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L’émergence d’un réseau de communication global

Communication publicitaire interculturelle

3.1.2 Entre la standardisation et la diversification :

3.1.2.1 L’émergence d’un réseau de communication global

Le passage en revue des divers courants et auteurs s‘étant penché sur la publicité nous permet de voir un phénomène d‘une complexité comparable aux grands médias de masse. C‘est cette riche histoire ayant mené la publicité à jouer un rôle important dans notre société en étant dotée d‘armes performantes pour s‘imposer qui a rendu possible le phénomène des publicités internationales. Néanmoins, aussi puissant qu‘il soit, ce phénomène n‘eut été possible s‘il n‘avait pas bénéficié par ailleurs de la marche vers la mondialisation observée dans les sociétés occidentales. Nous allons aborder les auteurs qui peuvent nous renseigner sur ce que peut tirer la publicité de la mondialisation pour développer une création internationale.

La première source d‘inspiration est évidemment à aller chercher dans la mise en place d‘un système réticulaire de liaison entre les pays. Notre monde a en effet connu au cours des siècles un développement considérable des moyens de communication, aboutissant à l‘interconnexion de territoires autrefois séparés et à la possibilité d‘évoluer facilement dans ceux-ci ou de les joindre instantanément. La proximité créée par ces liens apporte des conséquences importantes, non pas dans l‘uniformisation de la société contrairement à ce que

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SIMONA DE IULIO, La publicité transnationale entre universalisme marchand et ancrage territorial, université

certains ont pu craindre, mais dans l‘émergence d‘une culture mondiale associée aux diverses cultures locales. Cette culture consiste en un certain nombre de représentations sociales partagées par toutes les sociétés concernées. Cette tendance est bien sûre fort relative au regard des traditions dans lesquelles un individu évolue mais elle n‘en reste pas moins significative. D‘autant plus que ce processus, contrairement aux discours fortement répandus à l‘époque actuelle, n‘est en rien une révolution contemporaine et se place dans une histoire déjà ancienne. Les travaux de Patrice Flichy77 nous proposent une histoire du développement des moyens techniques de communication qui remonte à la révolution française et Armand Mattelart 78nous encourage à aller encore plus loin, vers le seizième siècle, pour prendre en compte le mouvement humaniste et son principe de citoyenneté du monde ou encore la découverte du Nouveau Monde. Ces auteurs s‘attachent à des thèmes différents mais chacun de leurs livres sont des occasions de découvrir l‘histoire de la liaison entre les peuples. De cette liaison découlent deux idées sur lesquelles peuvent s‘appuyer les entreprises. Tout d‘abord, la possibilité d‘écouler leurs produits sur un grand nombre d‘aires géographiques constitue un avantage commercial évident. Cette possibilité demeure restreinte et hypothétique à cause des différences d‘appropriation selon les cultures mais il est aujourd‘hui avéré que certaines peuvent réussir ce passage au mondial : indépendamment des résistances ou des idées que se font les individus sur Mac Donald, nous devons constater qu‘il s‘agit d‘une entreprise prospère dans tous les pays où elle s‘est implantée, de même que les chaussures Nike rencontrent un succès non démenti ou que la télévision a envahi les foyers des pays concernés. Les variations d‘usage, dans ces cas, ne constituent pas des différences empêchant la rentabilité.

77 Flichy, Patrice, Une histoire de la communication moderne : espace public et vie privée, Paris, La découverte, 1997, 280p.

78Mattelart, Armand, Histoire de l’utopie planétaire. De la cité prophétique à la société globale, Paris,La découverte, 1999, 378p.

