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2-1-2- Irrationalité psychologique et expression de l aliénation

Dans le document Thesis #514 - UB2 Repository (Page 124-129)

Afin de libérer ses personnages (y compris celui qui constitue à bien des égards

son double ; à savoir C.S.), l’auteur leur concède un trait de psychologie irrationnelle,

et c’est cette irrationalité qui crée les tensions et permet l’installation du dialogisme.

La psychologie irrationnelle est une dominante de la personnalité des

personnages qu’ils soient réels ou fictifs surtout les personnages historiques ou

militaires. Elle trouve son expression à travers une histoire de fous où il est question

d’un pari fatal entre deux colonels :

deux baigneurs avars qui parient dix francs à qui restera le plus longtemps sous l eau sans remonter à la surface pour respirer et dont on retrouve le lendemain les deux corps noyés (p.278)

Ou encore dans les ordres irréfléchis ou même absurdes des militaires:

Rommel raconte qu à l aube du 17, alors qu il approchait de Landrecies, il a fait prisonnier un lieutenant-colonel français qui, il, s est montré particulièrement irritable lorsqu il lui a demandé son nom et son affectation. Il l a alors fait conduire au colonel

Rothenburg et celui-ci lui a ordonné de monter dans son char, mais, comme le français s y refusait (« d une manière cassante », écrit Rommel), au lieu de l envoyer rejoindre les autres prisonniers, Rothenburg a ordonné de le tuer (« il fallut se résoudre à l abattre »). (p.145)

Le colonel Rey qui continue à avancer vers la mort certaine est aussi fou que

celui qui le suit sans désapprobation aucune. :.

ai dit au journaliste que c était un assassinat. Mais il venait de jeter tout l escadron dont il avait pris la tête dans cette embuscade et (ce gros lourdeau de sous-verge qu il montait à cru signe qu il n avait sans doute plus toute sa tête) on peut légitimement penser que, consciemment ou non, il cherchait une mort honorable. (p.148)

Si cette scène, "initiatique", est reprise plusieurs fois dans le roman par C.S. ce

n’est pas uniquement dans un dessein de souligner d’absurdité du commandement des

militaires mais aussi pour évacuer et se libérer une fois pour toutes de ce souvenir

traumatique de la mort certaine qu’il a frôlée :

mourir dans l après-midi sauf qu il n y avait personne pour me regarder pas de spectateurs, pas d arène pas de petite trempette pas applaudissement seulement le riant verdoyant passage printanier riant soleil de mai ( ) de petites boules couleur gris fer commencèrent à

élever ça et là dans le pré. (p.22-23)

Le journaliste lui demandant s’il regrettait cette soumission au colonel fou, si

colonel n’était pas mort, C.S. répond par l’affirmative. Le narrateur anonyme ne

manquera pas, lui aussi, de souligner l’aliénation du colonel et partant celle du

brigadier, en se servant une fois du style direct et une autre fois au style indirect:

-Mais, l interrompt le journaliste, en supposant qu il n ait pas été tué dans les cinq minutes, vous auriez quand même continué ?

- Continué ? dit S. Vous voulez dire si j aurais continué à le suivre ? Mais naturellement ! J avais dit oui De quoi aurais-je eu l air ? Mais avant ça j obéissais : c était sur son ordre que je l avais suivi, que (p.292)

Comme il a essayé de le raconter, ce qu il éprouva pendant l heure durant laquelle il suivit ce colonel, vraisemblablement devenu fou, sur la route de Solre-le-Château à Avesnes, le 17 mai1940, avec la certitude

être tué dans la seconde qui allait venir. (p.223)

S’il est dans ce roman un irrationnel invétéré c’est décidément C.S., la dureté

des épreuves qu’il a subies depuis son enfance jusqu’à l’exploitation idéologique de sa

figure d’écrivain l’ont rendu mélancolique au point de paraître fou. Son aliénation est

logique car elle est la conséquence de tout ce qu’il a enduré. A propos de la débâcle de

1940, il dit :

