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L’ÉBAUCHE D’UN NOUVEAU TERRITOIRE

33 Les éléments suggérés auparavant, nous semblent être les variables principales des modifications du territoire qui pointent sous l’accumulation des signes manifestes de centralité et d’inégalité dans le territoire.

34 Tous ces éléments peuvent difficilement être quantifiés, et il serait exagéré de prétendre en démontrer l’influence par la présence d’un changement profond dans les relations géographiques. Toutefois, il faut aussi essayer de démontrer l’hypothèse que ces changements sont bien réels et que, d’autre part, la vitesse des transformations est susceptible de s’accélérer dans les prochaines années.

35 C’est pourquoi nous pensons que le Mexique en l’an 2000 pourrait bien présenter des surprises si nous ne prenons en compte que l’inertie du passé et si nous négligeons le dynamisme et la capacité de modification des économies et même de l’espace à moyen terme.

36 Dans les pages qui suivent, nous essaierons d’ébaucher les modifications du territoire qui nous paraissent essentielles et infléchissent les tendances du passé. L’extension de la frontière est un des éléments de changement les plus sensibles depuis quelques années. La frontière a été, durant de longues années, la “ligne” qui a marqué la différence entre México y el otro lado. Les différences économiques, culturelles et en général de modèle de développement, se sont manifestées de façon sensible pendant plusieurs décennies ; il faudrait maintenant s’interrroger sur la transformation de la “frontière ligne” en “frontière zone”.

37 La “frontière zone” s’est construite progressivement à cause de la perméabilité des deux composantes territoriales nationales, mais aussi du fait des intérêts mutuels à développer un modèle régional plus intégré. Toutefois, les nationalismes et les protectionnismes de part et d’autre, n’ont pas permis l’approfondissement de cette intégration. A l’heure actuelle, les conditions semblent favorables à

une intégration plus complète qui est même souvent souhaitée par les groupes de pouvoir de part et d’autre de la frontière (voir le cas Tijuana/San Diego).

38 Les mesures prises à l’échelle nationale en vue de l’ouverture croissante des économies des deux pays et malgré les réticences protectionnistes, permettent aussi de renforcer l’intégration progressive de l’espace autour de la frontière. Dans le territoire, cette tendance est très nette du fait que la frontière n’est plus une ligne, mais une aire transfrontalière de contact entre deux systèmes économiques et politiques, qui tendent progressivement à une intégration inégale et silencieuse, même si le côté mexicain s’en défend à corps et à cris.

39 D’une part, la frontière a été pendant très longtemps une zone très réduite en extension et avec peu de contact avec l’intérieur du pays.

Actuellement, la zone de contact s’étend de plus en plus et arrive à intégrer des villes moyennes (Chihuahua, Saltillo...) dans des schémas de production spatialement divisée. On devra donc étudier plus en détail le phénomène de progression de la frontière vers le Sud, qui correspond à l’extension de l’aire d’intégration.

40 D’autre part, les phénomènes de production propres à la frontière, s’étendent aussi à d’autre villes : la marche de la sous-traitance vers l’intérieur est très claire dans des villes comme Guadalajara et Toluca par exemple, mais aussi un changement que nous considérons comme essentiel dans l’idéologie du territoire au Mexique. Après avoir tourné le dos à la mer pendant des décennies si ce n’est des siècles, le Mexique reconnaît enfin que le littoral est une frontière. Serait-ce l’influence de la pensée insulaire japonaise ? Quoi qu’il en soit, il faut étudier avec attention, l’émergence de nouvelles zones de production comme l’installation de maquiladoras sur la côte du Nayarit ou du Yucatán.

41 L’appauvrissement du Sud est sans aucun doute le contre-pied de l’enrichissement progressif du Nord. Le Sud, ensemble d’États très

hétérogènes, présente toutefois des caractéristiques communes depuis plusieurs décennies : la pauvreté et le caractère marginal de sa localisation par rapport aux grands mouvements de l’économie et de la société mexicaine.

42 Au vu des changements récents, que peut-il arriver aux États du Sud ? Tout paraît indiquer que l’appauvrissement est inéluctable.

Un appauvrissement que nous pouvons qualifier d’absolu et de relatif. Absolu car le Sud perd des emplois, et voit décliner sa production traditionnelle. Relatif, car la distance sociale, économique et même géographique avec le reste du pays ne fait que s’agrandir : alors que la modernisation des voies de chemins de fer, les lignes aériennes et les grands routes se multiplient dans le Centre et le Nord, le Sud recule de plus en plus. Pouvons-nous affirmer de façon provocatrice que le Sud se “centraméricanise” ?

