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PARTIE I : AUX PROLEGOMENES DE L’IMAGERIE MACABRE

D- L’édition chromolithographiée de Félix Schneider

« La chromolithographie va au-delà de l’assemblage des couleurs. Elle [permet] aux spectateurs d’élaborer des discours pour faire corps avec le réel, [de renouer avec l’aspect pictural du thème traditionnel de la danse des morts], et de prendre une distance intellectuelle vis-à-vis de l’image et du texte207 »

Contrairement à la version de Christian-Friedrich von Beck, les gravures présentes dans l’édition de Félix Schneider ont été réalisées à partir des travaux de Jacques-Antony Chovin. En effet, les anomalies ostéologiques et anthropomorphologiques de l’édition de 1744 ont été reproduites dans l’édition de 1875 :

Figure LV : A sénestre, « La Mort à l’Ermite » selon Matthäus Merian (1649) ; au centre, « La Mort à l’Ermite » selon Jacques-Antony Chovin (1744) ; à dextre, « La Mort à l’Ermite » selon Féli Schneider (1875)

En outre, et contrairement à ses prédécesseurs, Félix Schneider ne se fonde ni sur la version unilingue de Matthäus Merian, ni sur la version bilingue de Jacques - Antony Chovin, ni sur la sur la version trilingue de Christian-Friedrich von Beck. En effet, son édition de la danse des morts de Bâle est éditée à pa rtir de la version d’Otto Stuckert : il s’agit d’une version trilingue de la Der Todten-tanz von Basel. Par conséquent, Félix Schneider reproduit les modifications effectuées par son confrère en 1858 : il remanie l’ordre des vers de la Mort en plaçant les versets en français avant les quatrains en anglais208.

207 « Introduction », Romantisme, 2012/3 (n°157), p. 3 -7. URL : https://www.cairn.info/revue-romantisme-2012-

3-page-3.htm

208 SCHNEIDER Félix, La Danse des morts : gravée d’après les tableaux de la fresque qui se trouvaient sur le

mur du cimetière de l’Église St. Jean à Bâle, Bâle : Félix Schneider, 1875, p. 10. [En ligne]. [Consulté le 13 mai 2018].

Figure LVI : A sénestre, « La Mort au Pape », selon Christian-Friedrich von Beck (1852) ; au centre, « La Mort au Pape » selon Otto Stuckert (1858) ; à dextre, « La Mort au Pape », selon Félix Schneider (1875).

Néanmoins, et à l’instar de Christian-Friedrich von Beck, Félix Schneider incorpore trois pages de titre unilingues : une page de titre en français, une page de titre en anglais, une page de titre en allemand209.

Figure LVII : Félix Schneider, La danse des morts de Bâle, 1875

De surcroît, et dans la continuité des travaux de Johann Rudolph Feyerabend (1779-1814), Félix Schneider colorise ses lithographies. En effet, lors de la destruction de la danse macabre du Grand-Bâle, le peintre suisse, Johann Feyerabend, réalise une aquarelle représentant le trope carnavalesque de la

Predigertotentanz. Par conséquent, et au regard de l’édition chromolithographiée de 1875, Félix Schneider s’inspire considérablement des teintes employées par Feyerabend pour colorer les vêtements de ses personnages :

Figure LVIII : Johann Rudolph Feyerabend, Aquarellkopie des Basler Totentanzes, 1806

Ainsi, et contrairement à ses prédécesseurs, Félix Schneider utilise une technique d’impression moderne : la chromolithographie210. En effet, dans son

édition, les figures macabres sont colorées comme à l’époque médiévale. Mais, dans la version disséminée par Schneider les coloris choisis proviennent de l’aquarelle de Feyerabend. En effet, dans son édition, la Duchesse porte un bliaud pers parsemé de manches bouffantes céladones211. Alors que dans la fresque médiévale, la robe de la Duchesse est églantine :

Figure LIX : A sénestre, La Duchesse, selon la fresque originale de la danse macabre de Bâle (1440) ; à dextre, « La Mort à la Duchesse » selon Félix Schneider (1875)

