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Chapitre 3 Etudes mécanistiques de la réaction de Julia-Kocienski

I- Introduction : Le mécanisme de la réaction de Julia-Kocienski sur les aldéhydes et

I.3 L’élimination désulfinative

L’élimination désulfinative est une étape thermodynamiquement très favorable du fait de la libération d’une molécule de SO2, et peut donc être considérée comme fondamentalement irréversible. Le plus souvent, elle transforme de façon stéréospécifique l’information stéréochimique du sulfinate vers les alcènes. Néanmoins, l’élimination desulfinative peut être le facteur déterminant de la stéréosélectivité des alcènes obtenus dans deux cas de figure : si c’est l’étape limitante de la cinétique, mais comme discuté ci-dessus, ce cas n’a pas encore été démontré ; ou si l’étape est stéréosélective plutôt que stéréospécifique, dans quel cas la stéréosélectivité ne reflètera pas la proportion des sulfinates, même si le réarrangement de Smiles n’est pas réversible. Trois mécanismes ont été proposés dans la littérature. Le premier mécanisme, l’élimination antipériplanaire, est un mécanisme stéréospécifique largement invoqué.30 Le deuxième mécanisme est issu d’une étude mécanistique réalisée par Robiette et Pospisil, qui montrent qu’une élimination synpériplanaire est favorable pour les aldéhydes aromatiques contenant un groupement électrodonneur.68 Finalement, comme noté précédemment, S. Julia et coll. ont proposé un modèle mécanistique non-stéréospécifique, avec la formation d’une espèce chargée positivement, afin d’expliquer la sélectivité observée pour les aldéhydes aromatiques.30 D’une manière générale, cette étape favorise cinétiquement la formation d’un alcène E.

I.3.1 L’élimination E2 antipériplanaire

L’élimination E2 antipériplanaire a été observée chez tous les hétérocycles principaux dans la réaction de Julia-Kocienski entre les sulfones et aldéhydes aliphatiques. Cette élimination E2 des sulfinates SUL_transoid_syn et SUL_transoid_anti (Schéma 58) pour donner les alcènes E et Z peut être réalisée selon un mécanisme concerté asynchrone. En effet, Vidari et coll. en 2015 ont montré par les calculs DFT que la distance de la liaison C-S dans l’état de transition 252 est plus longue que celle de la liaison C-OPtz.72 Ce résultat implique une élimination E2 asynchrone, avec une tendance mécanistique anionique (Schéma 66). Il est toutefois raisonnable de postuler qu’une élimination E2 asynchrone, avec une tendance mécanistique cationique dans lequel la liaison C-O serait plus étendue que la liaison C-S, pourrait aussi exister (Schéma 67).

92 Ainsi, lorsque les β-hydroxysulfones aliphatiques ou leurs dérivés silylés sont soumis à des conditions proches de la réaction de Julia-Kocienski, l’information stéréochimique de ces composés est transférée vers les alcènes finaux, indépendamment de l’hétérocycle utilisé (Schéma 68).30,34

Schéma 66: Elimination concertée asynchrone avec un caractère anionique

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I.3.2 L’élimination cationique

Durant leurs études, S. Julia et coll. ont remarqué une stéréosélectivité E de certaines β-hydroxysulfones et de leurs dérivés silylés, indépendamment de leur stéréochimie (Schéma 69).30 Afin d’expliquer ce phénomène, plutôt qu’une élimination limitante de la cinétique, S. Julia et coll. ont proposé un mécanisme d’élimination cationique. Les espèces CAT_syn et

CAT_anti pourraient être formés par une fragmentation des espèces spiro TS_Smiles_syn et TS_Smiles_anti ou une élimination E1 des sufinates SUL_cisoid_syn et SUL_cisoid_anti (Schéma 58). Les espèces cationiques CAT_syn et CAT_anti peuvent s’interconvertir par simple rotation. Du fait des interactions 1,3-allyliques, l’état de transition proche de

CAT_anti est plus favorable que celui proche de CAT_syn. Cela mènera à une sélectivité E.

