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Partie 4 : Discussion générale

2. La justice : des enjeux à discerner

En reprenant nos études une à une, nous pouvons retrouver le sens des questionnements que nous avons eus selon quatre temps différents.

1) Rendre compte d’un état de fait. Quel était précisément le sentiment de justice des militaires lorsque l’on évoquait leur évaluation professionnelle. La méthodologie employée nous a permis de contextualiser au mieux l’étude 1 pour avoir accès au ressenti des militaires de façon plus particulière.

2) Une fois que nous avons pu discriminer la part des principales préoccupations de justice des militaires : justice distributive, justice procédurale (précision et absence de biais) et justice informationnelle, il a fallu étudier en quoi cela pouvait avoir une résonnance dans les principaux aspects du travail, vis-à-vis de l’organisation et par rapport au chef. C’était l’objet de l’étude 2.

3) Le changement d’outil de notation alors même que c’était le support principal de nos recherches nous a permis dans un troisième temps d’évaluer une nouvelle problématique avec les études 1 bis et 2 bis : l’évolution des liens entre le sentiment de justice et les attitudes et comportement que nous avions déjà évalués.

4) Enfin, à partir des résultats obtenus, clarifier et synthétiser les conclusions que l’on pouvait en tirer, pour élargir à de nouveaux champs de recherche.

Si à présent nous revenions au moment de l’analyse des résultats après avoir recueilli les différents matériels de toutes nos études, un même sentiment nous viendrait à l’esprit : la justice distributive est la dimension qui prédomine sur les autres. En effet, à la fin de l’étude 1, à la simple étape de recueil des données sur format informatique, la tendance se dégageait nettement. Les résultats statistiques sont venus confirmer cet état de fait. Nous voyons rarement ce type d’observation dans la littérature où la justice distributive « écrase » les autres

formes de justice pour s’imposer comme l’enjeu majeur de l’évaluation professionnelle à ce point. Les raisons exactes de cette disproportion sont en partie connues : importance des conséquences des notations sur le parcours de carrière, culture interne de l’Armée de l’air plutôt mécanique… Cependant, il ne s’agit là que d’observations empiriques qui seraient à approfondir à travers de nouvelles hypothèses. Les résultats de notre seconde série d’études (études 2 et 2 bis) montrent également que la justice distributive est impliquée dans plusieurs comportements et attitudes, y compris sur certains qui ne sont pas reconnus généralement comme corrélés en premier lieu, comme les variables relatives au chef ou au commandement par exemple (Van Knippenberg et al., 2007). Les études 2 et 2 bis confirment bien que les résultats que l’on trouve dans la littérature sur les conséquences de la justice sont toujours à contextualiser. En effet, nos résultats ont fait apparaître certaines corrélations, parfois fortes, inattendues, et à d’autres moments, des résultats ne se sont pas avérés significatifs, notamment sur l’effet d’un changement organisationnel. Nous retenons pour leçon des résultats contre-intuitifs ou en demi-teinte quant à leur validité, qu’un certain nombre de variables, notamment celles relatives au travail, ne sont pas nécessairement liées de façon systématique à l’évaluation professionnelle. D’autres paramètres ou d’autres situations dans lesquelles la justice s’exprimerait viendrait peut-être davantage influencer ces variables. Dans notre cas, les considérations de justice semblent globalement plus être centrées sur le chef que sur le travail ou l’organisation. En effet, Colquitt et al. (2013) reviennent dans leur méta- analyse sur la notion de cible privilégiée dans les études sur la justice. La justice orientée plutôt vers le chef donne lieu à une relation plus forte avec certains types de comportements, en particulier ceux qui ont un lien avec le leadership. Et ce lien est moins fortement établi lorsque des problématiques organisationnelles interviennent. A ce moment, la justice serait alors plutôt orientée vers l’organisation. C’est exactement ce que nous observons avec les

Il subsiste encore un élément de nos études que nous avons évoqué sans l’avoir investi. C’est l’ensemble des données recueillies lors de nos entretiens exploratoires qui font référence à ce que nous avons appelé les « modérateurs ». Lorsque nous avions interrogé les chefs sur le sentiment de justice lors des notations, ceux-ci avaient beaucoup plus tendance à faire remarquer les idées reçues, les fausses rumeurs ou encore la mauvaise foi éventuelle de certains subordonnés lors des entretiens de notation. Autant de paramètres qui permettent de relativiser l’importance de l’injustice perçue lors d’une prise de décision, en particulier quand celle-ci est défavorable à la personne notée. La littérature sur la justice se focalise davantage sur le sentiment de justice de ceux à qui s’appliquent les décisions. La vision hiérarchique expliquée non seulement au moment où les décisions sont prises, mais également en réponse au sentiment de justice après que les décisions aient été prises est une problématique que nous ne trouvons pas dans la littérature. La théorie sur les heuristiques de justice (Van den Bos, Wilke et Lind, 1998) trouverait ici un intérêt pour exploiter cette question. Autrement dit, il existe un débat entre le point de vue du chef et celui du subordonné pour savoir dans quelle mesure un sentiment d’injustice serait justifié ou partagé.

Pour synthétiser tous nos résultats, nous pouvons dire que le chef dans l’Armée de l’air, et par extension dans une organisation de type mécanique, est le principal vecteur du sentiment de justice des subordonnés lors des évaluations. De plus ce sentiment de justice est essentiellement orienté vers la justice distributive au vu des enjeux qu’elle implique sur le long terme. En situation de changement, la focalisation sur le chef diminue, de même que l’importance accordée à la justice distributive. Celle-ci reste prépondérante, mais l’intérêt accordé à la justice procédurale est renforcé. La justice informationnelle, en revanche, joue un rôle qui n’est pas inexistant, mais qui reste secondaire. Il est probable que lorsque les militaires ne peuvent pas influer sur le changement, et que la justice distributive est conservée, ils délaissent la justice informationnelle au profit de celle-ci. Le sentiment de

justice lors des notations annuelle est corrélé en partie à certaines variables qui concernent le travail ou l’organisation, mais ça n’est là qu’un aspect du comportement organisationnel. Manifestement, l’évaluation est un évènement qui focalise les individus essentiellement sur la personne du chef et de sa façon de commander, et ils font la part des choses, certainement au travers d’autres paramètres quant aux variables que nous avons mesurées. Notons que la littérature a déjà accentué le poids important de la justice distributive lorsqu’il est question de variables liées à la rémunération. C’est pourquoi la satisfaction de la rétribution dans notre cas précis est fortement corrélée à la justice perçue. Enfin, nous avons pu confirmer que le sentiment de justice global perçu par les militaires est lié directement à chaque dimension de justice du modèle à quatre facteurs (Colquitt, 2001). Cependant, vu l’importance du leadership dans ce cadre, il faudrait éclairer davantage le rôle des variables relatives au chef dans une nouvelle étude pour compléter l’ensemble de ces observations.