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Dans cet effort, Jacques Lacan a repéré l’enjeu des délires dans les psychoses, enjeu à penser cette fois comme identique à la signification de l’Œdipe dans les névroses, soit

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une substantialisation (pour s’appuyer sur les deux usages du concept de libido relevés par Jacques Lacan dans l’œuvre de Sigmund Freud, et aussi mis en question par Daniel Paul Schreber lui même dans son ouvrage

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, soit dans ces deux cas comme ce qui se réfère à la matière). A peu de choses près, c’est cette même hypothèse que Jacques Lacan avait formulée lors du commentaire du cas de Robert dans le séminaire Les écrits techniques de Freud

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(1953-1954). En y avançant qu’existait chez cet enfant ce qu’il appelait un trognon de parole. A l’opposé, dans L’éthique de la psychanalyse

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, 1959-1960, en reprenant aux travaux de Sigmund Freud le découpage de la vie selon les périodes lors desquelles ont lieu des refoulements

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, Jacques Lacan a situé l’expérience du monde pour un sujet comme relevant d’une ou plusieurs « Niederschriften » (écriture, procès-verbal).

C’est à chacune de ces rencontres avec ce qui fait signe, « Niederschrift », que le psychisme se structurerait, que s’organiserait et se mettrait en place l’inconscient des refoulements, articulation cette fois plus structuraliste que substantialiste. Ici, et comme cela a autrement été développé dans le séminaire L’identification

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, 1961-1962 (où l’écriture a été présentée comme étrangère au sujet avant de pouvoir fonctionner comme écriture produite par le sujet), l’écriture a été définie comme une écriture qui met en œuvre le refoulement. L’approche lacanienne de l’écriture a donc invoqué, comme cause

190 - « Sa relation à Dieu (de Schreber), telle qu’il nous la communique, est riche et complexe, et pourtant, nous ne pouvons pas ne pas être frappés du fait que son texte ne comporte rien qui nous indique la moindre présence, la moindre effusion, la moindre communication réelle, qui pourrait nous donner l’idée qu’il y a vraiment là rapport de deux êtres. » Id., 90.

191 - Id.

192 - Id., 119 - 120.

193 - « (…) l’auteur d’abord s’arrête à ce que l’acte de faire naître une existence de rien, prend de choquant pour la pensée, de contrarier l’évidence que l’expérience lui procure dans les transformation d’une matière où la réalité trouve sa substance. » LACAN, J., "D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose," Écrits II, (Paris : Seuil, 1971) 75.

194 - LACAN, J., Le Séminaire livre I : Les écrits techniques de Freud, (Paris: Seuil, 1975) 121.

195 - LACAN, J., Le Séminaire livre VII : L’éthique de la psychanalyse, (Paris: Seuil, 1986) 377.

196 - FREUD, S., "Lettre N°52 du 6-12-96," La naissance de la psychanalyse, (1956 ; Paris: Presses Universitaires de France, 1991) 153-160.

197 - LACAN, J., Le Séminaire livre IX : L'identification, (Paris: Association Freudienne Internationale, 1996) 446.

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d’existence de l’écriture, la nature de ce que le social et/ou le sujet reconnaît. Cette reconnaissance par l’écriture pourrait aboutir soit au déclenchement du phénomène psychotique, soit au traitement des troubles de la psychose. Mais dans tous les cas, elle suppose nécessairement l’existence d’un mécanisme, qu’il soit celui du refoulement lors duquel le sujet est amené à répondre par opposition symbolique à la demande de l’Autre (« Niederschrift »), ou celui que nous allons spécifier par la suite, et qui consiste à reconstruire l’Autre par l’appropriation du symbole (« Versöhnung »). Concernant Daniel Paul Schreber, Jacques Lacan considéra donc que le souci de reconnaissance qui orienta la composition du texte fut une façon pour ce sujet de jouer sur une scène particulière ce qui n’aurait été marqué d’aucune consistance pour être dit avoir été vécu. Ceci ne put être réalisé qu’en réinjectant dans la problématique du sujet un rapport avec un ou plusieurs autres en mesure de valider la réalité de cette expérience. Autant la régression narcissique aurait ainsi pu se produire par un retrait des investissements de libido tournés vers le monde externe, autant dès lors qu’intervint la pratique de l’écriture et la publication, les hypothèses de Jacques Lacan ont consisté à montrer comment la reconnaissance apparaissait comme un mécanisme en mesure de permettre au sujet de renouer avec le monde.

2.3. Directions pour une étude de l’écriture dans les cas de psychoses :

Dans le séminaire Les psychoses, 1955-1956, Jacques Lacan a donc fait fonctionner l’écriture ou les concepts qui lui sont liés dans trois directions. D’abord, l’écriture a été présentée comme une inscription dont le moi serait un déterminatif. C’est cette même hypothèse qui a été reprise dans le séminaire L’identification, 1961-1962, au travers du concept de trait unaire, mais aussi dans le séminaire Le sinthome, 1975-1976

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, au travers du concept de droite infinie.

Ensuite, l’écriture a été reconnue comme un moyen de faire exister une altérité là où, a priori, celle-ci, même si elle peut persister dans le discours de l’aliéné, est vidée de

198 - LACAN, J., Le séminaire livre XXIII : Le sinthome, (Paris: Seuil, 2005) 250.

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son contenu (pour être réduite à une fonction englobante

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). Cette caractéristique, d’abord liée chronologiquement au mouvement de substantialisation, a été reprise dans "L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud"

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, 1957, et dans "D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose" (dec.1957 - janv.1958). Au travers de ces travaux, l’écriture a été considérée comme susceptible de faire consister une signification qui n’aurait pas lieu d’être dans une logique narcissique (d’où son rapport avec l’altérité). Mais c’est dans le séminaire L’éthique de la psychanalyse, 1959-1960, qu’a pu être posée de façon plus précise l’existence de l’écriture, ou de ce qui fait écriture, comme susceptible d’introduire une altérité (« Niederschrift »).