La deuxième idée découle à la fois de cette liaison entre les peuples et de la première. Si tout le mopeut être au courant de ce qu‘il se passe à l‘autre bout de la planète, se sensibiliser aux autres modes de vie, utiliser les mêmes objets dans la vie quotidienne, nous pouvons gager sur l‘émergence de représentations autour de cette universalité qui, en se répandant, constituent cette forme de culture internationale. Ces représentations se trouvent par ailleurs aidées par les discours actuels de grand nombre de littérateurs issus du monde politique ou des entreprises, parfois même des universités ou du champ intellectuel sur les bienfaits de l‘ouverture au monde, créant ou réactualisant toutes sortes de mythes autour de celle-ci. Dans le cas de la promotion d‘une marque, cette idée est d‘autant plus alléchante que les efforts effectués depuis longtemps pour arriver à une cohérence de sa personnalité ont permis de garder un noyau de sens commun à toutes les campagnes spécifiques. Nous pouvons avancer que c‘est sur ce noyau que les agences vont jouer pour tendre à l‘universalité.

Il est nécessaire cependant de nuancer ces propos. Ils ne constituent pas des vérités générales et ne doivent en aucun cas aboutir à l‘idée que désormais toute entreprise peut accéder à l‘international. Ces considérations ne font que mettre en exergue que certaines ont effectué cette mutation, elles ne doivent pas oublier que beaucoup d‘autres échouent et que la stratégie pouvant menée à l‘international est un vaste problème peuplé encore d‘inconnus.

3.1.2.2 . Les limites du tout globalisé : a) La spécificité des marchés locaux

La volonté d‘internationalisation des années quatre-vingt-dix s‘appuyait sur un fondement : le consommateur global. Celui-ci est désormais à classer parmi les mythes déchus du marketing. Il ne concerne pas l‘ensemble des marchés, mais se limite à certains d‘entre eux. Il est vrai que ceux-ci ont une forte visibilité sociale, comme c‘est le cas pour les jeunes ou les consommateurs de marques de

mode ou de luxe. En revanche, sur de nombreux marchés, la diversité culturelle est dominante.

La volonté globalisatrice s‘est heurtée de plein de fouet à la diversité des cultures locales. Le marketing et la publicité reposent sur la séduction, et celle-ci ne peut passer que par une réelle proximité avec les consommateurs. Nombre de marques emblématiques ont vu leur position s‘effriter du fait d‘un trop grand éloignement des préoccupations du consommateur local. Procter & Gamble, Coca-Cola, McDonald‘s et consorts ont traversé des périodes de doute pour s‘être laissé aveugler par un unique consommateur, supposé global. Nombre de produits sont avant tout culturels. La bière, le vin, les yaourts, les biscuits et la majeure partie du secteur alimentaire obéissent à des réflexes culturels locaux. Les voitures ou la lessive se situent au carrefour du global et du local. Les attentes semblent globales, mais on n‘achète pas ces produits pour les mêmes raisons. On ne les consomme pas au même moment, dans les mêmes conditions. Le nouveau design de la BMW Série 7 plaît aux Etats-Unis, mais déroute en Europe. Un parfum se vend souvent sur un imaginaire de séduction en France, sur le fait qu‘il sent bon aux Etats-Unis. Les imaginaires publicitaires restent ancrés dans une culture locale. L‘érotisme est débridé dans les pays du Nord et puritain au Sud.

Les registres publicitaires varient selon les cultures. L‘humour voyage mal. Les petits détails, jeux de mots, clins d‘œil qui créent les aspérités des campagnes, et donc de l‘impact, sont fortement enracinés dans les cultures locales. L‘identification se fait mal dans des campagnes trop éloignées des réalités quotidiennes des consommateurs. La publicité doit être ancrée pour être forte, mémorisable. On se reconnaît, on s‘identifie mieux dans ce qui nous est proche. Ainsi, l‘étude annuelle IPSOS présentant le palmarès des meilleurs scores publicitaires 2002 et 2003 le montre bien. Les campagnes préférées des Français sont des campagnes locales, ou au moins conçues par des agences françaises. En 2002, le meilleur résultat va à un film Yop à l‘esprit très gavroche. Il est suivi

par la Française des jeux, Brandt, Seb, le CIC ou Volvic. En 2003, c‘est le film Evian « we will rock you » qui triomphe.

