de trouver une cohérence à chacun de ces termes »
97. Nous ferons le même choix que
Monsieur DUARTE, nous n’aborderons pas dans notre thèse de doctorat « l’étude de termes
tels que « radicalisme », « terrorisme », « extrémisme », car nous avons considéré qu’ils ne
convenaient pas à un travail de recherche universitaire de par la charge émotionnelle qu’ils
véhiculent et le jugement de valeur qu’ils véhiculent »
98. Cela étant, nous sommes conscients
que c’est à cause de ces dérives que les violations des droits fondamentaux sont devenues plus
nombreuses. D’autant plus que ces violations des droits fondamentaux sont faites au nom de
l’islam. Nous ne pouvons qu’essayer de comprendre ce phénomène islamique au sein de la
société. Il semble que « depuis le début des années quatre-vingt, principalement à la suite de
la Révolution islamique en Iran, l’Islam occupe en permanence le devant de la scène
médiatique internationale. Mais de quoi parle-t-on quand, dans le grand concert des médias
occidentaux, on parle d’ « islam » ? La plupart du temps, il s’agit de l’islam comme religion
« instrumentalisée » au bénéfice de tel ou tel pouvoir, tel ou tel courant politique ; telle ou
telle « révolution ». Rarement, l’islam est approché à partir de ce qu’il est d’abord : une foi et
une spiritualité qui ne cessent de nourrir et de faire vivre de manière pacifique et pacifiante
des centaines et des centaines de millions d’êtres humains »
99.
37. Nous ne pouvons pas nier que les atrocités terroristes sont commises au non de
l’islam, il est nécessaire de comprendre les normes islamiques qui initialement défendent les
droits humains. Comment au nom de l’islam est-il possible de porter atteinte à des droits
censés être sacrés ? Pourquoi les violations de droits fondamentaux sont-elles de plus en plus
nombreuses ? Et pourquoi s’effectuent-elles de plus en plus souvent au nom d’Allah ? Alors
que les normes coraniques sont claires, puisque le verset 32 de la sourate 5 dispose que
« quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une corruption sur terre,
97 DUARTE Steven, « Islam, Islamisme, fondamentalisme… Qui nomme ? Les journalistes, les chercheurs ou
les acteurs ? », Les Carnets de l’Ifpo. La recherche en train de se faire à l’Institut français du Proche-Orient
(Hypotheses.org), 27 décembre 2014 [En ligne] http://ifpo.hypotheses.org/6297 ; voir aussi Steven DUARTE,
L’idée de réforme religieuse en islam depuis les indépendances, Thèse de Doctorat, Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE), Paris, 2014.
98 DUARTE Steven, « Islam Islam, Islamisme, fondamentalisme… Qui nomme ? Les journalistes, les chercheurs
ou les acteurs ? », op. cit. 99
c’est comme s’il avait tué tous les hommes… » C’est un constat, l’islam fait peur aujourd’hui,
il est important d’apprendre à connaître cette religion pour éloigner cette islamophobie
ambiante. Il faut que la recherche appréhende cette religion pour lever ces craintes.
L’islamophobie est définie par le rapport de la Commission Nationale Consultative des Droits
de l’Homme (CNCDH) de 2017 comme étant une « attitude d’hostilité systématique envers
les musulmans, les personnes perçues comme telles et/ou envers l’islam »
100. L’islamophobie
au même titre que l’antisémitisme est une forme de racisme. La CNCDH, présidé par
Christine LAZERGES, professeur émérite de droit de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
et ancienne première vice-présidente de l’Assemblée nationale. Il est possible de faire un état
des lieux du racisme par rapport à l’indice longitudinal de tolérance qui permet de mesurer
l’évolution des préjugés en France
101. Plus l’indice se rapproche de 100 plus il révèle un haut
niveau de tolérance, plus il se rapproche de 0, plus le niveau de tolérance est faible. Le rapport
de la CNCDH relève qu’après « trois années de hausses consécutives (+10 points de 2013 à
2016), on observe des différences notables selon les minorités : l’indice s’établit à 34 pour les
groupes rassemblés sous l’étiquette « Roms » contre respectivement 61 pour les musulmans,
72 pour les Maghrébins et 78 pour les noirs et les juifs. En tendance, les noirs (-3 points) et
les Roms (-2 points) voient la tolérance à leur endroit régresser, à l’inverse des juifs, des
musulmans et des Maghrébins où la situation est stable »
102. Le rapport constate que « ce
niveau de tolérance est pour le moins étonnant, le contexte général étant en apparence peu
propice à l’acceptation de l’autre (terrorisme, arrivées de migrants, chômage, poids des
thèmes sécuritaires dans les médias, montée des populismes en Europe, etc.) L’histoire de
l’indice longitudinal de tolérance nous apprend cependant que les attaques terroristes ne
produisent pas systématiquement une aggravation du rejet de l’autre. Ainsi on n’a pas
constaté une crispation raciste après les attentats de 1995 ; il y a même eu une hausse de la
tolérance après 2001, et également après 2015 (attentats de janvier et novembre). En
revanche, l’indice avait chuté entre 2004 et 2005, en lien notamment avec les émeutes en
banlieue. Un constat s’impose : la prédominance des dispositions à la tolérance ou à
l’intolérance, qui coexistent en chacun de nous, dépend moins du contexte que de la manière
dont il est « cadré » par les élites politiques, médiatiques et sociales. La responsabilité de
