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Justification et critique de nos résultats 127

4   éme Section : Discussion, perspectives et conclusions

4.1   Détermination d’une méthode de désagrégation optimale des tissus tumoraux

4.1.2   Justification et critique de nos résultats 127

4.1.2.1 Choix du matériel et des méthodes.

Étant donnée la grande variété de cellules immunitaires retrouvée dans l’infiltrat tumoral, la caractérisation par CF a été un choix judicieux. Cette méthode robuste permet d’identifier plus d’une dizaine de marqueurs à la fois sur une même cellule. Cette technique utilise des anticorps monoclonaux couplés à des fluorochromes donnant ainsi de l’information sur les paramètres physiques des cellules comme leur taille, leur granulosité et leur phénotype. Elle permet aussi d’évaluer à la fois la présence et le niveau d’expression (intensité de fluorescence moyenne : MFI) d’un marqueur. Cette technique est utilisée de routine dans les laboratoires cliniques afin de déterminer les formules leucocytaires et en laboratoire de recherche pour caractériser des populations (expression de marqueurs extra ou intracellulaires, sécrétion de cytokines...), valider des marqueurs ou évaluer la prolifération cellulaire.

Cependant, dans le cas de la caractérisation de cellules infiltrant un tissu, cette méthode présente des inconvénients. Comparativement aux méthodes d’immunohistochimie ou d’immunofluorescence qui sont réalisées par des marquages sur des coupes de tissus fixés, le nombre d’analyses réalisables sur une même tumeur par CF est limité au nombre de cellules disponibles. Ces cellules ne peuvant être conservées plus de quelques jours et doivent être fixées. De plus, cette méthode n’informe pas sur la localisation des cellules dans l’architecture tumorale et nécessite que les tissus soient désagrégés en une suspension cellulaire. Il est toujours préférable de caractériser des cellules non traitées afin de conserver au mieux leurs propriétés d’origine. Dans le cas de l’étude des TIIC, la désagrégation du tissu est inévitable et telle qu’elle soit, elle peut provoquer des changements de la biologie des cellules, d’où l’intérêt de notre étude dans laquelle nous avons identifié une méthode de désagrégation qui modifie le moins la biologie des cellules à analyser.

Dû à la disponibilité du matériel biologique, nous n’avons pu comparer que trois méthodes de désagrégation de tissus de tumeurs de rein, de sein et de poumon. Afin de contrer l’hétérogénéité de l’infiltration immunitaire dans les tumeurs, celles-ci ont été coupées en morceaux de 2 mm2, mélangées puis séparées en trois parties de poids égaux.

Le choix de la MedimachineTM comme méthode de désagrégation mécanique a été fait, car ce dispositif était disponible dans notre laboratoire et a été précédemment utilisé dans l’étude des TIIC [262, 263]. Étant donnée la diversité des protocoles de digestion décrits dans la littérature, nous avons choisi deux protocoles de digestions utilisant de la collagénase de type I seule ou en combinaison à la collagénase de type IV et de la DNase I type II. Nous justifions le choix de ces enzymes par le fait que la matrice extracellulaire des tumeurs est essentiellement composée de collagène; le collagène de type I étant le plus communément distribué dans les tissus et le collagène de type IV étant l’un des principaux constituants des membranes basales. De plus, la combinaison collagénase de type IV et de la DNase I est la plus souvent retrouvée dans la littérature pour dissocier les tumeurs. Les résultats obtenus dans notre étude montrent que le cocktail enzymatique induit une forte perte de marqueurs et diminue plus fortement la capacité des cellules à proliférer que l’utilisation de la collagénase de type I seule. Malheureusement, nous ne pouvons pas affirmer si cette différence est due à la collagénase de type IV ou à la présence de DNase I, il aurait fallu évaluer l’effet de ces enzymes séparément.

4.1.2.2 Limitations techniques rencontrées.

Il n’a pas été possible d’évaluer l’effet réel des méthodes de désagrégation sur les TIIC tout simplement, parce qu’il était impossible d’obtenir des cellules immunes sans la désagrégation du tissu. Afin de trouver un comparable cellulaire, nous avons traité des PBMC de donneurs sains de la même façon que des tissus tumoraux. L’utilisation des PBMC a même permis d’évaluer l’impact des méthodes de désagrégation à différents temps (Figure 10).

Comme il a été mentionné précédemment, la quantité de matériel biologique disponible fut limitante dans cette étude. Nous avons choisi des tumeurs de taille suffisamment importante afin d’évaluer les trois types de traitements et finalement recueillir suffisamment de cellules pour réaliser des analyses significatives.

4.1.2.3 Choix des paramètres évalués lors de notre étude.

L’analyse des sous-populations de cellules immunitaires par CF requiert l’utilisation de méthodes de désagrégation permettant d’obtenir un bon rendement en cellules viables, représentatives des populations cellulaires présentes dans la tumeur.

