Nous, les musulmans […] nous proclamons cette Déclaration, faite au nom de l’islam, des
droits de l’homme tels qu’on peut les déduire du très noble Coran et de la très pure Tradition
prophétique.
À ce titre, ces droits se présentent comme des droits éternels qui ne sauraient supporter
suppression ou rectification, abrogation ou invalidation. Ce sont des droits qui ont été définis
par le Créateur — à lui la louage !— et aucune créature humaine, quelle qu’elle soit, n’a le
droit de les invalider ou de s’y attaquer »
70.
Ce qui veut dire qu’il n’est pas possible de chercher des solutions en dehors de l’islam. Or, il
est possible que la solution ne soit pas dans les textes sacrés. Que faire ? Si aucun texte ne
propose de solution, alors et seulement à ce moment-là, l’État pourra créer une norme, mais
qui est dans le respect des valeurs islamiques
71.
Philippe, « Comprendre l'islam pour ne pas craindre l'islamisme », Autres Temps. Cahiers d'éthique sociale et politique. N°52, 1996. pp. 83-88.
69 Voir ALBEEB ABU-SAHLIEH Sami A., Projets de Constitutions islamiques et Déclarations des Droits de
l’Homme dans le monde arabo-musulman, Centre de droit arabe et musulman, Suisse, 2012, p. 145 et s. 70Idem.
71
‘ABD-AL-KARIM Fathi, Al-dawlah wal-siyadah fil-figh al-islami, Maktabat Wahbah, Le Caire, 1977, p.
27. Or, les musulmans ne sont pas les seuls à avoir cette conception du droit comme étant
une émanation divine et intemporelle. Les juifs considèrent l’Ancien Testament et le Talmud
comme étant les deux sources principales dans lesquelles tout le droit doit reposer. Ces
sources s’imposent à tous les juifs de manière intemporelle (DT 13 :1 et 29 :28 et Lv 23 :14).
Effectivement, ces sources comportent un nombre très conséquent de normes juridiques. Le
plus grand théologien et philosophe juif MAÏMONIDE estimait que les lois de l’Ancien
Testament « restent d’obligation éternelle et dans les siècles des siècles, sans être sujettes à
subir aucune variation, retranchement, ni complément »
72. Il ajoute que quiconque devait
désobéir à ces normes divines devrait être mis à mort par strangulation. Chez les chrétiens,
c’est différent puisque le Nouveau Testament ne comporte que très peu de normes juridiques.
Jésus n’aurait pas occupé la fonction publique de Chef comme Moïse ou Mohammed. Jésus
n’aurait pas appliqué les normes juridiques de l’Ancien Testament et aurait de ce fait refusé
d’appliquer la lapidation des femmes adultères (Jn 8 : 4-11). Il refuse de partager la
succession entre deux frères (LC 12 : 13-15) et aurait aboli la loi du talion (Mt 5 :38-39).
Puisque le Nouveau Testament ne comportait que très peu de normes juridiques, les chrétiens
décident de suivre le droit romain. Le jurisconsulte Romain GAIUS considérait la loi comme
étant « ce que le peuple prescrit et établit » : Lex est qod populus atque constituit
73.
28. En droit musulman, il existe une organisation juridique dans le Coran qui n’est pas
tant éloignée de la conception juive. Le droit canon musulman est voulu par Dieu qui légifère
dans le Coran, ce qui en fait donc un droit positif, mais il est en plus un droit naturel qui fait
clairement la différence entre le bien et le mal (Coran : S7 : V157, et S9 : V7) afin de
respecter la dignité humaine. De ce fait, 3% des textes du coran sont de nature juridique soit
250 versets
74. Les versets juridiques mettent en place, le droit de la famille : mariage,
répudiation, filiation, le droit patrimonial : successions, intérêts monétaires, le droit pénal :
pénalités, châtiments corporels et les droits de l’homme avec la répartition des droits et
devoirs entre individus (hommes, femmes, esclaves) et des droits sociaux : répartition des
droits et devoirs entre l’état (l’autorité) et la société (maintien de l’ordre public, jihad). Il y a
une différence entre les règles divines générales qui sont obligatoires et les règles historiques
qui sont facultatives donc discutables. L’islam légifère en reconnaissant le licite : « halal » et
72 MAÏMONIDE Moïse (1138-1204), Le livre de la connaissance, trad. NIKIPROWETZK V. et ZOUI A.,
Quadrige et PUF, Paris, 1961, p. 97-98. 73
GAIUS Romain (120-180), Institutes, trad. REINACH Julien, « Les Belles Lettres », Paris, 1965. 74
le « haram » : l’illicite. Le Coran a été révélé au fur et à mesure du contexte économique,
politique, social et militaire, ce qui veut dire qu’il est possible d’en faire deux lectures en
fonction du contexte puisque les faits qui se sont produits à l’époque ont peu de chance de se
reproduire de manière identique aujourd’hui étant donné que les temps ont évolué. Ce qui
permet donc de faire une distinction entre les prescriptions générales qui, elles seront
forcément permanentes et les prescriptions historiques qui pourront être provisoires et qui ne
seront donc plus appliquées par la suite. C’est donc une lecture anthropologique qui pourra
être faite du Texte
75. Ce qui voudrait dire que dans le Coran qui dispose de la Loi divine, il
existe un Livre, qui, lui raconte l’histoire de l’Islam. Cette hypothèse pourrait être justifiée
par le découpage qu’il existe entre les sourates mecquoises et médinoise : le Coran n’est pas
