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- Présidence de M. Christian Cambon, président - La réunion est ouverte à 9 heures 30.

Audition du général André Lanata, Commandant suprême allié Transformation auprès de l’OTAN (SACT)

M. Christian Cambon, président. – Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui le général André Lanata, commandant suprême allié Transformation auprès de l’OTAN (SACT), que nous vous avons déjà rencontré à de nombreuses reprises lorsqu’il était chef d’état-major de l’armée de l’air, sans que du reste, à l’époque, l’espace ne soit encore inclus dans ses compétences.

Votre audition, mon général, a lieu deux jours après le sommet des chefs d’État de l’OTAN, nous sommes donc au cœur de l’actualité.

Vous nous direz justement, mon Général, comment vous analysez cette actualité qui se caractérise par le retour des politiques de puissance, voire l’affrontement, plus ou moins feutré, plus ou moins hybride de ces puissances. Comment l’Alliance doit-elle se positionner face à ces actions hybrides des politiques de puissance, au rang desquelles la Chine semble compter depuis la pandémie ?

L’analyse adoptée par l’Union européenne est pragmatique, nuancée et lucide.

Elle voit la Chine comme un partenaire sur des sujets d’intérêt commun, tels que la préservation de la biodiversité, la lutte contre le dérèglement climatique, mais c’est aussi un concurrent économique et un rival systémique. Tout cela fait-il sens pour l’Alliance ? Cette ambivalence des points de vue vis-à-vis de la Chine pose évidemment problème.

L’Asie n’est pas la vocation géographique naturelle de l’Organisation de l’Atlantique nord. Pour autant, on ne peut se désintéresser des effets de la puissance chinoise en Europe. Du reste, notre commission travaille sur ce sujet, qui va faire l’objet d’un prochain rapport. En tant que SACT, comment analysez-vous l’émergence de la Chine dans l’Arctique, en Méditerranée, en Afrique, mais aussi en Europe ?

Cette politique chinoise s’appuie notamment sur un partenariat savamment médiatisé avec la Russie. Comment la politique française visant à renouer un dialogue lucide exigeant avec notre voisin russe est-elle comprise ? Je tente de prendre personnellement toute ma part à cet effort. J’étais encore récemment à Saint-Pétersbourg. Je préside par ailleurs la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et sur ce point, comme lorsqu’on aborde la problématique de la Turquie, nous nous sentons parfois isolés. La discussion avec la Russie s’avère pourtant indispensable dans bien des dossiers, à commencer par l’Afghanistan, d’où les États-Unis vont se retirer.

J’en viens plus directement à l’OTAN : on ne parle plus de mort cérébrale, mais le malade est-il pour autant guéri ? Le caractère nucléaire de notre alliance tiendra-t-il face à

l’engouement des opinions et des gouvernements pour le traité sur l’interdiction des armes nucléaires ? Le renouveau du concept stratégique va-t-il laisser toute sa place à la coopération entre l’Union européenne et l’OTAN ? Vous nous direz également comment est perçue la boussole stratégique européenne, autre thème sur lequel le Sénat est en train de travailler.

Vous pourrez également nous donner votre sentiment sur le changement qu’apporte la nouvelle administration européenne, ainsi que les éléments de continuité qui pourraient se dessiner.

Enfin, je rappelle que depuis le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, en 2009, le poste de SACT est dévolu à un général français. C’est une marque de confiance qui a été rendue possible par le haut niveau atteint par nos armées. Elle symbolise le poids de la France au sein de l’OTAN. Comment analysez-vous l’influence française au sein de l’Alliance ? Peut-elle être renforcé et, le cas échéant, par quels moyens ? Pourra-t-on convaincre nos alliés que l’autonomie stratégique européenne, en renforçant les capacités militaires de l’Union européenne, renforce aussi l’OTAN ?

Général André Lanata, commandant suprême allié Transformation auprès de l’OTAN (SACT). – Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je me réjouis d’être parmi vous ce matin, et je suis particulièrement honoré de pouvoir présenter devant vous l’Alliance atlantique et l’état-major que j’ai l’honneur de commander pour encore quelques mois, le commandement suprême allié Transformation (ACT), établi à Norfolk en Virginie.

J’ai fait le choix d’un propos liminaire centré sur la mission d’ACT, le développement capacitaire et les enjeux pour l’OTAN et la France vous permettant de me poser des questions que j’imagine nombreuses, deux jours après le sommet de l’OTAN où les 30 chefs d’État et de gouvernement alliés viennent de réaffirmer la solidité du lien transatlantique et, tout en prenant acte de l’évolution rapide de notre environnement stratégique, de lancer la rédaction d’un nouveau concept stratégique pour l’Alliance, ce qui constitue un acte politique fort.

