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CHAPITRE 2: Les causes structurelles et immédiates et les facteurs d’entretien

2.1 Aperçu régional

Quelles sont les causes structurelles des conflits armés et de l’insécurité dans les régions et les pays du Sahel ? Les facteurs structurels suivants sont de nature transversale et entrent en jeu dans toutes les régions ou tous les pays étudiés du Sahel :

Stress environnemental : En raison de leur situation géographique, les pays et populations du Sahel sont plus particulièrement exposés, par exemple, aux sécheresses, à la désertification, à la réduction des terres arabes, aux variations de la pluviosité et de la température ainsi qu’aux conséquences qui en découlent pour la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance. Il en a résulté toute une gamme de problèmes : tensions internes, déplacements et arrivées/départs de flux de réfugiés, migrations (de jeunes) et, parfois, affrontements entre agropasteurs entraînant des violences intercommunautaires et reprise de l’irrédentisme (des Touaregs) et de l’instabilité politique.

Griefs historiques : À des degrés divers, ceux-ci ont compliqué les relations entre les groupes, ainsi que la dynamique politique et les processus de consolidation de l’État à travers les pays sahéliens étudiés. Dès le départ, la marginalisation des Touaregs a posé un problème au Niger et au Mali. L’exclusion sociopolitique des Haratines en Mauritanie demeure une source potentielle de conflit non résolue. Au Nigéria, le sentiment qu’ont certaines populations d’avoir été laissées pour compte par les politiques coloniales est perçu comme étant la cause de l’émergence de nouvelles formes d’exclusion et de griefs. Parce que des États n’ont pas été capables de répondre de manière appropriée à des griefs fortement enracinés, les problèmes nés de ces derniers se sont amplifiés, pour se manifester par la propagation du terrorisme, de la criminalité et du djihadisme au Sahel.

Processus fracturé de consolidation de l’État : Forger une identité nationale commune et un destin commun au sein des populations des États sahéliens s’est avéré être un immense défi. Les situations d’exclusion socioéconomique et d’exclusion politique qui sont issues du manque de succès sur cette voie ont partout constitué les causes premières des conflits dans toute la région. Les politiques fondées sur l’appartenance ethnique n’ont pas encore disparu, même si leur pratique varie d’un pays à l’autre. Les aperçus de pays qui vont suivre illustrent la manifestation de ce facteur, qui se dégage de chaque étude de pays. Combiné aux griefs historiques, ledit facteur contribue à maintenir la distance entre l’État et des pans entiers de la population.

Explosion démographique des jeunes : Dans tous les pays sahéliens, la population comporte une forte proportion de jeunes. En moyenne, plus de 60 % des habitants ont moins de 35 ans dans les pays ayant fait l’objet de l’étude. Les implications de cette progression sont graves, si l’on songe aux défis que lancent déjà le stress environnemental, l’exclusion socioéconomique et l’instabilité politique. Le taux de fécondité de plus de 5 enfants par femme à travers ces pays confirme l’explosion démographique des jeunes au Sahel, phénomène qui s’observe d’ailleurs dans toute l’Afrique. En l’absence de mesures judicieuses de planification familiale et en raison des pressions qui s’exercent déjà sur des systèmes faibles, les États ne parviennent pas à convertir la ressource que représentent leurs jeunes en énergies positives pour le développement. Devant les difficultés à entrer dans un parcours de vie normale, de bénéficier de services en matière d’éducation et de santé et de trouver un travail décent, de nombreux jeunes deviennent vulnérables au risque de participation à des conflits armés et à d’autres activités criminelles organisées, ainsi qu’à un risque de radicalisation les conduisant à rejoindre des groupes extrémistes violents. Ces difficultés constituent donc un facteur clef de la genèse des conflits et de l’insécurité dans la région.

Quelles sont les causes immédiates et les facteurs d’entretien des conflits armés et de l’insécurité dans les régions et les pays du Sahel ?