Enfin, cette hypothèse de l’écriture comme ayant une fonction de substantialisation, était déjà présente dans "Au-delà du « principe de réalité »"

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(1936), au travers de la référence à la matière. Mais à partir de son étude des psychoses, Jacques Lacan a pas à pas précisé ce que pourrait être la substantialisation. La figure la plus aboutie de cette piste de recherche a été posée dans le séminaire Le sinthome, 1975-1976. Au travers de l’étude de la fonction que prit l’écriture pour l’écrivain James Joyce, Jacques Lacan a procédé à une articulation entre substantialisation, consistance, existence et trou, soit, depuis le nouage borroméen, entre « sinthome », imaginaire, réel et symbolique

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. La référence issue d’une des orientations données par Sigmund Freud dans l’usage du concept de libido, a donc reporté la substantialisation à ce qui chez un sujet s’inscrit dans un processus de satisfaction de la libido.

199 - LACAN, J., Le Séminaire livre III : Les psychoses, (Paris: Seuil, 1981) 116.

200 - LACAN, J., "L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud," Écrits I, (1966, Paris : Seuil, 1999) 490-526.

201 - LACAN, J., "Au-delà du principe de réalité," Écrits I, (1966, Paris : Seuil, 1999) 89-90.

202 - Dans ce séminaire, la problématique posée par Jacques Lacan fut la suivante : « Comment un art peut-il viser de façon divinatoire à substantialiser le sinthome dans sa consistance, mais aussi bien son ex-sistence et dans son trou ? » LACAN, J., Le séminaire livre XXIII : Le sinthome, (Paris: Seuil, 2005) 38.

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3. Pour une « théorie générale »

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de l’écriture, par la psychose :

Si, à propos des écrits inspirés, l’écriture vint suppléer à un mécanisme de la pensée, concernant Aimée, l’écriture a été signal d’appel lorsque produite par le sujet, menace lorsque produite par un autre, ou aide lorsque demandée à un tiers. Par contre, dans cet autre travail sur un cas de psychose (le cas Daniel Paul Schreber), Jacques Lacan a fait de certains écrits de la psychose autre chose que de simples « feuilles de papier couvertes avec de l’écriture ». Par l’étude d’une pratique d’écriture dont l’enjeu semble avoir été la garantie du souci de reconnaissance attendu (un effort pour être reconnu, allant contre la régression narcissique), Jacques Lacan a situé la possibilité qu’une pratique de l’écriture permette l’arrêt du délire (délire au sens freudien, dissolution imaginaire au sens lacanien

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) et le contrôle du déroulement du symptôme (symptôme au sens freudien – remaniement de l’imaginaire et du symbolique au sens lacanien

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). Au travers des hypothèses proposées par Jacques Lacan pour aborder le phénomène psychotique, nous allons voir comment il est possible d’aborder la fonction que peut prendre l’écriture lorsque sa pratique s’articule à celle du symptôme psychotique. Une telle approche va nous permettre de découvrir la logique proposée par Jacques Lacan à partir de la psychanalyse freudienne pour aborder la psychose. Jacques Lacan ayant précisé que Sigmund Freud avait fait l’interprétation psychanalytique symbolique

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du cas de Daniel Paul Schreber, il a pour sa part proposé de pousser cette lecture plus loin, cela afin de différencier

203 - Nous avons retenu ce concept de « théorie générale » étant donnée l’influence qu’eurent entre elles et pour le sujet Daniel Paul Schreber, la psychose et l’écriture. Ce concept est emprunté aux travaux de Louis Althusser. « Une théorie générale ne peut éclairer une théorie régionale donnée sur elle-même, et l’aider à formuler et rectifier ses concepts, sans produire le même effet de rectification-reclassement sur les concepts de l’autre théorie régionale qu’elle fait intervenir dans cette opération de définition différentielle. » ALTHUSSER, L., "Trois notes sur la théorie des discours," Écrits sur la psychanalyse, (Paris:

STOCK/IMEC, 1993) 126.

204 - LACAN, J., "D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose," Écrits II, (Paris : Seuil, 1971) 90.

205 - « Reste la disposition du champ R dans le schéma, pour autant qu’elle représente les conditions sous lesquelles la réalité s’est restaurée pour le sujet : pour lui sorte d’îlot dont la consistance lui est imposée après l’épreuve par sa constance, pour nous liée à ce qui la lui rend habitable, mais aussi qui la distord, à savoir des remaniements excentriques de l’imaginaire I et du symbolique S qui la réduisent au champ de leur décalage. » Id., 91.

206 - LACAN, J., Le Séminaire livre III : Les psychoses, (Paris: Seuil, 1981) 19.

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clairement la psychose de la névrose

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. C’est sur ce fonctionnement là qu’il a repris l’articulation freudienne du jugement d’attribution, du jugement d’existence, de la

« Bejahung » (affirmation), la « Verwerfung » (rejet / forclusion), la « Verneinung » (ce que le sujet est capable de faire venir au jour par une voie articulée qui repose sur l’attribution d’une valeur d’existence)

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, « Verdrängung » (refoulement)

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et

« Verdichtung » (loi du malentendu)

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, pour expliquer la nature du discours écrit de Daniel Paul Schreber, la « Versöhnung » (réconciliation / sacrifice)

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.

3.1. Le phénomène psychotique :

Pour poser et penser le phénomène psychotique et sa clinique, Jacques Lacan a

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