apparu d’un seul trait, il est « descendu » progressivement en fonction du contexte, avec des
sourates mecquoises et médinoises. Les sourates mecquoises comme le nom l’indique ont été
révélées sur la ville de Meka : La Mecque, elles forment une entité du Coran extrêmement
importante puisqu’elles ordonnent une vie spirituelle ainsi que la bonne observance, elles sont
éthiques et culturelles, ce sont des sourates théologiques, elles représentent en quelque sorte la
théorie de l’islam. La période mecquoise qui va de la naissance du Prophète à son émigration
que l’on appelle l’Hégire (570 à 622). Le but ultime du Prophète durant cette période est
surtout la transmission du Message, c’est une charge extrêmement éprouvante que de
demander à un peuple polythéiste de croire en un Dieu unique créateur de l’univers. Il fallait,
alors faire naître la foi dans la population. De fait, les sourates mecquoises ne donnent pas de
précisions juridiques, ce sont des indications très générales. Menacé de mort, le Prophète
quitte la Mecque pour Médine. Les sourates médinoises sont révélées à Médine, elles seront
plus pragmatiques et vont faire une description de la cité musulmane et son organisation
politique, économique, familiale et sociale, elles permettent de mieux appréhender et
d’imaginer la vie des musulmans durant l’ère hégirienne. C’est une source d’information
précieuse pour tout historien ou juristes. Elles représentent en quelque sorte la pratique de
l’islam. La période médinoise qui ne va durer que 10 ans, à partir de l’Hégire jusqu’à la mort
de Mohamed (622 à 632). Son rôle durant cette période est très différent puisqu’il est
considéré comme le Chef de la société, certains diront même qu’il s’agit du premier État
musulman
76avec une organisation politique, économique, juridique et sociale autonome, la
cité-État dispose même d’une force armée. Pour diriger au mieux, la cité, le Prophète se
75 CHARNAY Jean-Paul , La Charîa et l’Occident, l’Herne, Paris, 2001, p. 73. 76
BLEUCHOT Hervé, Droit musulman, Presses universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence, 2000, p. 48 et
référait au Coran qui « descendait » (an-nuzûl : la descente) au fur et à mesure des faits et du
contexte, les juristes (fuqa’ha) appelleront d’ailleurs ce phénomène, les causes de la
descente : asbâb an-nuzûl. Pour que le Coran puisse être compris par les citoyens,
l’interprétation du Prophète par le biais des hadiths est fondamentale, sans cette interprétation
le Coran peut s’avérer incompréhensible.
29. Il semble que le Coran ait un caractère évolutif et la Révélation se fait de manière
progressive, il s’agit de la progression d’un cas bien particulier qui se retrouve cité dans
plusieurs sourates, le cas cité change de nature en fonction de la Révélation. C’est tout un
travail chronologique et historique qui s’impose pour savoir quel verset est « descendu » en
dernier. Prenons l’exemple de l’alcool, il est d’abord un bien et un mal (S2, V219), ensuite il
est proscrit avant la prière (S4, V43) et enfin il est interdit (S5, V90). La répudiation aussi
change de nature (S2 et S65). Il en est de même pour le jihad : la guerre sainte, qui est dans
premier temps réduit à la patience (S73 V10-11), puis il devient permis (S22, V41), pour
devenir finalement obligatoire (S2, V216). Cette caractéristique peut être discutable, surtout
pour la question sensible du jihad, ou justement on devrait prendre le verset le moins obscur
et le moins sévère pour le mettre en application, ce cas bien précis a entraîné beaucoup de
dérives, liées notamment au manque de précision dans l’interprétation. C’est en ce sens, que
la doctrine actuelle
77, semble éliminer cet argument de la « Révélation progressive », en
arguant du fait qu’il faille alléger les prescriptions en essayant quand il existe plusieurs
versets sur un cas particulier, de garder le moins gênant, c’est la théorie de l’élimination de la
gêne : raf’ al-haraj. Ce qui, pour le cas du jihad, reviendrait à dire que le verset le moins dur
doit être retenu, soit l’exigence de la patience (S73 V10-11) pour la guerre sainte et non le
passage à l’acte. Les autres versets étant donc abrogés au profit du moins sévère. L’abrogation
est surtout défendue par ZAYDAN, AL-KHUDARI préfère parler de précisions des versets.
Cette conception qui semble de prime abord très pragmatique pourrait soulever toute une
partie de la doctrine musulmane qui ne peut concevoir le Coran que comme un tout
indivisible. En effet, le fait d’admettre que certaines règles peuvent être mises de côté en
fonction de l’évolution reviendrait à dire qu’en fonction du contexte historique certaines
règles mêmes permanentes pourraient être délaissées, ce qui jette le discrédit sur l’essence
même de l’islam. Prenons l’exemple de la famille qui est la structure pivot dans l’islam, or
77 ZAYDAN Abd al-karim, Al madkhal li-dirasa ach-charî’a al-islamiya, Introduction à l’étude de la loi
islamique, 1969, p. 112 et AL-KHUDARI Bey Mohammed, Ta’rikh al-lachri’ al-islami, Histoire de la législation islamique, Le Caire, Maktaba Tijaria, 1967, p. 15.