• Aucun résultat trouvé

L’écologie politique, un moyen de lutter contre une « identité périphérique »

Des sociétés avec un haut niveau de confiance

4. Un activisme environnemental nordique

4.3. L’écologie politique, un moyen de lutter contre une « identité périphérique »

Si les nations nordiques ne sont pas irréprochables en matière d’environnement et présentent des paradoxes, elles font cependant preuve d’une volonté et d’un engagement importants en la matière, les plaçant objectivement en position de précurseurs (OCDE 2007 ; OCDE 2011 ; OCDE 2014a ; OCDE 2014b). Ces pays semblent se complaire dans cette image qu’ils renvoient au monde, mieux, ils la cultivent, à l’instar de leur modèle social, il y a quelques décennies. Ceci est à mettre en perspective avec un trait culturel des Nordiques : « l’identité périphérique » (Simoulin, 2000, p. 4). « On ne peut faire l’économie, si l’on veut comprendre les perceptions nordiques de l’Union européenne, d’une analyse des représentations que ces pays ont d’eux-mêmes. Le premier élément qu’il nous faut souligner est le sentiment qu’ils ont de constituer une périphérie » (ibid.). Ainsi, selon Vincent Simoulin « le sentiment de constituer une périphérie » est si fort qu’il devient un des éléments identitaires des Nordiques. Il est vrai que la littérature francophone géographique, relative à la Scandinavie, pourtant peu foisonnante, fait une place de choix à cette notion de périphérie ou de périphéricité (ibid. ; Gløersen, 2012 ; Girault, 2016).

En géographie, le concept de périphérie dispose de deux acceptions. La première est d’ordre géométrique et désigne la position topographique d’un espace par rapport à un centre géographique (Taglioni, 2007). Selon cette acception, l’Europe nordique présente bien une position périphérique, puisque qu’il s’agisse du barycentre politique (Bruxelles et Strasbourg), économique22 ou géographique23 de l’Europe, les pays scandinaves et nordiques occupent toujours une position excentrée. En géographie, la notion de périphérie revêt, par ailleurs, une autre signification dépassant la géométrie euclidienne. Associée au centre, la périphérie constitue un modèle géographique dit « centre/périphérie » qui permet d’expliquer « une relation hiérarchique entre deux espaces, fondée sur le rôle des interactions dissymétriques » (Lévy in Lévy et Lussault, 2003a, p. 141). La hiérarchie introduit alors un rapport de déséquilibre ou de domination, entre des espaces situés dans un même système spatial. Autrement dit, à l’éloignement physique de la Scandinavie par rapport à la mégalopole européenne, s’ajouterait un rapport dominant/dominé défavorable à l’Europe du Nord (Carte 4.1).

Cela fait écho aux écrits de la scandinaviste Frédérique Toudoire-Surlapierre pour qui : « Les pays nordiques souffrent d’un véritable complexe face aux autres, face surtout à leurs confrères européens » (Toudoire-Surlapierre, 2005, p. 51). Le faible poids démographique et économique de l’Europe du Nord ainsi que son faible rayonnement culturel et linguistique ‒ notamment par rapport aux voisins les plus proches : Royaume-Uni, Allemagne et Russie ‒ s’ajoutent à un héritage protestant (humilité et la loi de Jante) qui est de nature à amplifier un rapport de force centre-périphérie, défavorable à la Scandinavie et à la Finlande au sein du continent. Ce rapport

22 Pour lequel les environs de Maastricht font référence (Taglioni, 2007).

93 à l’Europe continentale, perçu par les Nordiques comme déséquilibré, entretient ce que Vincent Simoulin nomme « le sentiment de constituer une périphérie » (Simoulin, op. cit.).

Carte 4.1 : L’identité périphérique de l’Europe fennoscandienne

À l’aune de ce constat, l’activisme environnemental de ces pays, aux niveaux local, national et international, peut donc être analysé comme l’expression d’une certaine volonté, sous-jacente,

94

de gagner en visibilité sur la scène internationale, d’asseoir un rayonnement et une influence en Europe et dans le monde, autrement dit à dépasser une position géographique périphérique et à s’affranchir d’un rapport hiérarchique défavorable. Cette thèse rejoint celle de Camille Girault qui analyse l’affirmation de l’exemplarité environnementale des villes nordiques comme une stratégie de métropolisation, destinée à « participer à la direction du monde » (Girault, 2016, p. 10) où l’objectif n’est pas de « chercher à le gouverner et le commander, mais bien de proposer de l’orienter et de guider son développement » (ibid.).

Synthèse

L’investissement nordique dans l’écologie politique, qui se matérialise par une forte implication dans les instances internationales et par une déclinaison domestique rapide et ambitieuse, peut être analysé comme un moyen, pour des nations excentrées des grands pôles de commandement mondiaux, de participer à la marche du monde, en proposant un modèle de substitution au modèle social, qui assurait jusqu’à présent la renommée de ces pays et qui marque, aujourd’hui, des signes de faiblesse.

Conclusion

L’Europe fennoscandienne a mobilisé ses prédispositions socioculturelles pour participer à la définition du développement durable, au niveau international, mais aussi pour en devenir un terrain d’application privilégié, principalement sur le volet environnemental. Le rapport particulier des Nordiques à la nature, leur sens du compromis et leur aisance à l’expérimentation sont, à bon escient, mis au service du développement durable. L’appropriation précoce, rapide et profonde de ce concept, par ces nations, leur apporte une reconnaissance sur la scène internationale. Aujourd’hui, la Scandinavie et la Finlande usent intelligemment de cette reconnaissance pour renforcer leur position sur la scène internationale et participer directement à leur rayonnement et à leur influence dans le monde. Cette reconnaissance atténue leur position périphérique et renforce leur rang dans l’organisation politique mondiale en les plaçant au centre des attentions, en tant qu’exemples, modèles ou encore pionniers.

Face aux signes de faiblesse de l’État-providence nordique, renvoyant au modèle social suèdois, on peut comprendre que ces nations investissent d’autant plus le champ de l’environnement, pour créer un nouveau modèle, venant pallier les faiblesses du précédent. En effet, en formant une « structure logique permettant de rendre compte d’un ensemble de processus ayant entre eux certaines relations » (Moriconi-Ébrad in Lévy et Lussault, 2003, p. 627), les ressorts de cet investissement dans l’écologie politique semblent former un modèle, que nous qualifions de modèle nordique de développement durable (Figure 4.2), et pour lequel la mobilité constitue un des registres d’action.

95 À l’image de ses voisins, la Norvège présente donc une relation particulière au développement durable et présente, avec eux, de nombreux traits communs. En revanche, l’organisation territoriale du pays, laisse apparaître des éléments de différenciation. Le chapitre suivant est consacré à la stratification administrative norvégienne, permettant de définir les contours de la gouvernance en matière de mobilité urbaine.

97

Chapitre 5

Planification de la mobilité en Norvège,