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1 Introduction – le rôle des lettres et leur finalité

Chapitre II : L’éducation spirituelle de Muhammad al-Harrâq à travers l’étude

II- 1 Introduction – le rôle des lettres et leur finalité

A travers l’étude de ses cinquante lettres pour ses disciples, pour les personnalités internes et externes à sa Tariqa, nous pouvons extraire les rôles et les finalités de ces écrits avant d’entamer l’étude thématique. Nous exposons déjà quelques exemples pour illustrer notre analyse :

1/ dans la lettre cinq, il dit « notre but est de renouveler le pacte avec vous et de vous rappeler (mudhâkara) pour démystifier (tahqîq) cette science442 (hâdhâ al-fann) considérée

insolite/étrange (al-gharîb) dans cette époque… »

2/ dans la lettre sept, il dit : « la finalité de cet écrit est de renouveler notre engagement

mutuel et tendre la main de la fraternité à vous par le rappel et demander de vos états que vous soyez protégé…»

3/dans la même lettre, « l’attache la plus solide qui lie le cœur pour arriver à ses fins est le Dhikr permanent et abondant et le rappel et l’échange avec les frères même à travers les lettres si la présence physique n’est pas possible… »

4/ dans la vingtième lettre, il dit : « il est nécessaire de tendre la main de la fraternité à vous et de procéder à l’échange (rappel) (mudhâkara) en Dieu avec vous car la tradition

rappelle : « le croyant est pour le croyant comme l’édifice scellée »443

5/ dans sa vingt-deuxième lettre, il dit : « le but est de renouveler notre pacte avec vous et demander de vos nouvelles… »

6/ dans sa trente-neuvième lettre, il dit : « nous vous informons que nous sommes toujours sur notre engagement de fraternité et d’amour profond et sincère envers vous… »

7/ dans sa quarantième lettre : « l’échange et le rappel en Dieu (mudhâkara) augmente la lumière de la foi…»

8/ dans sa quarante-septième lettre : « l’échange et le rappel en Dieu (mudhâkara) est un soldat de Dieu qui procure au cheminant une force et offre le bonheur au réalisé car il se réjouit de la parole de son bien-aimé et de son rappel … »

442 Nous avons choisi de traduire fann, litt. Art, par science qui correspond mieux au sens.

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9/dans sa quarante-huitième lettre : « renouveler les liens de fraternité entre les disciples est obligatoire et l’échange entre eux qui fait partie aussi du Dhikr est obligatoire également ou au moins méritoire… »

Nous pouvons ainsi déduire de ces exemples les finalités suivantes de l’envoi des lettres aux « frères » :

• Consolider le lien et le pacte entre le maître et le disciple. Ce pacte initiatique comme nous l’avons précédemment présenté est la porte d’entrée dans l’ordre soufi, il exprime

l’engagement ferme et définitif entre le maître et ses disciples et doit être entretenu par la visite régulière du maître ou a minima l’échange – comme à travers les lettres. Nous comprenons ici le souci d’al-Harrâq d’entretenir lui-même ce lien à travers ses lettres continues.

• Rappeler les disciples, les enseigner et les conseiller.

• Renforcer les liens d’Amour entre le maître et ses disciples car c’est un pilier de la Tariqa. Ainsi, plus cet amour est important plus l’orientation du disciple vers son maître l’est et plus son cheminement est raccourci. Le disciple s’abreuve du secret du maître proportionnellement à son amour pour lui et sa confiance parfaite en ses enseignements.

• Renforcer la fraternité entre les disciples.

• Assurer l’échange et le rappel (mudhâkara) qui est un pilier dans la Tariqa d’al-Harrâq à l’instar des trois autres piliers à savoir le Dhikr, l’Amour et la science.

• Consolider la foi du disciple et sa confiance en Dieu (rôle spirituel) à travers ces rappels du maître lui-même rattaché à Dieu (ou représentant le lien avec la présence seigneuriale).

Le chercheur ‘Abd Majîd Saghîr qualifie la méthode d’Harrâq de «

al-ghayriyya »444, i.e. qui cherche à échanger avec l’autre. Il s’agit ainsi d’un soufisme ouvert aux autres et qui ne cherche pas l’extraordinaire (kharq al-‘âdah) mais qui veut se plier aux lois et communiquer positivement avec son milieu.

Néanmoins, Nous ne pouvons négliger une dimension ésotérique de ces lettres à travers la prétention du maître de bien connaître à distance les états de ses disciples :

Ainsi, il dit dans la vingt-et-unième lettre : « Nous avons pu connaître vos états en

confirmation de ce que nous savions déjà en notre for intérieur. Nous louons Dieu pour les

444 Ishkâliyat islâh al-fikr al-sufi fi al-Qarawiyîn-al-‘Abbas Ahmad Ibn Muhammad al-Mahdi Ibn ‘Ajiba wa

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efforts continus que vous déployez dans le Dhikr, les Wird445, les réunions spirituelles et la miséricorde et l’amour que vous portez les uns aux autres… »

Il dit aussi dans la vingt-septième : « …la condition pour être maître spirituel modèle est de connaître aussi bien la science extérieure qu’invisible (intérieure). Car par le madad (la nourriture, le breuvage) de l’extérieur (la science extérieure), le maître protège l’extérieur de ses disciples et par le madad intérieur, il protège leur intérieur ! »

Cette dimension est renforcée par le idhn (autorisation) qu’il prétend avoir pris de son maître al-Darqâwi comme nous l’avions présenté. Cela donne à ses lettres une dimension

« d’inspirations » (ilhâmât) à l’adresse des initiés, comme il le confirme à travers par exemple sa septième lettre : «…pas une lettre que nous avions écrite sans l’autorisation seigneuriale et l’épiphanie. Nous n’avions pas revue ce que nous avions écrit … »

Enfin, nous distinguons deux grands types de lettres, celles qui s’adressent aux initiés ou réalisés parmi ses disciples et celles qui s’adressent aux non-initiés.

Ces dernières sont tout à fait accessibles et compréhensibles et contiennent les arguments scripturaires pour défendre les grands principes de sa Tariqa ou du soufisme en général : l’importance du maître, de la réunion spirituelle, du Dhikr…

Les premières s’adressent à une élite et leur finalité est différente car elles visent à nourrir le disciple d’une force spirituelle pour l’aider à cheminer et à renforcer son amour à son maître ou encore à consolider les liens entre les disciples et renforcer leur engagement dans la Tariqa ou sinon à répondre à leur questionnement autour de ses principes ou de leur vie courante. Nous abordons dans ce qui suit, une étude thématique des lettres à travers une analyse fine des messages et des principes qu’elles renferment. Nous commençons par analyser ce qui relève du façonnement de l’intérieur de l’individu (rôle par excellence de l’éducation soufie), puis nous analysons la relation du disciple avec l’extérieur puis enfin les fruits attendus de

l’éducation spirituelle selon ces lettres.

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