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Jeux intertextuels comme jeux de miroirs

22 Introduction

« Tout texte est un intertexte »1

« Un jeu de miroir qui s’instaure entre le texte cité et le texte citant »2

Il est à noter que jusque-là les études consacrées à l’étude de l’œuvre de Tahar Ben Jelloun ont souligné la présence de l’intertexte des Mille et une nuits dans l’écriture benjellounienne, mais ceci les limitait à des aspects formels, la structure en abyme, elle-même examinée de manière partielle. Outre l’analogie structurelle avec les Mille et une nuits, l’œuvre de l’écrivain maghrébin présente d’autres analogies telles que l’influence au niveau du style, des thèmes et de l’onomastique. La lecture de la trilogie, nous permet de déceler les traces des Mille et une nuits, les images empruntées, les réminiscences enfouies dans la mémoire de l’auteur maghrébin, etc. L’intertexte, présent sous sa forme patente et latente, peut être ainsi explicite ou réduit à un rapprochement3 ou une compréhension qu’un lecteur a pu saisir en lisant un tel texte suivant sa culture et ses lectures. Il est à noter de prime abord que l’intertexte des Mille et une nuits dans l’œuvre de Ben Jelloun n’est pas toujours évident. Christiane Chaulet-Achour confirme déjà cet aspect caractéristique non seulement dans l’écriture benjellounienne, mais également chez d’autres écrivains. Elle affirmait que

des écrivains d’aujourd’hui intègrent des ingrédients « orientaux », des objets, des symboles, des décors ou appuient le clin d’œil vers le texte ancien en intégrant des personnages types qui font partie d’un contrat de complicité, comme Tahar Ben Jelloun, Assia Djebar, Annie Messina ; des œuvres explorent un de leurs espaces privilégiés : le harem, le jardin, pour inscrire leur propre démarche dans cet espace de création4.

1 Barthes, R., « Théorie du texte », op. cit., p. 6. 2 Piegay-Gros, N., op. cit., p. 47.

3 Riffaterre, M., « L’intertexte inconnu », op. cit., p. 4.

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Citer les Mille et une nuits, s’y référer ou se les approprier prouvent qu’il s’agit d’un jeu de correspondances explicites ou implicites qui s’effectue entre cette œuvre et la trilogie de Ben Jelloun. L’auteur marocain a emprunté aux Mille et une nuits la structure de mise en abyme et leurs techniques narratives. L’intertexte jalonne les romans susmentionnés à la fois comme référence, par les allusions, la mise en scène de la parole et sa place dans la trame narrative, son pouvoir et les enjeux qui lui sont attribués.

Nous montrerons dans cette partie comment l’intertexte des Mille et une nuits a déterminé la structure de l’œuvre de Ben Jelloun, son style, son contenu, ses thèmes et certains de son onomastique. Comment se développe le jeu de miroitement entre l’hypotexte et l’hypertexte ?

Christiane Chaulet-Achour affirme que « la relation que l’imaginaire littéraire de ce XXe siècle entretient avec les Mille et une nuits peut aller d’une fidélité-calque à une originalité impulsant une œuvre nouvelle »1. Nous verrons quel rapport entretient Ben Jelloun avec le texte modèle. Emprunte-t-il la voie de la « fidélité-calque » ou l’originalité créatrice ou les deux à la fois ?

Nous nous proposerons dans cette partie d’analyser les différentes modalités que revêt l’intertexte des Mille et une nuits dans la trilogie de Ben Jelloun. En effet, elle s’articulera en trois chapitres. Nous étudierons dans le premier chapitre la ressemblance structurelle, formelle et stylistique entre les Mille et une nuits et l’œuvre de l’auteur marocain sans oublier les dissemblances qui nous paraissent pertinentes. Nous détaillerons dans le deuxième chapitre les analogies thématiques. Nous analyserons dans le troisième chapitre en quoi consiste la reprise de l’onomastique dans l’œuvre de Tahar Ben Jelloun.

