’Académie d’Arcésilas et l’empirisme de

Pyrrhon.135» Renoncer à trancher reviendrait à accepter le « parti-pris de

confusion », ce qui compromettrait notre projet de dégager ce qui singularise le scepticisme136.

Néanmoins, trancher dans les termes proposés consiste à exclure l’une des deux traditions au profit de l’autre, présupposant qu’elles ne peuvent être maintenues ensemble et que l’une ne relève pas du scepticisme alors qu’elle a pu être tenue pour telle. En somme, il reviendrait au même de chercher ce qui singularise la voie sceptique et de chercher la véritable tradition sceptique. J.-P. Dumont tranche en montrant que la tradition philosophique a opéré un contresens philosophique historique, sous l’influence de Cicéron, en privilégiant l’Académie au

détriment des Pyrrhoniens137. Concédant que ce contresens a pu se révéler

130

« On dit qu’un jour, ayant vu Arcécilas traverser la place des Cercopes, il lui dit : ‘’Qu’est-ce que tu fais là, toi, à l’endroit où nous sommes, nous autres hommes libres ?’’ » Livre IX, 114, p.1142.

131

Dès l’ouverture, la tripartition de la philosophie en fait état mais cette démarcation se poursuit dans une confrontation spécifique, au cours de laquelle il explique ce qui les sépare. (Livre I, 33 intitulé ‘’En quoi le scepticisme diffère de la philosophie académique’’ et plus particulièrement le [226].)

132

Esquisses pyrrhoniennes, Livre I, 33 [232], p.189.

133

Il remarque qu’Arcésilas a fréquenté Pyrrhon mais que « […] si Pyrrhon n’eut pas existé, la Nouvelle Académie aurait été à peu près ce qu’elle a été. » Les sceptiques grecs, Livre II, chap.1, p.111.

134

« Mais si, négligeant la forme extérieure de l’argument, on va au fond des choses, il faut bien reconnaître que les deux théories reviennent au même. Ni l’une ni l’autre n’accorde à l’esprit humain le pouvoir de connaître le vrai : et c’est là l’essentiel. Disons, si l’on veut, que les deux écoles ne diffèrent que comme les espèces d’un genre. » ibid., Livre IV, chap. 4, p. 394.

135

Le scepticisme et le phénomène, p.101.

136

« En résumé, les interprétations successives qu’a connues la tradition sceptique, nous placent devant un choix : il faut décider qui, du nihilisme acataleptique des Académiciens ou du phénoménisme pyrrhonien, appartient à la véritable tradition sceptique.» ibid., p.95.

137

Les Premiers académiques sont un des filtres par lequel toute la tradition va interpréter le scepticisme antique. Dumont souligne, à juste titre, le parti pris de Cicéron lorsqu’il présente la Nouvelle Académie comme incarnation de la tradition sceptique. Qui plus est, il tient la filiation pyrrhonienne pour éteinte. Augustin s’inscrit dans cette lecture filtrée puisque, pour lui, les Académiciens sont les sceptiques.

Dans le Contra académicos, la question de la possibilité de découvrir la vérité constitue le fond de la discussion entre les élèves d’Augustin puis entre Augustin et son ami, censé défendre le parti des Académiciens. Augustin resserre l’éventail des réponses possibles, non sans écarter toute référence expresse à une troisième voie, celle du pyrrhonisme, et en présentant la position des

68

productif pour la philosophie, il ne peut toutefois transiger avec une tradition falsifiée. Il ne suffit pas de maintenir une différence entre pyrrhonisme et académisme, il faut séparer le scepticisme de l’Académie : la seule véritable tradition sceptique est celle du pyrrhonisme, l’Académie relevant, selon Dumont, du nihilisme.

