• Aucun résultat trouvé

PARTIE I : AUX PROLEGOMENES DE L’IMAGERIE MACABRE

D- L’édition « ne varietur » de 1649

« Par amour pour ma patrie terrestre […] la ville de Bâle […] j’ai copié cette peinture de la danse des morts [à partir de] l’original. Il s’agit, en outre, d’une réflexion sur le moment de ma mort qui s’approche à chaque instant. […] Toutefois, [je n’ai pas réalisé] cette Danse des morts pour n’être utile qu’à moi-même : je l’ai fait pour [ceux] qui ne peuvent plus aller la regarder au cimetière [et] pour ceux qui ont besoin d’être avertis par ce spectacle173 »

In articulo mortis, Matthäus Merian rachète ses bois gravés et les révise174 : il

ajoute un ciel et des nuages pour décorer l’arrière-plan de chaque gravure. En effet, dans l’édition de 1649, Wie derselbe in der löblichen und weit berümbten Statt Basel als ein Spiegel. Menschlicher Beschaffenheit gantz künstlich […]. Nach dem original in kupffer gebrach und herausgegeben durch Mattheum Merian der Elteren, le graveur germano-suisse déclare que :

« [Il a] cédé ses planches à d’autres personnes [mais qu’il] les a rachetées et gravées de nouveau et fait réduire175 »

Figure XXXIX : A sénestre, gravure de « La Mort à l’abbé » dans la réimpression de 1621 ; à dextre, gravure de « La Mort à l’abbé176 » dans la réédition de 1649.

173 CHOVIN Antony, « Déclaration de Merian le graveur », Op. Cit., pp. VI-VII 174 Voir annexe 2, Op.Cit., pp. 179-220.

175 CHOVIN Jacques-Antony, Op. Cit., p. VI. 176 Voir annexe 2, Op. Cit., p. 192.

Contrairement à l’édition de 1625, Matthäus Merian conserve les vers en bas- allemand de l’époque médiévale et retire le texte en latin de Caspar Laudismann. Il ajoute, en outre, que cette réédition est le résultat d’une « mûre réflexion sur le moment de [sa] mort » et qu’il l’a faite publier pour « tous les hommes de bon sens qui ne veulent pas se perdre dans ce monde et moins encore dans la mort177 ». De surcroît, et à la différence des éditions précédentes, le patronyme de Matthäus Merian figure sur la page de titre :

Figure XL : A sénestre, page de titre de la réimpression de 1621 ; à dextre, page de titre de la réédition de 1649.

A l’approche de sa mort, Matthäus Merian, dont l’état de santé se détériore considérablement, se réfugie dans la religion. En effet, il considère le thème de la danse des morts comme un réceptacle à la meditatio mortis :

« C’est bien, du reste, le but qu’avait en vue l’auteur de cette danse, d’avertir les endurcis qui vivent dans une sécurité et une joie trop grande et toute charnelle, d’avoir plus de soucis du peu de temps qu’ils ont à vivre, et de ne pas faire un mauvais usage de ce monde. Qu’ils apprennent par ces tableaux à écorner les divertissements, de sorte qu’ils demeurent dans une vraie piété […]. Et quelle occasion serait plus propice de me donner une méditation complète de ma fin terrestre178 »

177 Ibid., pp. VI-VII 178 Ibid., pp. VII-VIII.

Par conséquent, et de manière à permettre à quidam de s’adonner à une piété individuelle, il consacre un feuillet à chaque figure de la procession macabre. En effet, les gravures sont imprimées au recto de chaque feuillet et le verso demeure vierge :

Figure XLI : Matthäus Merian, « La Mort à l’Empereur », 1649179

En définitive, c’est Matthäus Merian en personne qui imprime la réédition de la Der Totentanz von Basel en 1649. Il s’agit de la dernière édition ante-mortem de la danse macabre du Grand-Bâle. De plus, et outre l’adjonction d’une préface, Matthäus Merian enrichit son édition d’un article historique qui replace la Predigertotentanz dans son contexte de création. En effet, le graveur germano- suisse retrace la genèse historico-artistique de la fresque macabre médiévale de son avènement à ses métamorphoses dans son avant-propos dédié aux lecteurs chrétiens. Ainsi, dans son Vorrede an den christlichen leser180, il débute sa parénèse par une apologie de la danse macabre du Grand-Bâle avant de revenir sur son contexte de création et sur ses adaptations :

« Es ist aber solches ein alks Monument und rare antiquitet […] Welche darvor gehalten wirdt ben zeiten Känsers Sigismundi in dem grossen Concilio allda gestiffset worder von denen anwesenden vattern und praelaten zur gedächnur der gross sterbens oder pest, so allda Anno M C D XXXIX in noch wehrendem Concilio grassirt und sehr viel volks wefferissen hat darunter auch etliche vornehme herzën Cardinäl unnd praelaten waren […] Die figur der Papsts ist Felicis V welcher allda an obgemeldten Eugenii Statt vom Concilio erwöhlet wurde engentliches bildnur Der Känsers figur ist Sigismundi, Der Königs ist Albertii II181 »

179 MERIAN Matthäus, Wie derselbe in der löblichen und weit berümbten Statt Basel […], Francfort : Matthäus

Merian, 1649, p. 49. [En ligne]. [Consulté le 07 mai 2018]. Disponible sur : http://www.kb.dk/books/aesaml/2008/apr/00002/