Migrations : Dans tous les pays sahéliens, les migrations de populations en sont venues à faire partie de la vie quotidienne et les raisons n’en sont pas seulement climatiques. Le flux de réfugiés, qui se déplacent parfois avec leur bétail pour fuir des zones touchées par les combats au Mali, au Niger et dans le nord-est du Nigéria, exacerbe des pressions qui s’exercent sur les ressources en terres et en eau, suscitant de nouvelles situations d’insécurité.

Insécurité alimentaire : Selon les estimations actuelles de l’insécurité alimentaire dans les pays considérés, 19,8 millions de personnes sont touchées par cette insécurité, dont 2,6 millions ont déjà franchi le seuil d’urgence et nécessitent une assistance Figure 2.1 : Explosion démographique des jeunes (pourcentage de la

population de moins de 35 ans), 2014

0 10 20 30 40 50 60 70 80

Nigéria Niger

Mauritanie Mali

Burkina Faso

65,5 66,6 59,5 68,2 62,5

Source : Central Intelligence Agency. The World Factbook, “Age Structure”. https ://www.cia.gov/library/

publications/the-world-factbook/fields/2010.html#ml.

Figure 2.2: Taux de fécondité, (naissances totales par femme) 2013

0 2 4 6 8

Nigéria Niger

Mauritanie Mali

Burkina Faso 5,6

6,8

4,7

7,6

6

Source : Banque mondiale. Data, “Fertility Rate, total (births per woman)”. http ://data.worldbank.org/indicator/

SP.DYN.TFRT.IN.

alimentaire immédiate. Au Sahel, une personne sur sept souffre d’insécurité alimentaire, un enfant sur cinq est sous-alimenté, et 2,76 millions de personnes sont des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays16. Plus inquiétantes encore sont les projections de la sécurité alimentaire pour le premier trimestre de 2015. Elles annoncent une légère détérioration de la situation au Burkina Faso et au Mali, tandis qu’en Mauritanie et au Sénégal, l’on s’attend à ce que 1,4 million de personnes de plus soient touchées par l’insécurité alimentaire « en raison de la médiocre production de pacages et de ses effets sur les moyens de subsistance des agropasteurs »17.

Politisation de l’armée : Les coups d’État militaires, les mutineries et les interventions ouvertes ou masquées de militaires dans la vie politique se sont régulièrement produits dans les pays étudiés. Des décennies de régime militaire en Mauritanie n’ont été que brièvement tempérées par un interrègne de gouvernement civil. La descente du Mali dans une situation de conflit armé en 2012 a été exacerbée par un coup d’État militaire. Les événements qui ont conduit à la chute de Blaise Compaoré démontrent l’influence continue de l’armée au Burkina Faso. Au Niger, un passé d’interventionnisme militaire a produit un résultat record : quatre coups d’État réussis, quatre transitions politiques, sept républiques et sept constitutions. De manière semblable, l’histoire antérieure du Nigéria, marquée par l’intervention directe des militaires dans la vie politique, a été suivie d’une quatrième république, caractérisée par 16 années de gouvernement civil ininterrompu, mais marquée depuis peu par les tendances interventionnistes masquées de certains hauts gradés militaires dans le domaine politique. On peut donc dire, en général, que les politiques d’exclusion, ainsi que les politiques répressives associées à la politisation des établissements de sécurité, ont constitué des facteurs significatifs d’instabilité et d’insécurité au Sahel.

Montée du djihadisme et des réseaux criminels : La nature des conflits et de l’insécurité dans les pays sahéliens et celle des acteurs qui y sont impliqués a connu des mutations en ce que des mouvements qui étaient animés par des griefs ont pris une dimension plus complexe, aux conséquences touchant les pays aussi bien que la région. Ce phénomène s’est manifesté tout particulièrement au Mali et au Nigéria, et il a entraîné de graves conséquences pour le Niger. La pénétration de groupes wahhabites au Mali à partir du début des années 90 a conduit à une radicalisation progressive de l’Islam, particulièrement dans le nord du pays. De son côté, Boko Haram peut être considéré comme une variante (quoique dans un contexte qui évolue) de précédents épisodes de radicalisation islamique dans le nord du Nigéria, notamment dans le contexte du mouvement Maitatsine des années 1970-1980. On note aussi une certaine convergence entre l’islamisme radical, la contrebande, l’irrédentisme touareg, la multiplication des enlèvements et la rébellion Boko Haram. Des groupes criminels et djihadistes se sont progressivement implantés dans d’importantes parties du Mali et du nord du Nigéria. Ils échappent au contrôle du gouvernement et leur activité a des conséquences néfastes pour les pays sahéliens voisins.