100 Rapport de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme de 2017, CNCDH, Paris, p. 4.
101 L’indice longitudinal de tolérance a été créé en 2008 par Vincent TIBERJ professeur des universités associé
au Centre Emile DURKHEIM de Sciences Politique de Bordeaux. 102
celles-ci est donc particulièrement importante »
103. Le rapport retient quand même que l’islam
crée un malaise général depuis les attentats commis en son nom, mais aussi avec les débats
autour des pratiques religieuses telles que le port du voile. L’islam est au centre du débat
politique, ce qui n’arrange pas les tensions. Les musulmans, selon le rapport, restent « l’une
des minorités les moins acceptées, le rejet s’étendant souvent de l’islam à l’ensemble de ses
fidèles ». Concernant cette islamophobie, le rapport termine en disant que « l’aversion à
l’islam s’accompagne très souvent de méfiance envers les immigrés. Dans cette configuration,
les immigrés sont rendus responsables de la situation économique et sociale actuelle… » La
peur de l’islam et des musulmans est bien réelle, et pour amortir cette crainte, il est important
de comprendre l’islam.
38. Or, nous ne pouvons pas nier l’islam politique qui est prôné par les dirigeants de cette
région du monde. Ce qui est d’autant plus inquiétant c’est la logique qui est mise en place
pour gouverner par ces islamistes. Pour illustrer nos propos, prenons l’exemple du fondateur
du parti tunisien Ennahda (Rennaissance), Rached GHANNOUCHI qui est proche des Frères
musulmans. Il met en place une théorie de l’infiltration qui est très révélatrice de l’islam
politique. Il explique que la transformation de la société tunisienne ne pourra se faire qu’en
deux phases : « Dans la première phase, le pouvoir sera respectueux de la loi positive, ce qui
signifie que le mouvement islamiste sera dans l’opposition. Par conséquent, il est normal que
ce mouvement accepte dans cette phase la démocratie et ses modes de fonctionnement.
Dans la deuxième phase, lorsque le pouvoir sera devenu islamique, il ne pourra y avoir de
partis politiques contraires à l’ordre islamique, car la démocratie avec la liberté trompeuse
d’expression et d’action qu’elle implique expose les bases de la société à la discrimination, à
la diffamation »
104. Ce qui voudrait dire que la démocratie n’est qu’un alibi politique pour
faire arriver l’islam au pouvoir. GHANNOUCHI avait même rédigé un livre sur les libertés
publiques au sein de la société islamique dans lequel il termine en disant que : « L’Islam a la
capacité d’assimiler la forme démocratique et de la guider dans une direction où le pouvoir du
peuple est conduit par loi divine […]. Si dans la démocratie occidentale la référence suprême
est la loi naturelle […] nous, les musulmans, la remplaçons par la loi islamique. La
démocratie dans la conception de l’Islam et des islamistes donne tout pouvoir à la nation, à
103Idem, p. 10. 104
Cité par ALDEEB ABU-SAHLIEH Sami A., Les mouvements islamistes et les Droits de l’homme, Verlag Dr ; Dieter Winkler, Bochum, 1998, p. 77.
condition de ne pas permettre ce qui est interdit ou d’interdire ce qui est permis [par la loi
islamique] »
105. Il estime donc que l’islam est complètement démocratique.
39. La logique du droit musulman est particulière. Il réside une différence de taille entre
les déclarations des droits de l’homme islamiques et les déclarations occidentales, puisqu’en
droit musulman, c’est la loi divine qui cloisonne les droits de l’Homme. En effet, les droits de
l’Homme sont des droits offerts par Dieu. Chaque droit fondamental est donc soumis à la
charia qui est la loi divine. Pour comprendre la logique du droit musulman il est très
important de comprendre que tout est basé sur la charia, même l’ordre juridique, ce qui veut
donc dire que la loi divine organise toute la société, elle est même un mode de vie, une sorte
de guide sur lequel tout musulman se base. De ce fait, seuls le Coran et la Souna sont
fondateurs et créateurs de droits et de normes. Aucun droit, aucune justice n’est possible sans
les lois divines. Cette clarification était très importante pour pouvoir comprendre le travail de
recherche qui va suivre.