180 Ibid., pp. 10-29. Il s’agit de l’intitulé de sa préface dédiée aux lecteurs chrétiens. 181 Ibid., pp. 10-11.

Au demeurant, le graveur germano-suisse considère la publication de sa danse macabre du Grand-Bâle comme le continuum de ses Topographia Helvetiae. En effet, Matthäus Merian s’inscrit dans une démarche singulière : conserver l’originalité de la Der Totentanz von Basel et mettre en garde le lecteur :

« Jahren dieses gemahlde der todtentanzes nach dem original abgezeichnet und hernach zu kupffer gebracht auch ob selche k upffer anderen vberlassen gehabt selbige platten wider an mich erhandelt auffs nerve vberstochen und in gegenwartige form verfertigen lassen : massen eben derwegen an statt einer vollingen beschreibun gedachter statt welche wie sie dieser zeit beschaffen sich in meiner topographia helvetiae182 »

Mais, après avoir présenté les particularités de la danse macabre du Grand -Bâle, Matthäus Merian met en garde le lecteur chrétien quant à son dev enir post- mortem :

« Wer wolte erschrecten darvor dass ihr under allen dingen dieser welt am allerme sten befordert zu kuhe und unaus sprechlichen geligteit zu tommen ? Ejus est mortem timere, qui ad christum nolit ire, sagtiener lehren recht das ist der magsich vor dem todt forchten der nicht zu ihr sto begehrt zu gehen183 »

Il conclut son propos par une phrase moralisatrice qui vise à inciter le lecteur à prendre en compte son laïus et à méditer sur la mort :

« Nach dem diese schröne gemahlde und gewaltige sprüche die du hie finden wirst dir und mir und jederman eber dasselbige viel mieblichen zu gemuth zichen tonnen184 »

In fine, l’ultime édition ante-mortem de la danse des morts du Grand-Bâle s’intronise comme un mémorandum. En effet, sa réflexion idiosyncrasique sur le Memento Mori survient à un moment crucial de son existence : il décède l’année suivante à Bad Schwalbach. Par conséquent, Matthäus Merian nous renseigne sur l’évolution des mentalités individuelles et collectives : le thème de la danse macabre s’éclipse de la sphère monumentale et collective pour s’introduire dans l’espace infinitésimal et individuel de l’architecture du livre. Enfin, si le thème de la danse des morts oscille entre le sacré et le profane à l’époque moderne, les propos du graveur germano-suisse nous indiquent que l’Église s’est emparée de cette thématique pour véhiculer sa doctrine. Et c’est pour cette raison qu’il s’adresse aux lecteurs chrétiens dans sa préface, qu’il insère une gravure représentant Adam et Eve, une traduction d’un texte de Daniel – Prophète de

182 Ibid., p. 13. 183 Ibid., p. 27. 184 Ibid., p. 29.

l’Ancien Testament – en-deçà du cortège macabre et un article sur la Meditatio Mortis185 qui traite de la résurrection des morts et de la fragilité de la vie humaine :

Figure XLII : A sénestre, Représentation d’Adam et Eve ; à dextre, Représentation du

Prédicateur s’adressant aux moribonds, 1649.

En définitive, si Matthäus Merian décède prématurément, une pléthore d’éditions posthumes de la danse des morts du Grand-Bâle voit le jour. En effet, l’édition de 1649 est rééditée à Francfort en 1696 : elle s’intitule Todten-Tanz wie derselbe in der löblichen und weitberühmten Stadt Basel als ein spiegel menschlicher beschaffenheit ganz künstlich gemahlet und zu sehen ist. Durch Matth. Merian sel. Erben. Francfurt, im jahr M DC XCVI. (Vorrede von M. Merian d. Eltern 1649186). Mais, de son vivant, la Der Todten-tanz von Basel ne connaît aucune traduction en latin, en anglais ou en français : il faut attendre la fin du XVIIe siècle pour qu’une traduction française soit publiée. En effet, La Dance des morts telle qu’on la voit depeinte dans la celebre ville de Basle qui represente la fragilité de la vie humaine, comme dans un miroir […] et traduite de l’allemand en francois par les soins des Héritiers de feu monsieurMatthieu Merian187 est éditée à Berlin en 1698. Elle est enrichie d’une dédicace aux magistrats du Canton de Bâle et d’un avis au lecteur. Néanmoins, au regard de l’édition ante-mortem de Matthäus Merian, la réédition française ne contient ni la préface, ni l’article sur le Memento Mori ni les gravures chrétiennes. C’est l’édition bilingue franco- allemande de Jacques-Antony Chovin qui s’insère dans la continuité des travaux du graveur germano-suisse.

185 GÖTTLICHER H., « Erinnerungen von der menschlichen sterblichkeit flüchtigkeit dieses gegenwärtigen

lebens und nichtigteit aller irz dischen dingen vom dergrabnur und aufferstehung der todten », in Wie derselbe […], Op.

Cit., pp. 133-176.

186 MASSMANN Hans Ferdinand, Op. Cit., p. 77. 187 Ibid., p. 77.

III- L

ES EDITIONS ET LES REEDITIONS DE LA DER TODTEN

-

TANZ VON BASEL A L

EPOQUE MODERNE ET CONTEMPORAINE

(XVIIIE-XIXE)