Or, sans accepter un parti-pris de confusion, sommes-nous mis en demeure de trancher d’emblée par l’exclusion de l’une des deux traditions, au nom de la vérité ou de la pureté du scepticisme, dont Dumont admet qu’il n’est d’ailleurs pas assignable à un nihilisme ? Au lieu de privilégier l’une des deux traditions, nous proposons de prendre en vue leur tension. Notre tentative de démarcation entre scepticisme et nihilisme prend ainsi tout son relief au regard de la double tradition sceptique elle-même et de ses interprétations. En effet, soit cette tension exprime le clivage du scepticisme et du nihilisme, comme le soutient Dumont, et l’exclusion de l’Académie est légitime, à condition toutefois de montrer 1/que le pyrrhonisme seul est un scepticisme 2/ que l’académisme est un nihilisme. Soit cette tension exprime un clivage inhérent au scepticisme mais alors, leur différence comme leur opposition, s’opéreraient-elles sur un fond commun les démarquant conjointement de tout nihilisme ?

Académiciens comme celle des sceptiques. Sous l’influence de Cicéron, l’appellation sceptique

s’applique exclusivement à la tradition de l’Académie. Sa présentation de l’académisme expose les deux volets de leurs thèses : « Les Académiciens soutiennent, d’une part, que les hommes ne peuvent parvenir à la science des vérités qui relèvent de la philosophie, – Carnéade refusait en effet de s’occuper du reste – et, d’autre part, que l’homme peut cependant être sage et que tout le devoir du sage, comme tu l’as exposé toi aussi Licentius, au cours de cette discussion, consiste en la recherche de la vérité.» Dialogues philosophiques IV, Contra Academicos, Paris, Desclée De Brouwer et Cie, 1948, p. 81.

Il en résulte que le sage ne doit donner son assentiment à rien. Subissant des attaques réitérées sur le risque d’inertie et de transgression des devoirs à laquelle le sage académicien est condamné, ils admettent le vraisemblable ou le probable comme principe de conduite. Dans la troisième section du livre deuxième, la présentation est plus nette. Pour Augustin, ce ne sont pas des penseurs qui ne croient en rien : ils ne soutiennent pas que la vérité n’existe pas ou qu’il ne faut pas la chercher ou encore y consentir mais qu’il leur parait probable qu’on ne peut la trouver. « Mais, pour le moment, entre eux et moi le désaccord se ramène à ceci qu’il leur paraît probable qu’on ne peut trouver la vérité, alors que je crois probable qu’on peut la découvrir. Car ou bien l’ignorance du vrai m’est particulière, si les Académiciens usent de feinte, ou bien, à coup sur, elle nous est commune, à eux et à moi.» Ibidem, p.101.

Dans la première section du livre troisième, un récapitulatif ouvre la discussion sur le rôle de la fortune pour un sage : « En effet, tous les philosophes ont estimé que leur sage avait trouvé la vérité ; les Académiciens ont professé que le sage devait déployer les plus grands efforts à la découvrir et qu’en fait, il y mettait tout son soin mais que la vérité, étant soit caché loin des regards, soit confuse et indiscernable, il n’avait, pour diriger sa vie, qu’à suivre ce qui se présentait comme probable et vraisemblable. » ibid., p.115. Le nœud de la polémique est la relation que le sage académicien entretient avec sa sagesse.

69 I Pyrrhon et le pyrrhonisme

L’existence de précédents philosophiques en matière de scepticisme a été bien souvent commentée. Diogène Laërce souligne, par exemple, combien les précurseurs sont nombreux, d’Homère à Platon :

Cette école, disent certains, a commencé avec Homère, puisque sur les mêmes sujets, plus que personne, il se prononce tantôt ainsi, tantôt autrement, et ne dogmatise en rien de façon déterminée dans sa manière de se prononcer. Ensuite, les formules des Sept Sages, disent-ils, sont des formules sceptiques, par exemple, le « Rien de trop », ou le « Caution appelle malédiction », qui

signifie que si l’on donne sa caution fermement et avec conviction, la malédiction s’ensuit138.

