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Chapitre 1 - Introduction bibliographique

II. Les alkylphospholipides (APLs) contre le cancer

III.3. Les obstacles au transfert non-viral de gènes

III.3.1. À l’échelle du corps entier

La première étape de toute stratégie thérapeutique est l’administration de l’actif. Celle-ci peut être réalisée selon deux voies majeures, à savoir l’administration systémique et l’administration locale, aussi appelée pré-systémique.

La circulation sanguine constitue un excellent moyen pour un principe thérapeutique nanoparticulaire d’atteindre les diverses zones tumorales du corps à traiter. Par ailleurs, le ciblage des tumeurs hématologiques et des métastases impose une administration systémique de l’actif,

même si des stratégies ex vivo sont envisageables dans le premier cas (prélèvement sanguin, puis transfection des cellules sanguines et enfin réinjection de celles-ci au patient). Néanmoins, l’administration i.v. rencontre un certain nombre de difficultés, la première étant que de nombreux mécanismes de défense peuvent conduire à la neutralisation des particules et à leur élimination du flux sanguin, mécanismes qui font intervenir des enzymes de dégradation ou des interactions avec les protéines du sang.

L’administration locale, quant à elle, regroupe l’ensemble des voies de délivrance spécifiques, comme l’administration orale, topique, intranasale ou pulmonaire, oculaire, intracérébrale ou encore l’administration intratumorale. Les voies locales présentent divers avantages comme une plus importante biodisponibilité du traitement par rapport à sa cible tumorale, une toxicité réduite vis-à-vis des organes sains qui peuvent être atteints lors d’une administration systémique, ou encore un contrôle plus précis de la dose administrée limitant les phénomènes de toxicité. Les actifs administrés localement sont tout de même soumis à des interactions avec les protéines environnantes. Par ailleurs, ils peuvent être amenés à terme à rejoindre la circulation sanguine et, de fait, rencontrer les obstacles qui lui sont associés.

III.3.1.1 Les diverses voies d’administration et les obstacles associés

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De manière générale, les acides nucléiques nus sont sujets à des dégradations enzymatiques par des nucléases du milieu, quelle que soit la voie d’administration choisie. Le matériel génétique directement accessible à la surface des complexes vecteur/acide nucléique est également impactée par ces agressions enzymatiques.252 Introduire des modifications chimiques sur ces acides nucléiques peut, dans certains cas, améliorer la stabilité et la biodisponibilité de ceux-ci mais un design pertinent du vecteur constitue une stratégie généralement plus simple à mettre en œuvre de protection de l’acide nucléique vectorisé.

La voie orale est une voie majeure d’administration d’agents thérapeutiques, dont certains APLs.63,66 Elle contraint toutefois les actifs à franchir de multiples obstacles, comme la barrière épithéliale du tube digestif constituée de membranes lipophiles peu perméables. Les vecteurs et leur transgène sont exposés à la forte acidité gastro-intestinale qui peut entraîner leur dégradation, à de multiples nucléases et autres protéines, comme les glycoprotéines P (p-gp) qui sont responsables des efflux de médicaments, réduisant ainsi l’effet thérapeutique. Il est possible de contourner ces barrières par le design de particules robustes ou pouvant tirer profit d’un stimuli acide, ou encore par l’utilisation d’inhibiteurs de p-gp.

L’application topique d’un agent thérapeutique comme la miltéfosine permet le traitement efficace de maladies infectieuses ou parasitaires cutanées et de cancers de la peau, mais aussi d’atteindre des cibles plus profondes, en diffusant à travers les différentes couches dermales et en passant dans la circulation sanguine.61

L’administration intranasale permet le ciblage des voies respiratoires mais aussi du système immunitaire car le nez est une zone très exposée aux agressions extérieures et contient de nombreuses cellules immunitaires. Les actifs thérapeutiques peuvent être déposés sous forme de gouttes ou d’aérosols à la surface de l’épithélium nasal qu’ils doivent traverser, celui-ci étant composé de cils et recouvert de mucus.253 Ce mucus, un biopolymère complexe, constitue un maillage efficace qui rend délicat l’adhérence et le transport par diffusion des composés.

L’administration pulmonaire, elle, peut être réalisée par le biais d’aérosols qui font intervenir le principe de nébulisation ou atomisation des particules sous forme de spray.254 Toutefois, cela suppose que les particules soient stables dans les conditions d’aérosolisation qui imposent généralement d’importantes contraintes de cisaillement.

Comme nous l’avons mentionné plus haut, la voie intraveineuse est une voie importante pour la délivrance de principes actifs. Cependant, les dégradations enzymatiques dans le milieu sanguin et des impératifs en terme de taille des particules constituent des obstacles dont il faut tenir compte.247

En effet, la taille des particules est un paramètre crucial qui conditionne en partie la durée de vie et de circulation de celles-ci. Des objets dont la taille est inférieure à 5 nm sont ainsi soumis à une très rapide clairance plasmatique et sont éliminés par les reins, comme le prouve la quantité d’acide nucléique nu détecté dans les urines seulement quelques minutes après l’injection intraveineuse de celui-ci.255 Par ailleurs, les particules plus grosses subissent une accumulation non spécifique au niveau de différents organes en fonction des jonctions cellulaires plus ou moins serrées de la paroi de l’endothélium vasculaire, barrière entre les vaisseaux sanguins et la matrice extracellulaire de ces organes. Ainsi, le foie et la rate présentent des discontinuités endothéliales allant de 50 à 500 nm qui donnent lieu à une séquestration des nanoparticules circulant dans le sang par simple effet de filtration mécanique. Il en va de même pour les particules qui avoisinent le micromètre et plus, pouvant provenir de l’agrégation de particules plus petites et qui se retrouvent piégées dans les capillaires pulmonaires (Figure 25).256

Figure 25. La dégradation des particules thérapeutiques au sein de la circulation sanguine (valable aussi dans les

I.1.1. L’opsonisation et la phagocytose dans le sang et les tissus

Comme indiqué ci-dessus, les actifs thérapeutiques introduits dans la circulation sanguine ou les tissus rencontrent des barrières mécaniques et sont soumis à des dégradations enzymatiques. Ils peuvent également interagir avec diverses protéines du sérum, les opsonines, qui vont les recouvrir et initier leur élimination (Figure 25). Cette étape dite d’opsonisation permet d’activer le processus d’élimination des particules exogènes, comme les bactéries ou les nanoparticules thérapeutiques, processus qui est contrôlé par le système réticulo-endothélial (RES), également désigné sous le nom de système réticulo-histocytaire (RHS) ou système phagocytaire mononucléaire (MPS).257Après leur marquage par les opsonines, les particules vont être reconnues par les phagocytes et internalisées dans ces cellules (phagocytose) pour y être digérées et éliminées de la circulation sanguine (Figure 26).258

Figure 26. L’opsonisation, via divers constituants du sérum, permet la reconnaissance des particules par les divers

phagocytes présents dans le sang et les tissus, et entraîne ainsi leur élimination par le MPS.259

Il est possible de contourner le MPS en administrant des "pré-doses" qui permettent la reconnaissance d’une certaine quantité de matériel et préservant l’intégrité de la dose suivante.260 Il est également envisageable de masquer les particules par fonctionnalisation avec des polymères d’exclusion stérique, comme les PEG,261 ou avec des peptides furtifs tels que CD47.262 Néanmoins, des anticorps spécifiques peuvent être produits à la suite de la première injection (IgM PEG-spécifiques) et provoquer l’élimination des particules porteuses de ces motifs lors de l’administration de doses ultérieures.263