Le premier paramètre que nous avons évalué a été l’induction de la mortalité dans les échantillons. Plusieurs études ont montré qu’une désagrégation mécanique de tissus tumoraux permettait d’obtenir un plus faible rendement cellulaire induisant une plus grande mortalité des cellules [264, 265]. De plus, une étude publiée en 2000 par Novelli et al., utilisant également la MédimachineTM pour la désagrégation de lymphomes cutanés a montré que cette technique induisait plus de mortalité des cellules immunes infiltrantes qu’une digestion enzymatique précédant la MédimachineTM [263]. Nous nous serions donc attendus à ce que la

viabilité des cellules soit plus fortement affectée lors d’un traitement mécanique des tissus, suite au stress physique subi par les cellules. Finalement, même si la mortalité reste élevée (entre 20 % et 30 %), elle est comparable à la mortalité qui peut être induite par des méthodes de digestion enzymatique. Ces différences de résultats peuvent s’expliquer par la différence de composition des tissus désagrégés et du programme de dissociation utilisé.

De plus, dans notre protocole nous avons isolé les cellules immunitaires de la suspension cellulaire par une centrifugation avec le Lymphocyte separation medium (Wisent bioproducts). Nous pensons qu’une partie des cellules mortes a pu être éliminée lors de cette étape.

Nous avons aussi observé que le rendement cellulaire obtenu après des digestions enzymatiques était, pour certains tissus, environ deux à trois fois plus élevé qu’avec la méthode mécanique.

Le deuxième paramètre que nous avons choisi d’évaluer est l’impact des méthodes de désagrégation sur les marqueurs de surface. La signature phénotypique et fonctionnelle d’une cellule peut être définie par les protéines retrouvées dans le compartiment extra ou

Par exemple, les lymphocytes Treg sont, entre autres, caractérisés par l’expression constitutive de la chaîne alpha du récepteur de l'IL-2 (CD25), mais seules les cellules T CD4+ montrant une expression élevée de ce marqueur (CD25high) sont considérées comme immunosuppressives [106]. Ceci montre l’intérêt de travailler avec un matériel biologique dont l’intégrité est conservée afin que les caractérisations ne soient pas biaisées.

Le fait que les traitements enzymatiques affectent la détection des marqueurs de surface n’est pas un concept nouveau [266]. Il y a déjà 50 ans, Russell et ses collaborateurs étudiaient l’impact de différentes enzymes (la trypsine, la pronase, la collagénase, la papaïne et la chymotrypsine) sur des cellules immunes [267].

Ces effets peuvent être expliqués d’une part par le fait que les enzymes reconnaissent et coupent des séquences en acides aminés qui peuvent être présentes dans les marqueurs protéiques. D’autre part, lors d’une désagrégation tissulaire avec des enzymes, les cellules vont changer d’environnement pendant plusieurs minutes voire même pendant des heures. Les digestions enzymatiques sont souvent réalisées à 37°C, une température physiologique pour l’activité enzymatique, mais c’est aussi la température à laquelle la « machinerie » cellulaire fonctionne. Ce temps de digestion constitue alors un temps durant lequel la cellule va réagir au stress de son nouvel environnement et potentiellement changer son phénotype. Ainsi, plus le temps de digestion sera long et plus la cellule aura le temps de subir des modifications. L’avantage des méthodes mécaniques est que la désagrégation peut être réalisée sur glace. À cette température, la cellule arrête ou ralentit tous processus biologiques permettant de réaliser des observations plus proches de la réalité microenvironnementale des tissus d’origine.

Le dernier paramètre que nous avons évalué est la prolifération cellulaire. Même si ce paramètre n’a pas un lien direct avec la caractérisation des cellules immunes extraites d’un tissu tumoral par CF, il permet d’en évaluer l’aspect fonctionnel. Dans notre cas, nous avons évalué l’effet des trois méthodes de désagrégation sur la capacité de prolifération des lymphocytes T suite à une activation par un AC anti-CD3. Précédemment, une étude avait comparé les effets de méthodes de désagrégation sur la capacité des cellules tumorales à se diviser. Cette étude montre que les cellules obtenues à partir de tumeurs solides par des procédés de dissociation enzymatique forment plus facilement des clones [265].

Dans notre cas, étant donné le manque de littérature sur l’effet des digestions enzymatiques sur la biologie des cellules, nous ne pouvons que poser des hypothèses qui mériteraient d’être approfondies.

Malgré le fait que nous avons montré que les digestions enzymatiques n’affectent pas la détection du marqueur CD3 (Figure 10-11), nous pouvons supposer qu’elles pourraient altérer ou endommager la conformation du récepteur de surface empêchant ainsi la liaison avec l’anticorps anti-CD3 (OKT3) utilisé pour activer les cellules impliquées dans la prolifération des lymphocytes [268].

Les protéines induites par le stress de la préparation des cellules telles que les heat shock proteins (HSP) pourraient aussi être impliquées dans la diminution de prolifération observée.