Néanmoins, encore aujourd’hui, aucune évidence de ce mécanisme n’est montrée. Le modèle de S. Julia et coll. reste toutefois un bon outil prédictif pour expliquer la stéréosélectivité E dans certains cas, notamment dans le cas des réactions impliquant les aldéhydes aromatiques.

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I.3.3 L’élimination synpériplanaire

Robiette et Pospisil, à travers une étude mécanistique par les calculs DFT et les résultats empiriques, ont proposé l’élimination synpériplanaire pour les aldéhydes aromatiques.68 Cette étude a pour d’objectif d’expliquer une forte sélectivité E observée par S. Julia et coll. dans le cas d’oléfinations avec des aldéhydes aromatiques.29,30 Cependant, ce mécanisme serait en concurrence avec l’élimination antipériplanaire. En effet, comme montré dans le Tableau 25, les β-Btz-oxy benzothiozylsulfone 260 de configuration syn entre OBtz et SO2Btz, via la formation des sulfinates, donnent des mélanges d’alcènes E:Z deuteriés avec des proportions différentes en faveur des isomères E. Il est important de noter l’absence de tout biais stérique par le deuterium dans ce cas, qui reflète donc seulement la préférence pour le mécanisme synperiplanaire vs. antiperiplanaire, et non la stéréosélectivité de l’olefination. L’élimination synpériplanaire est moins favorisée par un groupement électroattracteur –Cl que par un groupement neutre comme –H. En revanche, un groupement électrodonneur comme –OMe favorise plus l’élimination synpériplanaire que celle antipériplanaire.

95 Robiette et Pospisil ont expliqué pourquoi l’élimination synpériplanaire est plus favorisée par les aldéhydes aromatiques (Tableau 26). Dans le cas d’aldéhydes aromatiques, la différence entre TS_synpériplanaire et TS_antipériplanaire est plus importante en faveur du premier (3.2 kcal/mol pour R= Ph contre 0.4 kcal/mol pour R= H). Selon les auteurs, cette différence est dûe à l’interaction entre le système π des aromatiques et le carbone légèrement chargé positif (C1) de l’aldéhyde. Ce carbone est légèrement chargé plus positif dans le cas du TS_synpériplanaire. Les valeurs d’énergie de stabilisation E(2) sont de 58.4 et 52.8 kcal/mol pour TS_synpériplanaire et TS_antipériplanaire respectivement. Cela montre que la délocalisation électronique des états de transition (en l’occurrence du système π-C1) est favorisée par un C1 légèrement chargé plus positif. Cette conclusion peut aussi expliquer pourquoi la présence d’un groupement électroattracteur sur l’aldéhyde aromatique rend l’élimination synpériplanaire moins favorable. En effet, les groupements électroattracteurs ne stabilisent pas la charge positive du carbone de l’aldéhyde. Par conséquent, la différence énergétique entre TS_synpériplanaire et TS_antipériplanaire est moins importante pour un

Tableau 25: L'élimination synpériplanaire vs l'élimination antipériplanaire dans le cas des aldéhydes aromatiques

96 même diastéréoisomère de sulfinate. Ainsi, pour ce dernier la compétition de deux mécanismes d’élimination est plus importante.

Les analyses de distances C-S et C-O dans les états de transitions de

TS_Elim_transoid_anti et TS_Elim_cisoid_syn montrent une élimination concertée

asynchrone avec le départ initial du SO2 (Figure 9) En effet, la distance entre C-S est de 2.22 Å contre 1.87 Å dans le TS_Elim_transoid_anti. Des distances similaires ont aussi été trouvées dans le TS_Elim_cisoid_syn. Ce mécanisme d’élimination est proche avec celui montré par Vidari et coll.72

Tableau 26: Influence de la nature des aldéhydes sur la stéréosélectivité de l'élimination (ΔG# en kcal/mol)

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