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Intérêt excessif porté aux préoccupations sécuritaires extérieures :

CHAPITRE 4: Types de réponses apportées aux conflits et à l’insécurité au Sahel

4.1 Intérêt excessif porté aux préoccupations sécuritaires extérieures :

sécuritaires extérieures : avènement d’un complexe de sécurité régional divergent

Il importe de retracer la façon progressive dont le Sahel devient un domaine de préoccupation clef pour la sécurité internationale et régionale, particulièrement en évaluant les répercussions des interventions menées jusqu’à présent dans la région254. Au cours des 10 dernières années, le Sahel est devenu un objectif clef des préoccupations internationales et d’une stratégie de sécurité255. Il est considéré

254 Selon R. Abrahamsen, « qualifier quelque chose d’enjeu sécuritaire n’est pas une pratique innocente, mais a des implications politiques et modifie la façon légitime de s’attaquer à un problème particulier […] », (2004). “A Breeding Ground for Terrorists? Africa & Britain’s ‘War on Terrorism’”, Review of African Political Economy, vol. 31, n° 102, décembre 2004 k.

255 Il convient de noter que l’initiative «Pan-Sahel», qui a démarré le 10 janvier 2004, est une initiative de lutte contre le terrorisme d’un coût de 100 millions de dollars, lancée par le Président Bush pour les nations sahariennesque sont la Mauritanie, le Mali, le Tchad et le Niger. Elle a commencé par l’arrivée à Nouakchott d’une équipe « anti-terroriste » de 500 soldats et le déploiement de 400 gardes forestiers le long de la frontière tchado-nigérienne pour traquer les groupes terroristes qui pullulent dans tout le Sahara.

à bien des égards comme une menace existentielle à la sécurité de tout un éventail d’acteurs extérieurs. Par conséquent, la menace existentielle que diverses formes d’insécurité non liées à la violence ou aux opérations militaires font peser sur les populations du Sahel est reléguée au second plan, derrière les préoccupations sécuritaires des acteurs extérieurs. Cette empreinte sécuritaire de plus en plus marquée est à l’origine de l’approche axée sur « la sécurité d’abord » qu’un grand nombre des organisations interrogées pour la présente étude mettent actuellement en œuvre, car elles accordent la priorité (sinon en théorie, du moins en pratique) aux approches militaires pour lutter contre le terrorisme256.

L’empreinte sécuritaire du Sahel s’affirme de façon soutenue depuis les attentats commis par Al- Qaïda le 7 août 1998 contre les ambassades américaines de Dar es-Salaam et Nairobi qui ont tué 224 personnes en en blessant 5 000. Avec ces événements, la menace terroriste en Afrique est devenue une réalité. D’autres affaires, par exemple l’enlèvement de 32 touristes européens dans le Sahara algérien en 2003, sont venues prouver qu’il fallait faire quelque chose pour prévenir la propagation du terrorisme aux vastes espaces incontrôlés de l’Afrique257. Le 11 septembre 2001 allait profondément modifier les politiques mondiales envers le continent africain, y compris le Sahara et le Sahel.

L’initiative « Pan-Sahel » était au cœur de la lutte contre le terrorisme dans la région.

Elle a fait place, depuis 2007, à l’Initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme qui s’emploie à contenir et marginaliser les organisations terroristes « en renforçant les capacités de lutte contre le terrorisme de chaque pays et de la région, en intensifiant et en institutionnalisant la coopération entre les organisations régionales chargées de la sécurité et du renseignement, en promouvant la gouvernance démocratique et en discréditant l’idéologie terroriste ». Bien d’autres initiatives bilatérales et multilatérales ont été lancées pour combattre les groupes terroristes et éliminer les repaires pour terroristes grâce au renforcement des capacités de nombre des pays du Sahel en matière de sécurité. Plus récemment, la mise en place du Centre de commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), (en 2008) est un autre exemple de la priorité accordée à l’approche sécuritaire (militaire).

Au Sahel, les opérations de lutte contre le terrorisme ont touché les populations locales de diverses façons. À titre d’exemple, les circuits commerciaux ont été perturbés, y compris les routes de contrebande, qui ont servi à la traite d’êtres humains, d’armes, de cigarettes et de toutes sortes de produits. Ces activités commerciales et de contrebande sont les moyens de subsistance de plusieurs milliers de Sahéliens, pour qui elles représentent des stratégies d’adaptation. Cependant, les groupes terroristes y ont également recours. Il existe en outre un risque supplémentaire, lié au type de relations que les opérations de lutte contre le terrorisme doivent établir avec les gardes-frontières, qui sont peut-être eux-mêmes impliqués dans les activités de contrebande. À propos de ce dilemme, S. Ellis fait remarquer que « interdire toutes les activités de contrebande dans une telle région a de graves conséquences, car cela

256 Entretiens menés par l’un des membres de l’équipe de recherche avec des organismes des Nations Unies, à Dakar, en octobre 2014.