Cette audition n’aurait pas pu se tenir à un moment plus opportun. Je pense également qu’une telle interaction pourrait être plus systématique et régulière pour votre bonne information.

Hubert Védrine soulignait il y a bientôt dix ans la valeur incommensurable du forum offert par l’OTAN. Confrontée à des défis nouveaux, notre Alliance est essentielle pour la France, pour l’Europe et pour les États-Unis d’Amérique.

Permettez-moi de revenir rapidement sur la vocation de l’Alliance atlantique et ses évolutions depuis sa création et, avant de vous présenter quelques caractéristiques du contexte stratégique, d’évoquer l’importance de mon commandement pour la France compte tenu de ses missions, avant de terminer sur quelques enjeux clés, au moment où l’Alliance amorce selon moi un nouveau tournant de son histoire.

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord est une alliance à vocation militaire et régionale, regroupant aujourd’hui 30 nations d’Europe et d’Amérique du Nord, depuis que la République de Macédoine du Nord nous a récemment rejoints, autour de l’objectif commun que sont la protection et la défense de leurs territoires et de leurs populations, mais aussi la promotion de la stabilité et du bien-être dans la zone euro-atlantique.

L’objectif de défense et de la dissuasion collective contre toute agression potentielle est au cœur du traité de l’Atlantique Nord de 1949.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui coûta la vie à près de 70 millions de personnes et laissa une Europe dévastée et exsangue, et au début de la guerre froide, l’objectif principal était évidemment la préservation de la paix et de la stabilité dans l’espace euro-atlantique. Plus de 70 ans plus tard, les principes et le contenu du traité de l’Atlantique Nord demeurent aussi actuels que lors de sa signature.

Pour autant, cela ne signifie pas que l’Alliance n’a pas évolué depuis 1949. Au contraire : l’OTAN, comme toutes les organisations qui durent, s’est adaptée au rythme des transformations de son environnement, consacrant les ressources et la détermination nécessaires au maintien de son rôle prééminent de plateforme transatlantique de défense de notre espace commun.

Nous pouvons distinguer quatre grandes phases dans son histoire :

- de 1949 à 1991, celle de la défense collective couvrant la période de la guerre froide, avec un effort centré sur la défense et la dissuasion, et la prééminence de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord, affirmant qu’une attaque armée contre un ou plusieurs alliés sera considérée comme une attaque contre tous. Il s’agit là de l’expression ultime de la solidarité entre les alliés, qui demeure aujourd’hui ;

- entre 1991 et 2001, celle de la coopération de sécurité, après l’effondrement du bloc soviétique, caractérisée par l’élargissement de l’OTAN vers l’Est, mais aussi le développement des partenariats à l’échelle mondiale, y compris avec la Russie ;

- entre 2001 et 2014, celle de la gestion de crise consécutive aux attentats du 11 septembre qui en sont le déclencheur. Vous en connaissez la suite. C’est à cette occasion que l’article 5 a été invoqué pour la première et unique fois par les États-Unis. Cette période est caractérisée pour l’OTAN par un effort sur les missions expéditionnaires et la lutte antiterroriste, en particulier « au Sud », entre guillemets, et notamment en Afghanistan. Nos forces sont continuellement engagées depuis lors dans ces missions ;

- depuis 2014, celle d’une approche dite à 360 degrés. C’est la phase actuelle, qui a débuté avec la crise ukrainienne en Crimée et dans le Donbass, qui marque le retour des menaces de la puissance, et par conséquent d’un effort de défense collective, sans pour autant que l’Alliance ne se désengage des opérations de stabilisation sur son flanc sud ni de ses efforts en termes de partenariats.

Je vois potentiellement aujourd’hui un nouveau tournant, souligné par la décision des États-Unis de se retirer d’Afghanistan avec l’Alliance, une nouvelle phase, peut-être d’après-coronavirus, avec une Chine plus au centre de nos préoccupations de sécurité, mais également une Russie toujours aussi incertaine et l’extension de la conflictualité à de nombreux nouveaux domaines.

Cette brève perspective historique démontre bien les différents efforts de l’Alliance en réaction aux évolutions du contexte stratégique et l’évolution de ses missions s’organisant aujourd’hui autour de la défense et de la dissuasion collective, de la coopération en matière de sécurité et de la gestion de crise.