Manifestement les trois romans en question exploitent à des degrés divers l’intertexte des Mille et une nuits. Si L’enfant de sable se rattache à l’hypertexte par le biais des contes qui s’emboîtent les uns dans les autres ainsi que La prière de l’absent, ce dernier roman, avec La nuit sacrée exploitent le plus l’élément féminin comme conteur. Ainsi par la structure et la présence féminine, l’intertexte devient plus pertinent dans la trilogie.

1 Chaulet-Achour, Ch., (sous la direction de), « La galaxie des Nuits », in Les 1001 nuits et l’imaginaire du

24 Chapitre premier : les ressemblances structurelles Introduction

Les Mille et une nuits ont une forme propre différente des contes en général. Les contes sont enchâssés dans un conte-cadre. Lethuy Hoang a affirmé que « dans les contes de Galland, on pourra admirer l’harmonie entre le conditionnement externe des contes, c’est-à-dire les modalités génératrices des récits, celle de l’emboîtement, de convergence et d’agencement, et les déterminations internes au niveau stylistique, c’est-à-dire la pertinence des figures de rhétorique »1. Cette structure d’enchâssement a été reprise par Ben Jelloun dans ses romans en question dans ce travail. Nous étudierons la structure en abyme, les techniques narratives utilisées par Ben Jelloun tout en focalisant notre travail sur les origines intertextuelles de cette structure.

a) Vers une structure hétérogène : le « roman-conte »

Depuis 1908, Lanson a affirmé à propos de l’œuvre orientale que « ce fut un des ouvrages qui modifièrent le plus l’imagination littéraire »2. L’imaginaire de Ben Jelloun est ainsi défini, imprégné par celui des Mille et une nuits. En effet, pour l’auteur marocain, bien que le contact premier avec l’univers du conte en général passe d’abord par le conte populaire, les contes oraux racontés par sa mère3, l’influence explicite et implicite des Mille et une nuits sur la trilogie, dans ses romans, associe les techniques du roman et les techniques du conte. Ce sont, à vrai dire, des romans à vocation contique4. Les structures contiques5 dans les trois romans de Ben Jelloun participent, au moins en partie, des structures des Mille et une nuits. En évoquant le langage de La prière de l’absent, Le Clézio avait noté « [qu’il] n’est celui de la vraisemblance ou de la bienséance, mais celui de la fable, dont le pouvoir est musical. »6. La fabulation 1 Hoang, L., op. cit., p. 83.

2 Chaulet-Achour, Ch., « La galaxie des Nuits, », p. 25.

3 Ben Jelloun, T., « L’imaginaire dans les sociétés maghrébines », in Maria-Àngels Roque (dir.), Les cahiers de

confluences. Les cultures du Maghreb, L’Harmattan, 1996, p. 135.

4 Nous empruntons ce terme à Jamel Eddine Bencheikh, Les Mille et Une Nuits ou la parole prisonnière, op.

cit., p. 7.

5 Gaillard-Chérif, S., Le retour du récit dans les années 80. Oralité, jeu hypertextuel et expression de l’identité

chez T. Ben Jelloun, R. Mimouni, F. Mellah, V. Khoury-Ghata et et A. Cossery, Thèse de Doctorat Nouveau

Régime dirigée par Charles Bonn, Université Paris-Nord-Villetaneuse, p. 14.

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empruntée aux Mille et une nuits apparaît au niveau de l’utilisation d’un conteur à la place d’un narrateur. Les procédés contiques qui ont déterminé les contes des Mille et une nuits sont les « personnages-formes »1, l’acte de raconter au lieu de l’acte de narrer, des femmes conteuses comme Zahra dans La nuit sacrée, Lalla Malika et Yamna dans La prière de l’absent qui rendent la coprésence des Mille et une nuits plus explicite. Dans son œuvre, Tahar Ben Jelloun mentionne des lieux réels, imaginaires ou mythiques2. À propos de La prière de l’absent, Anissa Benzacour-Chami a affirmé que « le cadre spatio-temporel ainsi que l’intervention du surnaturel et du merveilleux confirment la vocation contique du roman de Ben Jelloun ».3 Les procédés contiques, le thème du voyage, les djnouns, le merveilleux4, etc. sont des intertextes5 qui renforcent le lien entre La prière de l’absent et les Mille et une nuits. Afin de donner une coloration contique à ses romans, Ben Jelloun invoque des personnages mythiques ou il mythifie6 des personnages et leurs histoires : « j’ai pensé qu’en rendant publique cette histoire on en ferait une légende, et, comme chacun sait, les mythes et les légendes sont plus supportables que la stricte réalité »7.