43 Il ne fait pourtant aucun doute que certains points du territoire seront “touchés par la grâce” de la croissance et de la modernisation ou le sont déjà. Il s’agit de quelques points dans le territoire du Sud, qui offrent des caractéristiques très adéquates pour certains processus internationaux. Nous avons déjà signalé les maquiladoras du Yucatán. Il faut aussi mentionner les centres touristiques comme Cancún ou Cozumel ou les sites d’exploitation, de transformation ou d’embarquement pétrolier comme Coatzacoalcos, Campeche et Salina Cruz. Quant au reste du territoire, sera t-il condamné à la désintégration au cours des prochaines décennies, maintenu comme réserve de ressources naturelles et de main d’œuvre bon marché ?

44 Au milieu des deux processus, le sud qui décline et le Nord qui s’étend quel est le rôle de l’espace central ? Une définition du Centre est la seule affirmation valable que l’on puisse établir à l’heure actuelle. En effet la région centrale, où se situent les anciens espaces de pouvoir, passe par des changements profonds.

45 Des pertes d’emploi sont très sensibles surtout dans la ville de Mexico (pertes dans l’aire métropolitaine mais sans doute gain dans les États des alentours). S’agirait-il de la reconstitution de l’espace central en une grande région métropolitaine ou d’une perte nette d’emploi ? L’étude doit en être faite.

46 D’autre part, on ne voit pas encore clairement si la modernisation s’impose dans le système productif central comme dans le Nord. Il est bien certain que des innovations technologiques ont déjà pu être détectées dans les entreprises de l’aire métropolitaine, ou que des changements technologiques sont présents dans la ville (informatique, téléphones cellulaires...), mais il n’est pas évident que l’impact relatif soit aussi important que dans le Nord, du fait de l’inertie de la structure productive mais aussi sociale du Centre. A ce sujet, il n’est pas négligeable de prendre en compte que, lors des élections présidentielles de 1988, le Centre a voté davantage pour le maintien du système d’économie mixte (Cárdenas) que pour le changement (Salinas).

47 Finalement, la réticulation du territoire et la formation de complexes territoriaux d’innovation est, à notre avis, une des caractéristiques les plus marquantes de ce nouveau territoire qui se précise de plus en plus.

48 Les années soixante-dix ont été marquées par l’apparition de pôles de croissance promus par l’État. Las Truchas, Coatzacoalcos-Minatitlán, Cancún entre autres, se sont constitués comme des centres de production de biens et services, dans le cadre d’une politique de développement régional, mais aussi de la recherche de solutions à des nécessités bien définies. Ces pôles, essentiellement soutenus par l’initiative publique, sont en train de devenir des pôles d’intégration à l’économie mondiale. La privatisation des entreprises parapubliques dans l’acier, le pétrole et le tourisme, permet une plus ample ouverture de ces pôles à l’économie mondiale, au lieu de les voir obligés de dépendre du marché

national. Il faut bien sûr faire des distinctions entre les cas, mais la tendance est uniforme.

49 D’autre part, de nouveaux pôles d’intégration à l’économie mondiale commencent à apparaître, soit des centres touristiques nouveaux ou complémentaires (Acapulco, Mazatlán, Manzanillo...), soit des grands centres de production automobile, soit des sites miniers réhabilités par le capital privé, ente autres.

50 Il y a, sans aucun doute, une différence essentielle entre ces divers centres de croissance et ceux des années soixante-dix, même si certains se trouvent en chevauchement des localisations antérieures : leur dynamique est imposée par l’économie mondiale, par le jeu des grands pays (le Japon et les États Unis surtout), et leur intégration régionale est limitée ou n’est même pas envisagée.

51 Comme hypothèse de travail, nous pouvons considérer l’apparition d’un espace réticulaire : les relations s’établissent prioritairement entre les complexes territoriaux d’innovation et d’intégration à l’intérieur du pays, et entre ceux-ci et le reste de l’économie mondiale. Les relations de ces complexes avec l’espace environnant est minime, et se réduisent aux nécessités impératives, dont celle d’une force de travail disponible.

52 Bien que le terme “dualisme” ait mauvaise presse dans les études du développement latino-américain, il n’en est pas moins vrai que la

“distance” s’amplifie entre les centres d’intégration à l’économie mondiale (y compris les villes de la frontière), et les zones ou régions qui ont une intervention minime dans ces processus. Ce serait donc à une sorte de dualisme rénové que l’on assiste, ou peut-être à une bipolarisation de l’espace national.

LES SCÉNARIOS POUR LE TROISIEME