Selon lui, une approche philosophique sceptique se laisserait reconnaître à un type de logos intégrant une pratique de l’opposition sur le mode du contre-balancement. A l’appui de cette appréciation, il mentionne une expression dont la postérité sceptique est avérée : « ou mallon » « pas plus » ou « pas plutôt ». Notre étude du parricide nous a permis de repérer des traits sceptiques dans la manière selon laquelle Platon se rapporte à la tradition, ou prend en charge les questions philosophiques, sans pour autant conclure qu’il fut le précurseur du scepticisme ou un « philosophe sceptique ». Ce contre quoi nous met d’ailleurs en garde Sextus Empiricus de manière générale en disant que « […] même si Platon, lui aussi s’exprime de manière sceptique, quand comme ils le disent, il se livre à l’exercice, il ne sera pas sceptique pour cela.139» Il ne suffit pas, pour être un sceptique, de parler quelquefois comme un sceptique, un penseur cesse de l’être dès qu’il prononce une affirmation dogmatique. Dès lors, la question revient toujours : qu’est-ce que le squ’est-cepticisme ? Qu’est-qu’est-ce qu‘être squ’est-ceptique ?

1-Examen de l’appellation même de « sceptique ».

Le scepticisme n’est pas une école au sens traditionnel du terme. Il ne s’agit pas de prendre une position (relativement à l’être, la connaissance ou encore l’obtention du bonheur), de l’établir et de la fixer dans une doctrine afin d’en assurer

la diffusion et la promotion140. Aussi il est inapproprié de chercher à reconstituer le

curriculum philosophique sceptique en prenant pour modèle celui du stoïcisme ou

de l’épicurisme. Il consiste plutôt en une « voie philosophique » comme le suggère

138

Vies et doctrines des philosophes illustres, Livre IX, 71, p.1108.

139

Esquisses pyrrhoniennes, I, 33, [223], p.183.

140

Le vocable hérésis désigne 1/l’action de prendre quelque chose (une ville par exemple), 2/un choix : au sens général, un choix par un vote, par une magistrature, 3/ une préférence d’où la recherche de quelque chose (le pouvoir par exemple), l’étude de quelque chose, la préférence pour une doctrine (au sens philosophique, religieux, médical littéraire). En ce dernier sens, il s’agit d’établir une position ou de marquer son choix philosophique en se rangeant à une doctrine.

70

le vocable agôgê141. Le scepticisme offre une manière de s’orienter relativement

aux problèmes philosophiques plutôt qu’il ne se fixe ou ne s’établit dans une position doctrinale. Sextus Empiricus ne rejette pas toute appartenance à une école mais il explique que le scepticisme ne peut être appelé école, secte, que si « […] une école est la voie qui suit un raisonnement déterminé en accord avec

l’apparence142 » ou encore « […] une école qui, se réglant sur le phénomène, prend

pour guide une certaine raison143. » Passage que Hegel commente en ces termes :

Sextus dit : le Scepticisme n’est pas une hérésie, le choix de certains dogmes, il n’est qu’une agogè, il est une hérésis extérieure seulement au sens large ; il est plutôt une direction pour

vivre droitement, pour penser juste, – et non pas la préférence de certains dogmes, – une direction

pour mener au scepticisme144.

Ainsi s’explique pourquoi, celui qui cherche à dégager ce qui singularise l’avènement du scepticisme, peut, tout comme les protagonistes du Sophiste, faire l’expérience d’un certain embarras dès qu’il prend en vue la pluralité des appellations censées y rapporter, la pluralité des figures philosophiques censées le camper. Qu’il s’agisse de Diogène Laërce145 ou de Sextus Empiricus146, plusieurs appellations sont en effet mobilisées pour le caractériser : chercheuse, suspensive,

aporétique, pyrrhonienne147. De même, plusieurs penseurs sont dénombrés :

Pyrrhon, Arcésilas, Carnéade, Enésidème, Agrippa, ou encore Sextus Empiricus. Cette double variation n’est toutefois pas anodine : elle est le pendant d’une philosophie qui ne peut être dite et pensée, en particulier par ceux qui s’en réclament ou en usent, sur le modèle traditionnel de l’école.