Il est à noter également que la fréquence de l’utilisation du verbe « raconter » dans les deux textes confirme que l’acte de raconter remplace l’acte de narrer dans la trilogie. La figuration du terme « conteur » dans la trilogie corrobore également notre hypothèse.

La description du décor contique est aussi bien détaillée dans l’œuvre de Tahar Ben Jelloun que dans les Mille et une nuits :

Compagnons ! Ne partez pas ! Attendez, écoutez – moi je suis de cette histoire, je monte sur cette échelle de bois, soyez patients, attendez que je m’installe en haut de la terrasse, j’escalade les murs de la maison, je monte m’asseoir sur une natte, à la terrasse toute blanche et j’ouvre le livre pour vous conter l’histoire, étrange et belle, de Fatima frappée par la grâce et d’Ahmed reclus dans les vapeurs du mal, l’histoire de la vertu transpercée au cœur par tant de flèches empoisonnées8.

1 « Nous avons établi que les héros de nos contes n’étaient pas des personnages engagés dans un récit, mais des formes tout entières coulées dans un sens », Bencheikh, J. E., Les Mille et Une Nuits ou la parole

prisonnière, note 1, op. cit., p. 35.

2 Cf. Miquel, A., « Histoire et histoire », op. cit. 3 Op. cit., p. 121.

4 Cf. Bremond, C. « En deçà et au-delà d’un conte. Le devenir des thèmes », in Mille et un contes de la nuit, op.

cit.

5 Benzacour-Chami, A., op. cit., p. 121. L’auteure amalgame ainsi le cadre spatio-temporel réel avec un cadre spatio-temporel imaginaire ou mythique inventé par Ben Jelloun.

6 Concernant la mythification des personnages dans les Mille et une nuits, notamment Haroun-al-Rachid. Cf. Bencheikh, J. E., « La volupté d’en mourir », op. cit., pp. 283-284, 287 ; concernant la mythification de l’espace. Cf. Omar, F. « Hārūn al-Ras̲h̲īd », in Encyclopédie de l’Islam, t. 3, pp. 239-241.

7 Ben Jelloun, T., L’enfant de sable, op. cit., pp. 207-208.

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L’expression « il y avait », caractéristique du conte investit le romanesque de Ben Jelloun d’une allure générale. En outre, l’auteur de L’enfant de sable ne cesse de représenter certains de ses personnages comme des lecteurs des contes des Mille et une nuits.

Ainsi la trilogie de Ben Jelloun exploite de plain-pied l’héritage contique des Mille et une nuits. Jean Marie Gustave Le Clézio le confirme. Il a souligné la présence intertextuelle des Mille et une nuits dans La prière de l’absent : « le charme (au sens fort de ce mot) de [la prière de l’absent], c’est ce lien qui l’unit aux plus anciens textes romanesques, ceux des Mille et une nuits, où ce n’est pas tant l’intrigue qui compte, ni le caractère des personnages, que cette possibilité qu’ont les événements et les êtres de s’ouvrir sur autres choses, chacun parlant puis se taisant ourdissant ainsi une trame magique et surhumaine »1. En effet, l’acte de raconter renforce ainsi la présence des Mille et une nuits dans La prière de l’absent.

À l’instar des Mille et une nuits où l’acte de raconter est la principale instance narrative, Ben Jelloun avoue qu’il « adore raconter des histoires. C’est un métier et une passion. Ça permet de dire autre chose que l’événementiel. Le principe littéraire le plus fondamental de tous les temps, c’est celui des Mille et une nuits. Raconte-moi une histoire ou je te tue… Nous sommes condamnés à raconter des histoires sous peine de disparition »2. L’écrivain lui-même souligne que l’acte de raconter est crucial dans son œuvre. Il l’appréhende comme le principe littéraire le plus fondamental qu’il doit aux Mille et une nuits. Ses conteurs, comme leurs corollaires dans l’œuvre orientale racontent et se racontent, constituent l’une de manifestations de l’auteur-conteur dans son texte.