210 Voir glossaire, p. 232.

En outre, si Félix Schneider ne se fonde pas sur la version de la danse des morts disséminée par Matthäus Merian, les bois qui ont servi de modèle pour ses gravures macabres proviennent de l’atelier de son épigone, Jacques-Antony Chovin212. Toutefois, aucun fragment de la fresque médiévale n’est représenté dans

cette édition chromolithographiée. En effet, l’éditeur se fonde sur les aquarelles réalisées par Johann Rudolf Feyerabend lors de la démolition de la peinture macabre. C’est le cas de la chromolithographie de la Noble Dame :

Figure LX : A sénestre, « Fragment de la Noble Dame », in Der Totentanz von Basel (1440) ; au centre, « La Mort à la Noble Dame » in Aquarellkopie des Basler Totentanzes (1806) ; à dextre, « La Mort à la

Noble Dame » selon Félix Schneider (1875)

Sommes toutes, si Félix Schneider ne se fonde pas sur les éditions de Matthäus Merian, il consacre une saynète individuelle à chaque figure. En effet, au verso de chaque feuillet, l’éditeur germano-suisse incorpore les versets en français et en anglais. Les versets originaux en allemand sont imprimés de part et d’autre de la figure chromolithographiée au recto213.

212 DODEDANS, Otto Stuckert/Félix Schneider. [En ligne]. [Consulté le 13 mai 2018]. Disponible sur :

http://www.dodedans.com/Ebasel-felix.htm

En définitive, si Félix Schneider réédite la version publiée par Otto Stuckert en 1858, il dissémine insidieusement les gravures réalisées par Matthäus Merian. En effet, et contrairement à Samuel Girardet, il conserve les costumes des personnages in vivo : l’erratum de l’édition de 1621 est présent dans l’édition de 1875. La figure du Peintre précède la figure de la Femme du Peintre214 :

Figure LXI : A sénestre, « La Mort au Peintre » ; à dextre, « La Mort à la Femme du Peintre »

En outre, si Félix Schneider ne réimprime pas la préface en allemand de Matthäus Merian, il intègre un double portrait dans son édition chromolithographiée de 1875. Ce double portrait est présent dès 1649 dans l’édition ante-mortem du graveur germano-suisse215 :

Figure LXII : A sénestre, Double portrait présent dans l’édition de 1649 ; à dextre, Double portrait présent dans l’édition chromolithographiée de 1875.

214 SCHNEIDER Félix, Op. Cit., pp. 85-87. 215 SCHNEIDER Félix, Op. Cit., p. 91.

En définitive, si Félix Schneider ne se fonde ni sur la version unilingue de Matthäus Merian, ni sur la version bilingue de Jacques-Antony Chovin, ni sur la version trilingue de Christian-Friedrich von Beck, il véhicule une copie fiable de la fresque médiévale. En effet, dans son édition chromolithographiée de 1875, il incorpore des bois gravés à partir de l’édition franco-allemande de Jacques-Antony Chovin. Par conséquent, s’il ne se réfère pas aux éditions bâloises du XVIIe siècle, les gravures présentes dans son édition sont des reproductions des plaques de cuivre de Matthäus Merian. En somme, si l’édition Félix Schneider n’est pas fidèle à la version originale, elle nous informe sur l’évolution des mentalités individuelles et collectives. En effet, l’évolution des savoirs médicaux engendre une réminiscence et une métamorphose du thème macabre en Europe. L’anonymat du « corps mort » laisse place à la personnalisation du cadavre, la psychose collective se transforme en vésanie individuelle, et l’apparition des « morts- vivants » témoigne de l’épouvante du vulgum pecus face à la médicalisation de l’anatomie humaine. In fine, si le thème de la danse macabre oscille en continuités et ruptures à partir de la seconde moitié du XVIIIe, c’est au XIXe siècle que le caractère égalitaire de la mort disparaît. En effet, si la danse macabre de Matthäus Merian rencontre un franc succès jusqu’en 1830, c’est le thème de l’irruption de la mort dans le quotidien qui se popularise aux prolégomènes du XIXe siècle216.

216 Dans les simulacres et historiees faces de la mort, Hans Holbein métamorphose le thème de la danse des

PARTIE II : LES METAMORPHOSES DU SQUELETTE