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Jeter la lumière sur ces complexes de sécurité divergents et sur leur

CHAPITRE 1: Le Sahel comme complexe de sécurité

1.5 Jeter la lumière sur ces complexes de sécurité divergents et sur leur

divergents et sur leur connexion avec le phénomène des conflits armés et de l’insécurité

Ces complexes divergents n’entrent pas dans l’ordre naturel des choses. Ils sont plutôt la manifestation d’une divergence fondamentale entre les États sahéliens et de grandes parties de leurs populations. Pris dans leur ensemble, les facteurs ci-dessus, qui expliquent l’existence d’un complexe de sécurité étatique et d’un complexe de sécurité populaire, devraient éclairer la voie vers la formation d’un seul complexe de sécurité, faisant droit aux préoccupations sécuritaires de l’État comme à celles des populations. Dans un monde idéal, l’État défend un point de vue fédératif concernant

14 Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, 2013a, p.2 15 Union africaine (UA), 2014b.

la sécurité, alliant la perspective des citoyens et celle du gouvernement, et définit ses politiques et sa planification en matière de sécurité sous cette même perspective.

Cependant, au Sahel, les conceptions étroites entretenues par l’État en matière de sécurité ainsi que ses actions fragmentées, qui ont été entreprises pour répondre aux profondes inquiétudes sécuritaires des sociétés sahéliennes, n’y ont qu’affermi l’existence de ces complexes divergents.

Le tableau 1 ci-dessous montre comment les populations et les acteurs étatiques interprètent, chacun à sa façon, les problèmes de sécurité et comment ils leur accordent des degrés de priorité différents. Ces différences expliquent en partie l’insécurité à grande échelle qui touche le Sahel et qui contribue souvent à faire perdurer les conflits et l’insécurité. Certaines préoccupations sécuritaires, telles que celles liées à l’environnement, à la sécheresse et à l’exclusion sociale, font peser une menace existentielle sur les populations sahéliennes. Il est paradoxal de constater que les stratégies d’adaptation et les moyens de redressement, qui assurent la résilience de populations cherchant à triompher de ces menaces, sont perçus par des acteurs étatiques comme représentant de graves menaces pour l’État, préconisant des mesures de répression militaires. La porosité des frontières présente un aspect de cette situation, car cette porosité, qui pourtant constitue un facteur de résilience pour des populations dont l’un des mécanismes d’adaptation est de pouvoir franchir des frontières afin de réduire leur insécurité, est perçue comme un facteur menaçant pour les États sahéliens. Le tableau 1 ci-dessous offre une vue instantanée des principales préoccupations de chaque complexe et des interprétations faites de part et d’autre et qui créent et/ou renforcent ces divergences.

Celles-ci proviennent d’une désunion à plusieurs niveaux. Il y a premièrement la distance qui sépare les institutions de l’État du gros de la société. L’accès à ces institutions n’est généralement pas ouvert à un grand nombre de personnes.

Il est vrai que nombre des institutions et des dispositions de sécurité héritées de la colonisation n’ont pas été conçues pour la protection et la prise en charge de grandes parties de la population. Invariablement, ce sont les élites gouvernantes et certains citadins favorisés dans les capitales qui jouissent de l’accès privilégié à ces institutions. Ainsi, l’État ne se montre que rarement sensible aux préoccupations sécuritaires de larges segments de la population. À un deuxième niveau, l’État n’en vient à réagir à des enjeux sécuritaires élargis, débordant de la protection du régime et de celle des élites au pouvoir, qu’à partir du moment où sa sécurité est visiblement menacée par la survenue d’attaques violentes ou de situations d’insécurité causées par des acteurs non étatiques. Comme indiqué dans la suite du présent rapport, incapacité de répondre aux causes sous-jacentes des conflits et de l’insécurité au sein de la grande masse de la société conduit invariablement à une amplification des crises et des conflits violents. Un troisième niveau de désunion tient aux relations entretenues par des États africains avec de puissants alliés du dehors, dont les actions sont naturellement inspirées par leurs intérêts. Il n’est pas inhabituel de voir des États africains être plus sensibilisés aux intérêts de puissants alliés qu’à ceux de leurs populations. Cela s’applique assurément au Sahel, comme il sera démontré plus loin dans le présent rapport. De puissants acteurs du dehors manifestent, dans leurs rapports avec des États sahéliens, des préoccupations sécuritaires étroites et influencent l’adoption de politiques qui ne vont pas nécessairement à la rencontre des préoccupations sécuritaires des populations sahéliennes. Enfin, une autre et évidente

cause de désunion tient au programme d’intégration régionale de l’Afrique qui, lui aussi, a tendance à privilégier l’intégration d’États par opposition à une intégration des populations visant à les rapprocher les unes des autres.

Tableau 1 : Deux complexes de sécurité divergents au Sahel

Enjeu ou

dominantes Questions politiques Questions humanitaires et

de développement humain La survie et le

développement humain

organisée y associée Griefs locaux ; protestations contre l’état, accusé d’actes

Enjeu ou

Les deux chapitres qui suivent fournissent quelques indications sur les facteurs qui, ensemble, donnent lieu à ces deux complexes de sécurité divergents au Sahel. Ils mènent à la conclusion que la réunion de ces deux complexes offre des chances à l’instauration de la sécurité et de la stabilité et, partant, au développement humain dans la région. En étendant les préoccupations relatives à la sécurité nationale afin d’y inclure celles procédant de la perception que se font les populations sahéliennes de leur insécurité, il serait éventuellement possible de donner la priorité aux sujets de préoccupation existentielle et d’aboutir à une révision qualitative des réponses en matière de politiques et de programmes. Il en découlerait également une reconfiguration des intérêts et des partenariats au Sahel.