Ceci m’amène à vous exposer rapidement quelques axes de l’environnement stratégique actuel de l’OTAN sur lesquels nous travaillons et, qui ont été discutés au plus haut niveau avant-hier, lors du sommet auquel j’ai participé.

Le monde dans lequel nous vivons me paraît plus dangereux. Il est dominé par le retour des menaces de la puissance, d’un côté, et par les risques de la faiblesse, d’un autre. Un certain nombre de dérèglements conduisent par ailleurs à un retour aux égoïsmes nationaux.

Sans entrer dans le détail, car il faudrait une séance pour disserter sur les évolutions de cet environnement, permettez-moi d’avancer quelques considérations…

À défaut d’être mondiales, les crises multiformes se nourrissent des dérèglements de la mondialisation des flux humains, financiers et technologiques.

L’érosion du droit international par une contestation croissante de cet ordre hérité de la Deuxième Guerre mondiale alimente une forme d’appel au désordre et donc à l’incertitude stratégique. Il est le produit d’une contestation orchestrée par des États, qui cherchent à promouvoir leur modèle comme une alternative et trouvent des soutiens chez ceux qui estiment ne plus y trouver leur compte ou qui cherchent à répondre aux interrogations des peuples, eux-mêmes inquiets face à des dérèglements bien réels : climat, croissance, finance mondiale, numérique, santé.

La guerre directe entre grandes nations, telle que nos sociétés l’ont connue au XXe siècle, constitue un spectre encore effrayant, la compétition, les rapports de force, voire la conflictualité s’étendant à de nouveaux domaines, je dirais même à tous les domaines des échanges entre les sociétés : l’information, le spatial, le cyber, le commerce en sont le témoignage.

La montée des extrémismes dans de nombreux champs prospère sur le terreau de la misère, du délitement des États ou, au sein même de nos sociétés face à l’exploitation des peurs, facilitées par la propagande que permettent les réseaux sociaux.

La variété, l’interrelation voire l’imbrication des menaces, parfois présentes simultanément, interagissent sous l’impulsion d’acteurs étatiques et non-étatiques poursuivant des objectifs d’opportunité – par exemple non loin de nous, les Balkans occidentaux, confrontés à la fois à l’influence russe et depuis peu chinoise, à la montée de l’islamisme radical, aux trafics, aux migrations de masse et au crime organisé.

Je pourrais développer encore. La frontière entre paix et crise est floue : si la différence entre paix et conflit est claire, les crises se situent dans une sorte de « zone grise ».

Ceci a pour corollaire la continuité entre crise extérieure et sécurité intérieure, qui est aujourd’hui la norme.

Aussi sommes-nous en définitive davantage dans une compétition dynamique durable, je dirais même systémique, que dans une paix durable. Nos forces n’ont jamais été autant engagées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

À cela, s’ajoute une forme de « war fatigue » occidentale : l’érosion de nos capacités militaires, sous l’effet de crises plus longues, plus dures et plus exigeantes, après des années de réductions de notre effort de défense, a abîmé notre épaisseur opérationnelle. Face au retournement du contexte sécuritaire, j’observe un sursaut salutaire, assez récent finalement et qu’il faut évidemment poursuivre. Réparer prendra toutefois du temps.

Je pourrais enfin ajouter que la démocratisation de l’accès à la technologie me semble un facteur extrêmement important et qui tend à accroître le danger potentiel que constitue chaque menace. On peut le regretter, mais la défense n’a plus le monopole du high-tech, sujet probablement lourd de conséquences pour nos organisations.

Pour être très franc, tout ceci ne m’incite pas à l’optimisme mais, dans ce monde-là, je voudrais être clair et me limiter à une seule conviction pour revenir à notre sujet : l’Alliance atlantique offre un forum unique pour répondre à des enjeux qu’aucun État, pas même les États-Unis, ne peut appréhender de façon isolée.

Tout ceci pour vous dire également que, face à un contexte aussi perturbé et incertain, l’Alliance atlantique est probablement à un nouveau tournant de son histoire, illustré par son retrait d’Afghanistan, opération lancée après les attentats du 11 septembre.

Permettez-moi donc de vous livrer quelques convictions sur ces sujets fondamentaux, celles que j’avais pu proposer au groupe d’experts réuni par le Secrétaire général dans le cadre du processus de réflexion sur l’OTAN lancé après le sommet de Londres, quelques mois après les propos du président de la République, qui avaient clairement contribué à cette prise de conscience.