On retrouve cette diversité au niveau des équipes locales des entreprises et des agences. Les hommes font la richesse des entreprises. Les organisations trop centralisées produisent de la frustration. Les groupes qui développent une stratégie internationale réalisent que le succès vient du terrain et de la connaissance des réalités culturelles locales. On ne peut se contenter d‘un siège autoritaire et de filiales locales exécutantes. Les décisions publicitaires se prennent de plus en plus souvent au niveau local.

b) La montée des résistances

Les éléments justifiant la globalisation des campagnes étaient nombreux. Mais l‘image de la globalisation qui s‘est diffusée dans nombre de pays occidentaux ou en développement, s‘est dégradée. Elle a été assimilée au capitalisme américain triomphant, partant à la conquête du monde, associée à la volonté d‘exporter le modèle et les valeurs de l‘Amérique sur le thème si contestable du « si c‘est bon pour nous, c‘est bon pour vous » !

Les dérapages se sont multipliés, entachant l‘image de ce modèle. Les sweatshops79 asiatiques de Nike ont suscité une levée de bouclier.de même, les affaires Enron ou Parmalat ont créé la suspicion sur le plan moral, marquant les limites du capitalisme financier.

Les altermondialistes ont investi sur le terrain du tout globalisé. Ils ont porté la critique sur le devant de la scène médiatique80. Pour eux, les marques sont apparues comme le symbole du capitalisme global dans tout ce qu‘il avait d‘outrancier. Naomi Klein a dénoncé les marques qui créent :

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On appelle sweatshops les usines, souvent en Asie du Sud Est, faisant travailler leurs équipes dans des conditions dégradantes pour la personne humaine (horaires ne respectant pas les réglementations internationales, travail d’enfants, mauvaises conditions de sécurité, etc.)

« Un état fasciste, où nous saluons tous le logo, et avons peu d’opportunité pour la critique car nos journaux, télévisions, stations de radio, serveurs, rues et magasins sont tous contrôlés par les intérêts des grandes multinationales ». Les critiques se sont organisées autour de deux thèmes majeurs : la quête du profit au détriment de l‘humain, et l‘homogénéisation culturelle. Les mots de justice, de respect de la dignité humaine, d‘économie à visage humain sont devenus des leitmotive. On a reproché aux marques d‘utiliser leur marketing pour séduire les consommateurs des pays occidentalisés sans se préoccuper de respecter la dignité des employés dans les pays en développement, ou de l‘impact de mauvaises conditions de travail sur leur santé. La polémique a « enflé » sur le sujet des marques de confiserie qui utilisent des stars pour séduire les enfants. On les accuse de favoriser le développement flagrant de l‘obésité dans cette population.

Symbolisant la « marchandisation » de notre culture, les marques ont en parallèle été attaquées sur l‘idée qu‘elles envahissent les espaces privés et deviennent la culture de référence. Plus un événement qui ne soit sponsorisé, plus une activité qui ne soit récupérée par les marques, affirment les altermondialistes. Ils dénoncent la standardisation des goûts, l‘homogénéisation des habitudes de consommateur, la réduction de la diversité. McDonald‘s et son fameux Big Mac ont été utilisés comme symbole de modèle américain au détriment des pratiques alimentaires locales.

Ces critiques n‘ont pas manqué d‘être entendues par les entreprises. Elles ont porté atteinte à ce que celles-ci ont de plus cher : l‘image de leurs marques qu‘elles ont mis des années à construire ne ménageant pas leurs efforts et leurs investissements. En même temps qu‘elles redécouvraient la force de la diversité culturelle, elles se heurtaient à une critique massive. Les politiques ont changé,

les tendances du management international témoignent d‘un plus grand pragmatisme81.