Liaisons islamistes régionales : Les liens qui ont été noués entre groupes radicaux au Sahel, tels que le groupe Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le MUJAO et Boko Haram, ont contribué à entretenir l’insécurité dans la région. Des indices permettent

16 OCHA, 2014c.

17 Ibid.

de penser que des rapports de collaboration et de soutien opérationnel ont été établis entre Boko Haram et d’autres groupes radicaux au Sahel. Par exemple, des combattants de Boko Haram qui ont survécu ont été regroupés et entraînés dans le nord du Mali après avoir été chassés par les forces de sécurité nigérianes en 2009.

En avril 2012, une centaine de membres de Boko Haram auraient été impliqués dans une attaque contre l’ambassade d’Algérie à Gao, au Mali.

Dimension régionale et transfrontalière des conflits et de l’insécurité : La sécurité des États sahéliens est nécessairement liée à la dynamique régionale et transnationale de la sécurité et les effets de cette dynamique varient d’un pays à l’autre. Le Niger se trouve au carrefour des corridors de conflits qui s’étendent entre le Mali et le nord du Nigéria. De ce fait, il a dû faire face à différents défis sécuritaires : insurrections dans le nord-est du Nigéria (Boko Haram), dans le nord du Mali, dans le sud de la Libye et également en République centrafricaine. De manière analogue, le Burkina Faso accueille des afflux de réfugiés fuyant le conflit et l’insécurité au nord du Mali.

Quelques autres pays considérés comme appartenant à un deuxième groupe de pays sahéliens dans le présent rapport sont également frappés. Le Tchad et le Cameroun sont touchés par les activités transfrontalières de Boko Haram et ont été entraînés dans ce conflit, en particulier par le biais de leur participation à la force d’intervention multinationale engagée contre Boko Haram.

Corruption et privations socioéconomiques : Tous les pays sahéliens considérés dans la présente étude possèdent des ressources naturelles considérables. Cependant, ils sont tous en proie à la corruption, à la mauvaise gestion et aux privations sociales et économiques, même si ces défaillances ne se manifestent pas partout au même degré. Ces pays n’ont donc pas pu mettre en place une bonne gestion de la croissance démographique des jeunes, au risque d’aggraver les problèmes de chômage de ces jeunes et leur vulnérabilité à la radicalisation. L’incapacité de rompre un cycle de mécontentement, dans lequel l’exclusion et les doléances non résolues se transforment en opposition violente à l’État, renforce les discours des mouvements extrémistes insurrectionnels dans la région et apporte une justification à leur cause.

Dynamique mondiale et rôle des acteurs externes : Les événements du Moyen-Orient, les attentats du 11 septembre 2001 et un sentiment d’aliénation ont contribué à la radicalisation de mouvements qui au départ étaient essentiellement revendicatifs.

Le contexte global de la guerre contre le terrorisme a suscité des discours et des contre-discours présentant l’islamisme radical comme une menace à la démocratie et la civilisation occidentale comme une menace à l’Islam. La dynamique qui a ultérieurement pris naissance au Sahel n’a fait qu’accentuer ce phénomène. La présence d’un éventail d’acteurs externes au Sahel n’a pas systématiquement mis cette dynamique au service des populations sahéliennes. Ces considérations ne se limitent d’ailleurs pas à la sécurité et aux acteurs du développement. La présence d’industries extractives a généré une dynamique nouvelle parce que la découverte de ressources minérales pèse fort sur les esprits, conduisant des milliers de personnes à quitter leurs foyers et à abandonner leur première activité, l’agriculture, pour se mettre à la recherche d’or, d’argent, de diamants, d’uranium, etc.