Ainsi, Pyrrhon, considéré par la postérité comme le « fondateur du scepticisme grec », n’affiche pas plus l’ambition d’établir une école, au sens

traditionnel du terme, que le souci de camper « le type sceptique »148. Le statut de

Pyrrhon est singulier. Ce n’est pas un scholarque à la manière de Platon, d’Aristote

141

Ce terme désigne « l’action de transporter quelque chose » au sens où l’on apporte quelque chose ou l’on amène ou emmène quelqu’un mais aussi « l’action de conduire, de diriger, de guider quelque chose » en tous les sens du terme, autrement dit aussi bien pour un animal, une armée, les affaires humaines ou un raisonnement.

142

Esquisses pyrrhoniennes, Livre I, 8, [17], p. 63.

143

Ibid., I, 17.

144

Leçons sur l’histoire de la philosophie, Tome IV, p. 767.

145

La notice consacrée à Pyrrhon et à Timon se trouve au Livre IX, 61-116. Les diverses appellations sont inventoriées en 69-70 : « Tous ces gens ont été appelés pyrrhoniens du nom de leur maître, mais aussi aporétiques, sceptiques, et encore éphectiques et zététiques, du nom de leur doctrine, si l’on peut dire. »

146

« Ainsi la voie sceptique est appelée aussi ‘’chercheuse’’ du fait de son activité concernant la recherche et l’examen ; ‘’suspensive’’ du fait de l’affect advenant à la suite de sa recherche chez celui qui examine ; ‘’aporétique’’ soit, comme disent certains, du fait qu’à propos de tout elle est dans l’aporie et recherche, soit du fait qu’elle est incapable de dire s’il faut donner son assentiment ou le refuser ;’’pyrrhonienne’’ du fait qu’il nous semble que Pyrrhon s’est approché du scepticisme d’une manière plus consistante et plus éclatante que ceux qui l’ont précédé. »

Esquisses pyrrhoniennes, Livre I, 3 [7].

147

Lambros Couloubaritsis établit un parallèle entre ces deux textes dans un article intitulé « La problématique sceptique d’un impensé : la skepsis. » Il soutient que la différence tient à ce que Diogène « […] explicite les dénominations du courant sceptique en renvoyant au sens courant de la philosophie, tandis que Sextus renvoie directement à l’agogé sceptique ». Le scepticisme antique.

Perspectives historiques et systématiques, Actes du colloque international sur le scepticisme

antique, Edités par André-Jean Voelke, Genève-Lausanne-Neuchâtel, 1990, p.9-28.

148

A son retour de l’expédition conduite par Alexandre, il ouvre ce que Conche nomme « un centre de discussion » à Elis vers 322.

71

ou de Zénon. Il ne prétend pas enseigner une doctrine et ne cherche pas à établir une tradition, pourtant, il devient, rétrospectivement, le point d’ancrage et la référence du scepticisme au point que les dénominations «sceptique » et « pyrrhonien » vont se confondre à l’époque moderne. Les générations postérieures le considèreront, à l’instar de Sextus Empiricus, comme celui qui « […] s’est approché du scepticisme d’une manière plus consistante et plus éclatante que ceux qui l’ont précédé149 ». Comme le souligne P. Pellegrin, dans son introduction des

Esquisses Pyrrhoniennes :

[…] avec Pyrrhon, les tendances diffuses du scepticisme grec s’incarnent en une manière de philosopher qui ne quittera plus la scène intellectuelle antique150.

Etre pyrrhonien revient ainsi à se conduire à la manière de Pyrrhon et non pas à adopter les dogmes physiques, logiques ou éthiques qu’il aurait admis. Pyrrhon n’a pas été le fondateur du scepticisme et il n’a pas soutenu de dogme mais celui qui se conduit comme lui est désigné comme « pyrrhonien ». Cette appellation est, à l’origine tout au moins, une dénomination rétrospective, utilisée tout autant par les familiers que par les détracteurs. Il importe alors de clarifier pourquoi Pyrrhon s’est approché, comme nul autre avant lui, du scepticisme.

2-L’indifférence d’équilibre pyrrhonienne

Parmi les trois sources principales dont nous disposons, à savoir Timon, Sextus Empiricus et Diogène Laërce, Pyrrhon est, de manière constante, salué

pour sa conduite, plus précisément, pour sa pratique de l’indifférence151. Mais que

Documents relatifs