257 P. Nyman et J. Morrison (2004). “The Terrorist Threat in Africa”, Foreign Affair.

prive de leurs moyens de subsistance de nombreuses personnes qui ne sont pas des terroristes, tandis que qualifier une région de zone de sécurité détruit le tourisme »258. Sans une approche exhaustive incluant, entre autres, d’importants volumes d’aide humanitaire et au développement ainsi que d’appui à la gouvernance, les opérations militaires et sécuritaires de lutte contre le terrorisme génèrent aussi des griefs locaux. L’on a noté dès 2005 l’apparition dans de nombreuses parties de la région de sentiments anti-occidentaux qui pour beaucoup étaient sans précédent259. Ainsi, dans le nord du Mali, les gens commençaient à demander pourquoi leurs terres étaient « envahies », tant par les « terroristes » que par les acteurs internationaux. Ils souhaitaient savoir pourquoi des étrangers étaient venus sur leurs terres et ce qu’ils attendaient d’eux ». Au Niger, les Touaregs étaient « également tendus »260.

De manière paradoxale, il semblerait que l’initiative « Pan-Sahel » ait accru l’instabilité politique et l’insécurité — un enseignement qu’il faudrait garder à l’esprit pour les interventions menées aujourd’hui au Sahel. De fait, un certain nombre d’incidents survenus en 2004 viennent illustrer cette affirmation : la tentative de coup d’État présumé en Mauritanie contre Maaouya Ould Taya, (la troisième en 15 mois), l’incident entre les Kountas et les Arabes (une querelle de longue date qui a soudain éclaté en de nouveaux combats), les attaques touaregs au Mali (contre un convoi humanitaire près de Bourem) ; les événements survenus au Niger (dans les régions touaregs du nord du pays et dont le Président Mamadou Tandja était en grande partie responsable) et, au Tchad, la tentative de putsch contre le Président Idriss Deby en mai 2004, entre autres. À l’époque, certains ont averti que les gouvernements faibles de la région « bénéficient tous d’un soutien financier et militaire international et ont par conséquent tout intérêt à générer et à maintenir le nouveau climat de «terreur»

qui est désormais répandu dans leurs régions désertiques »261.

Lorsque l’on considère les dégâts que pourrait causer l’adoption d’une approche sécuritaire exclusivement militaire pour lutter contre le terrorisme, il conviendrait d’examiner avec soin les relations qui lient les populations locales et les groupes terroristes. À cet égard, l’International Crisis Group fait remarquer qu’il existe « dans les situations de terrorisme, une relation générale qui se manifeste sous forme de cercles concentriques d’intérêts et de complicité et mène vers ceux qui sont ou qui pourraient être de véritables terroristes ». Qui plus est, on doit « faire la distinction entre ceux qui sont opposés, apathiques ou ambivalents, ceux qui prennent plaisir à observer les événements en simples spectateurs, ceux qui apportent une contribution financière, ceux qui connaissent quelqu’un d’impliqué dans ces activités ou qui sont, d’une manière ou d’une autre, proches des participants actifs et ceux qui prennent une part active au terrorisme »262

Pour conclure, notons que mettre exclusivement l’accent sur les activités militaires et de lutte contre le terrorisme au Sahel ne renforce que les efforts menés pour

258 S. Ellis, “The Pan-Sahel Initiative”, African Affairs, vol. 103, n° 412, juillet 2004.

259 International Crisis Group (2005). “Islamist Terrorism in the Sahel…”.

260 J. Keenan (2004), “Americans and ‘Bad People’ in the Sahara-Sahel”, Review of African Political Economy, vol.

31, n° 99, mars 2004.

261 J. Keenan, “Political Destabi. lisation & ‘Blowback’ in the Sahel”, Review of African Political Economy, vol. 31, n° 102, décembre 2004. [C’est nous qui soulignons].

262 International Crisis Group, “Islamist Terrorism in the Sahel…” 2005.

combattre la menace existentielle que la région fait peser sur des acteurs extérieurs plus puissants. Cette approche fait peu pour répondre aux dangers plus présents et non militaires qui menacent la sécurité humaine des populations sahéliennes.

L’empreinte sécuritaire imposée au Sahel semble ainsi avoir produit les conséquences inattendues suivantes : a) la population sahélienne a de plus en plus de mal à supporter les incidences négatives de cette présence militaire internationale ; b) une partie de la population locale gravite lentement, pour diverses raisons, autour des réseaux terroristes que ces activités militaires devaient justement éliminer ; c) les gouvernements des États du Sahel ont pu « instrumentaliser » cette présence militaire extérieure pour s’enraciner au pouvoir et s’aliéner davantage les populations qu’ils sont censés protéger.

Cet état de choses contribue à séparer le complexe de sécurité transnational fondé sur les populations au Sahel du complexe de sécurité fondé sur les États. Ce complexe de sécurité régional semble être à la fois superficiel et construit de l’extérieur et ne répond qu’à des dynamiques sécuritaires externes. Or, celles-ci n’ont au mieux qu’un lien organique ténu avec les dynamiques de la sécurité humaine en dessous du niveau étatique ; elles restent donc en grande partie détachées des réalités des populations sahéliennes, qui cherchent à faire face à d’autres menaces existentielles.

Il reste maintenant à voir dans quelle mesure les politiques des institutions intergouvernementales et multilatérales ont relevé ce défi. Des institutions comme l’Union africaine et l’Organisation des Nations Unies doivent continuer à s’efforcer d’intégrer les complexes de sécurité au Sahel afin de rendre les États de la région réceptifs aux préoccupations de la grande majorité de leurs citoyens.

4.2 Aperçu général des politiques et des stratégies sur