Premièrement, le retour à la stratégie : l’adaptation de l’outil militaire allié depuis 2014 atteint probablement aujourd’hui une limite au regard de l’évolution de notre environnement stratégique. Il est donc nécessaire, à mon sens, de changer d’échelle en reprenant l’initiative stratégique. Nos forces sont engagées sans relâche depuis plusieurs décennies pour gérer l’instabilité croissante à la périphérie de l’Alliance. L’usure de ces engagements ajoute ses effets aux années de réduction de nos efforts de défense.

C’est la raison pour laquelle, tout d’abord, il est impératif de recapitaliser notre outil militaire, que j’appelle « reconstruire notre épaisseur opérationnelle ». J’ai déjà eu l’occasion de dire devant votre commission qu’il s’agissait à la fois de « préparer l’avenir » de nos capacités de défense, mais aussi de « réparer le présent ». De ce point de vue, les 2 % de PIB consacrés à la défense ne doivent pas être vus comme un objectif imposé par les États-Unis, mais comme allant dans le sens de notre intérêt et de celui des Européens.

Dans le même temps, la Russie comme la Chine tentent d’établir un rapport de force basé sur une analyse de nos forces et de nos vulnérabilités, ainsi que sur l’exploitation de leurs atouts. Face à cette évolution, l’effort d’adaptation des forces armées de l’Alliance est relativement récent. Après d’autres menaces comme le terrorisme, ces compétiteurs stratégiques nous obligent à étendre nos lignes d’efforts des scénarios hybrides au développement de systèmes d’armes du haut spectre jusqu’à la dissuasion nucléaire, dans une compétition stratégique plus classique.

L’OTAN ne peut répondre en opposant simplement un nouveau système d’armes, un nouveau système de protection à chaque développement adverse, à supposer que ces réponses soient techniquement ou budgétairement accessibles. Ma conviction est que nous aurions tort de nous installer dans une logique de suivi symétrique en réponse à ces défis. Par exemple, la fin du traité FNI soulève une question d’une autre ampleur que la simple réponse à l’introduction d’un nouveau système d’armes russe, aussi sophistiqué que soit le SSC-8 ! On ne peut répondre à cette question en commençant par l’adaptation de l’outil militaire. Aussi, je pense qu’il est nécessaire de changer d’échelle, de passer à une logique proactive plutôt que réactive, et de trouver la voie d’équilibres et de dialogue stratégique que l’OTAN a bien

connu pendant la guerre froide, sans bien sûr imaginer un retour à cet ancien modèle. C’est pourquoi l’OTAN est probablement aujourd’hui « à un carrefour stratégique ».

Il s’agit de repenser les conditions de la stabilité stratégique dans l’espace euro-atlantique en articulant la dissuasion, le contrôle des armements et le dialogue stratégique et dissuasif, afin de mieux décliner l’évolution de notre outil militaire et, en particulier, de nos forces conventionnelles avec, ici, une véritable implication européenne.

Deuxièmement, les réponses aux crises actuelles nécessitent une approche plus large. L’outil militaire ne peut pas régler à lui seul les crises auxquelles nous faisons face, plus aujourd’hui encore qu’hier en raison de leur changement de nature, que j’ai précédemment décrit. Ainsi, une approche globale combinant tous nos instruments de puissance s’impose, car la nature des crises a changé : terrorisme, migrations, guerre de l’information, scénarios hybrides, cyber, spatial, ou récente crise sanitaire.

C’est la raison pour laquelle nous tâchons de développer un vaste écosystème de partenariats, mais aussi notre capacité à connecter les moyens et les expertises qui existent dans nos nations. Plus largement, un effort renouvelé est nécessaire pour intensifier les relations de l’Alliance avec les autres organisations internationales, et en particulier avec l’Union européenne. Ces deux organisations sont complémentaires et doivent chercher à se renforcer mutuellement en organisant leurs champs d’action et en capitalisant sur les atouts de chacune d’elles.

Troisièmement, pour faire face aux défis actuels, notre organisation doit, par-dessus tout, faire preuve d’agilité. L’adaptation de nos organisations et de nos processus est, je crois, encore trop lente et pas assez agile pour répondre à un environnement en évolution extrêmement rapide. Nous constatons une accélération qui est au-delà de toute mesure, mais nous continuons d’y appliquer des processus et des organisations assez conventionnels.