40. Ceci étant posé, nous serons plus à même de comprendre le raisonnement du droit
musulman. De plus, tous les États musulmans n’appliquent pas strictement la charia, ce sont
des États modernes. Certains Etats sont plus ou moins islamiques, comme le Yémen, Oman,
le Soudan, le Pakistan, les pays qui appliquent strictement la loi divine sont finalement le
Royaume d’Arabie Saoudite et la République Islamique d’Iran. L’application de l’islam se
retrouve même dans les Constitutions des États musulmans, c’est en fait Dieu qui est
législateur. L’Arabie Saoudite est d’ailleurs le seul État qui s’est abstenu de voter pour la
DUDH, le Yémen quant à lui s’est abstenu. En revanche pour les États modernes, le point de
vue est très différent puisqu’ils reconnaissent l’islam comme étant source de tout système
juridique, social et politique, mais l’islam n’est ici qu’identitaire et il n’est pas utilisé pour le
fonctionnement étatique, l’état n’est pas dans l’obligation de faire appliquer l’Islam de
manière exclusive. C’est une sorte d’Islam orthodoxe. Ces États s’inspirent très souvent des
systèmes occidentaux. La plupart de ces états se détachent du droit pénal coranique. Ils
reprennent très souvent des domaines qui ne sont pas traités par le Coran. Contrairement à ce
que l’on pourrait croire, il existe aussi des droits et libertés fondamentaux en Islam issus du
Coran et de la Sounna du Prophète Mohammed. Déjà au VIIe siècle de notre ère était
105 AL-GHANNOUCHI Rached, Mahawir islamiyyah, Bayt al-ma’rifah, Le Caire, 1989, p. 65 (en arabe) ;
AL-GHANNOUCHI Rached, Al-hurriyyat al’-ammah fil- dawlah al-islamiyyah, Markaz dirassat al-wihdah al’-arabiyyyah, Beyrouth, 1989, p. 93 (en arabe).
reconnus le respect de la vie, la dignité de l’homme, la tolérance, le rejet de la contrainte en
religion. Il existait même à l’époque des petites élections démocratiques permettant de choisir
son calife par des notables représentant la communauté : la Oumma.
41. Notre problématique de recherche est assez vaste et soulève plusieurs interrogations.
Il existe en principe une seule vision universelle des droits et libertés fondamentaux sur
laquelle les États se sont accordés, comment expliquer alors l'existence de particularisme en
matière des droits de l'homme ? La régionalisation des droits fondamentaux n'est-elle pas une
atteinte à l'universalité des droits de l'homme ? Est-il possible d'affirmer un particularisme des
droits fondamentaux basé sur l'islam, une religion créatrice de normes juridiques ? Est-il
possible de baser les droits et libertés fondamentaux sur le droit musulman ? Par ailleurs, le
paradoxe réside dans le fait que l'islam se dit être une religion universelle. Paradoxe de droits
proposés par une religion à vocation universelle, mais dans le cadre d'une universalité limitée
aux membres de l'Oumma ou extension à l'humanité ? De ce fait comment se positionne
l’islam par rapport aux droits de l’homme ? Et comment ces deux universalités
interagissent-elles ? Qu’est-ce que cette notion de « conformité aux valeurs islamiques » utilisées dans les
textes régionaux protecteurs des droits de l’homme dans les pays arabo-musulmans ?
Quels libertés et droits fondamentaux trouve-t-on dans les textes canoniques de l'islam ? Y
a-t-il d'autres libertés et droits fondamentaux, définissables comme tels, mais différents des
normes et principes en vigueur dans les droits "occidentaux" ? Sur quelles sources se basent
ces droits fondamentaux islamiques ? Les sources primaires certes, mais quels textes
juridiques ? Peut-on appréhender le droit musulman comme étant un système juridique ? Les
États arabo-musulmans fondent-ils réellement leurs systèmes étatiques sur le droit
musulman ? Comment est-il possible de créer des normes par le biais d’un droit basé
exclusivement sur l’islam ? Comment est-il possible de baser un système juridique sur la
religion ? Quel est son impact ? Comment est-il possible de créer du droit positif à partir
d’une religion ? Il existe forcément un impact historique, quel est-il ? L’étude des sources
primaires n’est pas suffisante, « aller directement au Coran et aux hadiths ne vous donnera pas
grand-chose. Vous devez allez à l’Histoire et, de là, revenir au Coran et au hadith afin de
mettre l’interprétation dans son contexte historique »
106. Il est alors fondamental de
comprendre le cheminement de l’histoire de la civilisation musulmane. Quelle influence
l’histoire aura-t-elle eue sur le droit musulman ? Existe-t-il une influence des philosophes
106