Je m étais pris moi-même à ce jeu d idiot, que j ai voulu jouer le troisième baigneur, montrer qu aussi bien que deux colonels j étais aussi capable de rester sous l eau jusqu à ce qu on me repêche noyé. Allez savoir ce qu on peut penser ou ne pas penser dans ces sortes de moments. (p.288)

Invité à signer, en marge du colloque, un engagement, il réagit très violemment et maltraite même l’interprète qui lui remet un texte pour le signer :

A la fin j ai pris la feuille (sur laquelle il devait signer engagement demandé par les Russes) je l ai froissée j en ai fait une boule et la lui ai fourrée dans les mains J ai dit voilà et maintenant fouttez-moi la paix. (p.17-18)

Par ailleurs, l’aliénation n’est pas uniquement présente dans l’entourage

immédiat du protagoniste, mais partout. En effet, invité une autre fois à un congrès en

Chine, C.S. se rend compte que l’aliénation morbide y est :

Vous voyez ces sortes de congrès ne sont pas complètement inutiles puisque avec un peu de chance on pourrait réussir à faire mourir par étouffement dans un ascenseur un Chinois que vingt ans de prison dans son propre pays n avaient pas réussi à tuer. (p.267)

Décidemment, les histoires d’aliénés ne manquent pas dans ce roman, partout

où le protagoniste va, il en apprend :

A Austin, au Texas ( ) quelques mois avant l arrivée de S., un fou armé d une carabine et tirant d une fenêtre a tué six ou sept passants. (p.301)

Quant à Rommel il est à la fois victime de son irrationalité qui le soumet

aveuglément aux caprices de ceux qui le commandent, et aussi de sa psychologie

irrationnelle qui ne lui permet pas d’admettre que la défaite est une possibilité inhérente

à la guerre, la trahison de son serviteur puis son empoisonnement par les nazis

cristallisent respectivement son aliénation et celle de ceux qu’il a servis :

Fidèle à son éthique de la force, il se prépare lorsque la défaite se révèle inévitable à trahir la dictateur auquel il a prêté serment et dont il a servi les desseins avec tant d enthousiasme ( ). Hospitalisé en Allemagne puis immobilisé chez lui par une longue convalescence, Rommel attendra jusqu à la mi octobre qu Hitler ait décidé de son sort ( ) seul son titre de maréchal et son prestige tant en Allemagne, qu à l étranger ont fait hésité Hitler sur la façon de le tuer. Finalement comme il est d usage pour les rats, on a décidé d employer le poison (p.35)

Proust, l’homme de société, l’artiste de renommée, souffre lui aussi de

traduits en texte par la superposition d’extraits de romans d’une extrême beauté et des

comptes rendus par les partenaires de ses vices. Comment l’auteur d’une si aboutie

uvre puisse, une fois dans le bordel pour hommes, se faire appelé Charlus et se plaire

à percer jusqu’à la mort des rats qu’on commande spécialement pour assouvir ses

fantasmes de névrosé.

Des soldats en permission descendus du front pour se faire un peu d argent en satisfaisant aux goûts de Charlus (en fait, aux goûts de Proust (p.142

Avec ce cas de Proust ; l’irrationalité atteint un autre niveau car elle ne permet

pas uniquement l’opposition idéologique des personnage positifs/ négatifs, mais aussi

cet exemple montre que le dialogisme peut s’établir dans le comportement et les idées

d’une même personne

En conclusion, nous dirons que la psychologie irrationnelle est utilisée par

l’auteur comme un procédé efficace pour libérer ses personnages de son idéologie,

d’une part, et installer le dialogisme, d’autre part. Aussi, notre réflexion nous a permis

de conclure que les idées dans le roman, portées par des aliénés n’arrivent ni à

s’affirmer ni à se détruire, elles restent sans conclusion pace que l’auteur ne les résout

pas, il laisse l’opposition dialogique sans solution aucune, et c’est au lecteur donc d’en

Dans le document Thesis #514 - UB2 Repository (Page 124-129)