En outre, bien que nous considérions l’oralité comme un aspect caractéristique du roman moderne, pourtant, « l’œuvre de l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, qui s’inscrit dans la tradition orale, baigne pour ainsi dire dans l’atmosphère contique »3. L’oralité, dans l’œuvre de Ben Jelloun, a quelque chose des Mille et une nuits, car l’oralité du roman moderne est assez différente4 de l’écrivain marocain.

Nous relevons la coïncidence entre la clôture des Mille et une nuits et celle de La nuit sacrée. En effet, la fin des contes de Schéhérazade signale la guérison de Schahriar alors que Zahra retrouve également, après une longue quête et de nombreuses expériences comme 1 Le Clézio, J.M.G., « Tahar Ben Jelloun, dans la tradition des anciens conteurs », Le Monde, 4 septembre 1981,

p. 13.

2 Ben Jelloun, T., « Deux cultures, une littérature », in Maury, P., (propos recueillis par) Le Magazine

Littéraire, Paris, n° 329, 1995, pp. 107-111.

3 Benzacour-Chami, A., « La Prière de l’Absent ou une relecture des Nuits » in Cahier d’études maghrébines,

« Les Mille et une Nuits dans les imaginaires croisées », op. cit., p. 119.

4 Cf. Rouayrenc, C., « C’est mon secret ». La technique de l’écriture « populaire » dans Voyage au bout de la nuit

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l’écriture, le cirque, l’errance, la violence, l’amour et l’acte de raconter les sensations originelles, après le dérèglement causé par le père, l’idée du « retour vers l’origine, vers les droits de la nature »1. Retrouvant « [enfin] les mots du retour »2, elle « acquit le rythme et l’allure de ce retour »3. Cette ressemblance signalée entre ces deux personnages renforce la coprésence des Mille et une nuits dans L’enfant de sable et La nuit sacrée.

Les Mille et une nuits se déterminent par la structure de mise en abyme que Ben Jelloun l’utilise systématiquement dans L’enfant de sable et La nuit sacrée. Cette structure d’emboîtement est devenue une structure commune entre l’hypotexte et l’hypertexte. Cependant, avant de procéder à l’analyse de cette structure en abyme, nous étudierons l’élément intertextuel le plus constant dans le corpus en question : le halqa, qui génère l’enchâssement narratif.

b) Le halqa : un facteur assurant la structure de mise en abyme

Le halqa est constitué par l’auditoire devant laquelle le conteur raconte son histoire. La mise en scène d’un halqa dans le texte est conçue comme le premier facteur assurant la structure de mise en abyme dans les Mille et une nuits comme dans la trilogie. L’emboîtement narratif est dû à cet usage, là, où un conteur raconte son histoire et fait passer la parole à un autre conteur. Ainsi les similarités structurelles entre l’hypertexte et l’hypotexte sont clairement décelables.

Souvent dans les Mille et une nuits, le récit-cadre décrit le halqa en cours de composition avant le commencement de l’acte de raconter dans les récits mis en abyme. Dans l’histoire du « Marchand et [du] génie »4, les trois vieillards viennent l’un après l’autre sur le lieu de l’exécution du marchand par le génie. Ils se sont rassemblés et ont attendu l’arrivée du génie composant ainsi un halqa au second degré par rapport au halqa principal composé de Schéhérazade, Dinarzade et Schahriar. Malek Chebel a affirmé que : « […] le principe du cercle des conteurs réunis, que les Arabes appellent halqa ou Gaada, a toujours existé dans la culture arabe, qui est une culture de l’oralité et du verbe nomade »5. Les halqa dans les Mille et une nuits sont en superposition, ce qui n’est pas le cas dans la trilogie. Dans le premier conte du « Marchand et [du] Génie », c’est le marchand qui a regroupé les trois vieillards formant ainsi 1 Ben Jelloun, T., L’enfant de sable, op. cit., p. 90.