Plusieurs nouveaux défis se sont par exemple confirmés depuis que la nouvelle organisation de la structure de commandement de l’OTAN a été décidée au sommet de Bruxelles, en 2018, comme les technologies émergentes et de rupture, l’espace comme nouveau domaine opérationnel, la question des missiles russes, la Chine, la 5G, les conséquences de l’abandon du traité FNI, la résilience, la lutte contre les pandémies, pour n’en citer que quelques-uns. Ce sont là autant d’éléments qui justifient à mon sens l’élaboration d’un nouveau concept stratégique, qui vient d’ailleurs d’être décidé lors du sommet d’avant-hier.

ACT, mon commandement, est relativement bien placé pour observer les besoins d’adaptation que ces nouveaux défis exigent.

En matière de technologies émergentes, de rupture et l’innovation, par exemple, dans lesquelles mon commandement investit beaucoup, la question est liée à l’utilisation de celles-ci et à notre rapidité d’adaptation à un écosystème technologique et industriel très différent de celui avec lequel nous avons l’habitude de coopérer. Pour la première fois dans l’Histoire, le secteur de la défense n’est pas à l’origine des technologies structurant le domaine de la sécurité et de la défense.

Tout cela exige plus d’agilité et de prise de risques : agilité au niveau de nos organisations, dans notre processus décisionnel, dans nos procédures d’acquisition, dans les états d’esprit, dans l’accès aux compétences nécessaires et dans le développement de

prérequis indispensables qui ne peuvent plus, pour certains, se limiter au niveau national. La question des données, par exemple, est à considérer comme une nouvelle ressource stratégique, et leur partage doit être abordé, me semble-t-il, en priorité.

Il me faudrait une autre réunion pour vous parler de l’innovation, tant je suis convaincu de la nécessité d’adapter nos organisations, nos processus, notre état d’esprit à la révolution que nous avons devant nous – mais je répondrai volontiers à vos questions sur ce sujet passionnant.

Quatrièmement, l’outil militaire allié est un facteur de stabilité et une réussite qui doit être reconnue et mise en valeur. Malgré les questions politiques et opérationnelles complexes auxquelles l’OTAN doit répondre, face à des défis bien réels, et en dépit des enjeux que nous avons identifiés et sur lesquels nous travaillons, je voudrais réaffirmer fermement le rôle inestimable joué par l’outil militaire que nous avons construit collectivement.

Ce pilier militaire de l’OTAN est un gage de stabilité, mais attire aussi de nombreuses nations. En nous préservant, depuis son origine, d’un conflit ouvert sur le continent européen, il a prouvé sa pertinence comme son effet dissuasif. La cohérence et la cohésion de ses forces, comme la culture militaire commune, construites patiemment depuis plus de 70 ans, constituent à mes yeux, un grand succès dont les effets vont bien au-delà des simples effets militaires régulièrement démontrés en opérations.

Aussi l’organisation militaire de l’OTAN est-elle un facteur de dissuasion comme de stabilité. Ses effets s’étendent bien au-delà des frontières de l’Alliance et de son milliard de citoyens par la force d’attraction et la référence qu’elle représente. Elle facilite le déroulement d’opérations entre alliés hors cadre OTAN ou permet l’intégration de nombreux partenaires dans des coalitions qui contribuent, à leur tour, à une plus grande stabilité.

Les frappes de rétorsion réalisée par les États-Unis, la France et le Royaume Uni en Syrie au printemps 2018 constituent une belle illustration de ce que ce travail patient permet de réaliser – et je suis assez bien placé pour en parler. Autre exemple : aucune opération extérieure n’est aujourd’hui conduite sans la participation de nos partenaires, qui s’appuient sur la norme militaire produite par l’Alliance et auquel mon commandement contribue intimement. Je veux souligner ici le formidable vecteur d’interopérabilité opérationnelle qu’est et aura été l’Alliance pendant 72 ans, depuis sa création.

Tout ce que nous faisons au sein de l’OTAN contribue à cette interopérabilité, depuis l’analyse conjointe de notre environnement sécuritaire jusqu’à la rédaction de concepts et de doctrines d’engagement, en passant par les exercices, la formation, l’entraînement ou le développement de capacités de commandement et de contrôle.

Cette interopérabilité repose donc sur bien davantage que les seules normes technologiques. Évidemment, tout ceci n’est pas parfait, tout simplement parce que l’OTAN ne détient pas de capacités en propre et que les capacités militaires sont, à quelques rares exceptions près, détenues par les nations. La situation de l’interopérabilité de nos forces est donc en permanente évolution, et les responsabilités sont partagées ici entre l’Alliance atlantique et les nations.

La construction de cette interopérabilité est une entreprise sans fin qui demande une vigilance et des efforts constants. Elle est fondée par cette culture commune