2 Ibid., p. 98.

3 Ibid.

4 Galland, A., T. 1, op. cit., p. 59-78.

5 Chebel, M., « Schahrazade, ou le féminisme arabe », in Dictionnaire amoureux des Mille et Une Nuits, op. cit., p. 714.

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un halqa subordonné au halqa principal. Ce halqa reprend la thématique du récit-cadre principal dont le principe est « raconter pour se sauver », car tel est l’objectif de Schéhérazade. Dans ce premier conte, les rôles sont inversés puisque ce sont les vieillards qui se proposent de raconter des histoires afin de sauver le marchand. Schéhérazade, dans ce conte dépendant1 du récit-cadre principal, n’intervient à ce propos qu’afin d’assurer seulement le passage de la parole d’un conteur à l’autre : « quand le premier vieillard, Sire, continua la sultane, eut achevé son histoire, le second, qui conduisait les deux chiens noirs, s’adressa au génie. »2

Les halqa dans L’enfant de sable se succèdent. Le premier halqa dont le conteur principal est Sidi Abdel Malek est suivi par un deuxième halqa composé d’anciens auditeurs Salem, Amar et Fatouma qui décident de continuer à raconter l’histoire d’Ahmed/Zahra après sa disparition, ce qui provoque la bifurcation narrative. Le halqa dans La prière de l’absent, constitué de voyageurs, assure la mise en abyme de leurs récits, sous forme plutôt de micro-récits par rapport au récit principal.

Dans les Mille et une nuits, il y a des halqa autonomes où Schéhérazade n’intervient pas. Elle cède absolument la parole à un autre conteur. Le rôle de celle-ci se limite à introduire et à conclure l’histoire. L’emboîtement narratif se développe et se complique de plus en plus, en se présentant à un degré d’emboîtement plus élevé. L’« Histoire des trois Calenders, fils de roi, et de cinq dames de Bagdad » est un exemple pertinent d’enchâssement indépendant. Les Calenders racontent leurs histoires à Zobéide. Schéhérazade a disparu complètement de l’acte de raconter, c’est un autre halqa, qui s’est superposé au halqa principal. Le halqa est ainsi inclus dans un autre halqa.

La mise en scène du halqa dans les deux textes assure la mise en abyme. En effet, la représentation du halqa au sein même du texte incite à la prolifération des histoires, car un conteur va inciter un autre à raconter une histoire. L’emboîtement s’effectue souvent par l’intervention de nombreux conteurs. Dans La prière de l’absent, l’un des conteurs, au cours du voyage, « se mit à raconter une histoire »3 un autre lui répond : « ton histoire si elle est vraie, me rappelle ce qui s’est arrivé l’année dernière à mon cousin […] Si vous permettez, je vous la raconte […] »4. Le même mécanisme de production des histoires s’est développé dans L’enfant de sable, le conteur se rappelle comme dans un sursaut : « Cela me rappelle une autre histoire qui est arrivée à la fin du siècle dernier dans le sud du pays. Permettez-moi que je vous la conte

1 Cf. Hoang, L., op. cit.

2 Galland, A.,Mille et une nuits, T. 1, op. cit., p. 72.

3 Op. cit., p. 123.

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rapidement »1. Ces types de phrases fréquemment utilisés par Ben Jelloun, tant qu’ils renforcent la structure contique de son œuvre, font écho aux Mille et une nuits : « mais, Sire, ajouta Schéhérazade, quelques beaux que soient les contes que j’ai racontés jusqu’ici à Votre Majesté, ils n’approchent pas de celui du pêcheur »2. De nombreuses phrases sur ce modèle jalonnent ainsi les Mille et une nuits3. Le halqa permet l’enchaînement de la parole et assure sa vivacité. La mise en scène du halqa assure la nature polyphonique des deux œuvres : dans son ouvrage La poétique de Dostoïevski, Bakhtine postule que « la polyphonie suppose une multiplicité de voix “équipollentes” à l’intérieur d’une seule œuvre »4. La fonction du halqa est de rendre la bifurcation contique possible avec les voix narratives polyphoniques5, plurielles, variées, emboîtées les unes dans les autres. Dans les Mille et une nuits, la bifurcation de l’acte de raconter se complique à partir du moment où Schéhérazade qui détenait la parole, la cède souvent à ses conteurs, sous forme de marionnettes, afin de raconter des histoires.